La série A est contradictoire et le temps est irréel

Résumé des épisodes précédents : maintenant que McTaggart a montré que la série A est essentielle au temps, il va montrer que cette série est contradictoire.

Les termes de la série A sont des caractéristiques des événements, c'est-à-dire que nous disons des événements qu'ils sont passés, présents ou futurs. Une caractéristique peut être une relation ou une qualité, mais considérer les termes de la série A soit comme une relation entre des événements, soit comme des qualités entre des événements, n'empêche pas la série A d'être contradictoire.

Les caractéristiques sont des relations

Si les caractéristiques sont des relations, seul un des termes de la relation peut être un événement ou un moment, l'autre terme est quelque chose qui se situe en dehors de la série temporelle. En effet, les relations de la série A sont des relations changeantes tandis que les relations mutuelles des termes de la série temporelle, eux, ne changent pas. Si un événement a lieu un million d'années avant un autre événement, il le sera toujours.

Le passé, le présent et le futur sont des déterminations incompatibles. Chaque événement doit posséder l'une ou l'autre, mais jamais plus d'une. Pourtant, chaque événement les possède : si M est passé, il a été présent et futur. S'il est futur, il sera présent et passé. S'il est présent, il a été futur et sera passé. Il y a une contradiction à pouvoir prédiquer ces trois termes incompatibles pour chaque événement.

On peut lever facilement la contradiction : notre langage a des formes verbales pour le passé, le présent et le futur, mais aucune de ces formes n'est commune aux trois. Il n'est jamais vrai que M est présent, passé et futur : mais il est présent, sera passé, et a été futur ; ou bien il est passé, a été futur et présent ; ou encore, il est futur et il sera présent et passé. Les caractéristiques sont incompatibles lorsqu'elles sont simultanées. Il n'y a pas de contradiction ici.

Mais cette réponse est problématique, car on présuppose l'existence du temps pour expliquer la série A. Or, on a déjà vu que l'on ne pouvait expliquer le temps sans la série A. Il y a donc un cercle vicieux : cela reviendrait à dire que l'événement est présent dans le présent, futur dans le passé et passé dans le futur.

Autre manière d'exhiber le problème. Si nous voulons éviter l'incompatiblité des trois caractéristiques en assertant que M est présent, a été futur et sera passé, nous construisons une seconde série A, sous laquelle la première série tombe, de la même manière que les événements tombe sous la première. Nous aurions à faire ici à une série infinie.

Les caractéristiques sont des qualités

Aurions-nous un meilleur résultat en considérant les caractéristiques comme des qualités ? Les événements possèderaient la qualité « futur », puis la qualité « présent » et enfin la qualité « passé ».

McTaggart est sceptique sur ce point. Si mon anticipation d'une expérience M, cette expérience elle-même et le souvenir de cette expérience sont bien trois états qui possèdent ces différentes qualités, cela ne veut pas dire que ce soient l'événement M futur, l'événement M présent et l'événement passé M qui possèdent ces qualités. Elles sont possédées par trois événements distincts : l'anticipation de M, l'expérience de M et le souvenir de M, chacun de ces événements est successivement futur, présents et passé. Soutenir la position suivant laquelle les changements de la série A sont des changements de qualités ne nous avancerais guère. Nous retombons dans le même problème que les relations.

Conclusion

L'application de la série A à la réalité implique une contradiction et la série A ne peut pas être prédiquée de la réalité.

Aussitôt que nous jugeons que quelque chose existe dans le temps, nous sommes dans l'erreur. Aussitôt que nous percevons quelque chose comme existant dans le temps — ce qui est la seule manière que nous avons de percevoir les choses —, nous percevons plus ou moins cette chose telle qu'elle n'est pas en réalité.

Objection : on rejette le temps parce qu'il ne peut pas être expliqué sans le présupposer. Mais cela ne prouve-t-il pas que le temps est, non pas invalide, mais ultime ? De la même manière que l'explication du bien ou du vrai passe, en partie, par l'emploi de ces termes dans la définition même, la notion n'est pas pour autant rejetée, mais elle reste d'une certaine manière indéfinissable.

Cela ne s'applique pas ici. Une idée peut être validement prédiquée de la réalité bien qu'elle n'admette pas d'explication valide. Mais elle ne peut l'être si son application à la réalité implique une contradiction. C'est pourtant le résultat auquel on aboutit dans le cas du temps.

Pourquoi, dès lors, croyons-nous que les événements doivent être distingués entre passés, présents et futurs ? Peut-être que cette distinction provient de différences intrinsèques dans nos propres expériences.

Ainsi, j'ai à tout moment certaine perceptions, j'ai également le souvenir de certaines autres perceptions et j'en anticipe d'autres encore. La perception immédiate est un état qualitativement différent du souvenir ou de l'anticipations de perceptions. C'est là-dessus qu'est basé la croyance qu'à chacune de mes perceptions s'attache une certaine caractéristique. Nous l'appliquons ensuite aux autres événements : tout ce qui est immédiat est présent, tout ce qui est remémoré est passé, tout ce qui est anticipé est futur.

Une perception immédiate est présente quand j'en fait l'expérience, c'est-à-dire qu'elles font partie de mon présent vécu. Les perceptions au-delà de ce présent sont souvenirs et anticipations.

L'événement M peut être simultané avec Q, la perception de X, et R, la perception de Y. À un moment donné, Q peut cesser d'être une partie du présent vécu de X. À ce moment, M sera donc passé. Mais au même moment, R peut continuer à être une partie du présent vécu de Y. Ainsi M sera présent au même moment qu'il est passé.

Or, c'est impossible : M doit être à tout moment présent ou passé, mais pas les deux à la fois. Ce qui est en jeu ici, c'est la distinction entre mon présent vécu et le présent objectif : le présent à travers lequel les événements passe réellement n'est pas simultané au présent vécu. Un événement peut ainsi être passé quand j'en ai une expérience au présent ou présent quand j'en ai une expérience au passé.

L'irréalité du temps n'est donc pas si paradoxale que cela :

Le présent vécu de nos observations — tel qu'il varie de vous à moi — ne peut correspondre au présent des événements observés. Par conséquent, le passé et le futur de nos observations ne sauraient correspondre au passé et au futur des événements observés. Que l'on retienne l'hypothèse de la réalité du temps ou son contraire, tout ce qui est observé l'est dans un présent vécu, mais rien, y compris les observations elles-mêmes, ne peut être dans un présent vécu.

(On pourra consulter la page du professeur Uchii pour le schéma du temps mctaggardien)