C'est bien la peine d'attacher une importance aux mots pour finalement écrire un article qui porte le titre de Foulard islamique. Oui, c'est vraiment bien la peine.

Noyé par la logorrhée spectaculaire actuelle, je m'y perds. Que nous dit-elle ? Une chose très simple :

  • il faut interdire le foulard islamique au nom du principe de laïcité.

Il y a au moins deux choses étonnantes dans cette proposition. La première est que ce principe s'appliquerait à des élèves, alors qu'il semble pourtant bien qu'il n'est valable que pour les fonctionnaires. La seconde est que cette interdiction doit passer par une loi, alors qu'il existe déjà un Avis du Conseil d'État portant sur la question de savoir

si, compte tenu des principes posés par la Constitution et les lois de la République et eu égard à l'ensemble des règles d'organisation et de fonctionnement de l'école publique, le port de signes d'appartenance à une communauté religieuse est ou non compatible avec le principe de laïcité

Avis du Conseil d'État n° 346.893 du 27 novembre 1989.

Après avoir rappelé les textes constitutionnels, législatifs et les engagements internationaux de la France, le Conseil d'État précise que

le principe de la laïcité de l'enseignement public, qui est l'un des éléments de la laïcité de l'Etat et de la neutralité de l'ensemble des services publics, impose que l'enseignement soit dispensé dans le respect d'une part de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et d'autre part de la liberté de conscience des élèves. Il interdit conformément aux principes rappelés par les mêmes textes et les engagements internationaux de la France toute discrimination dans l'accès à l'enseignement qui serait fondée sur les convictions ou croyances religieuses des élèves.

Avis du Conseil d'État n° 346.893 du 27 novembre 1989.

On ne saurait être plus clair. Il en résulte que

dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels il entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses.

Avis du Conseil d'État n° 346.893 du 27 novembre 1989.

En précisant toutefois

que cette liberté ne saurait permettre aux élèves d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement normal du service public.

Avis du Conseil d'État n° 346.893 du 27 novembre 1989.

Cet avis a été écrit il y a maintenant quatre ans. Qu'est-ce qu'une loi, aujourd'hui, va modifier ? L'une des réponses à cette question consiste à expliquer que l'institution d'une loi a pour but de protéger l'école et, à travers elle, les valeurs de la Républiques. Cela semble impliquer que la République serait menacée, voire en danger et que cette menace viendrait directement de filles qui portent un foulard. J'ai beau relire la phrase précédente, je n'arrive pas à croire que l'on puisse soutenir sérieusement un tel argument. Dans une société friande de chiffres, il n'est nulle part mentionné la proportion d'élèves voilées par rapport aux élèves qui ne le sont pas : voilà pourtant quelque chose qu'il serait intéressant de connaître, au moment où ce gouvernement n'a que le mot de nécessité à la bouche.

C'est parce que je n'arrive pas à prendre au sérieux un tel argument que je ne crois pas que des élèves voilées présentent une menace pour la République. Cela suppose que je sois capable d'estimer un nombre à partir duquel le port d'un signe religieux à l'école devienne une menace. L'objection est simple : si vous considérez que ces quelques cas ne constituent pas une menace, à partir de quel nombre cela devient-il une menace ? Je pourrais répondre à cette question à partir d'une analyse des paradoxes du sorite, mais cela n'aurait aucun sens parce que cette question se dissout dans la seule réponse que je peux faire : une société menacée par un bout de tissu est effectivement menacée par n'importe quoi.

Que changerait une loi ?

Un autre angle d'attaque, autrement plus sérieux celui-là, consiste à partir du point de vue de ce que l'on pourrait appeler la condition de la femme. Je ne vais pas énumérer tous les arguments, ils sont suffisament connus : les femmes qui portent un foulard le font involontairement, soit par ignorance, soit par qu'elles y sont contraintes (pression familiale, manipulation des imans et/ou des avocats, etc.). Alors qu'il faudrait justement pointer en quoi il s'agit là d'un véritable asservissement de la femme, tout est fait pour entretenir la confusion :

  • confusion entre une situation locale (au hasard, la Phrance) et une situation globale (au hasard, l'Afghanistan),
  • confusion entre les femmes qui luttent pour ne pas porter le foulard et un État qui interdit d'école des femmes-filles qui le portent,
  • confusion entre les signes, entre d'un côté, les vêtements religieux et de l'autre côté, au choix, le vêtement laïque (autrement dit la blouse), le vêtement économique (la marque) ou le vêtement érotique (le string).

Bien sûr, s'il s'agissait de kippa et non pas de voile, il n'y aurait plus de problème : aucun député ou sénateur ne prendrait le risque de se voir traiter d'antisémite.

En fait, ce qui gêne le plus dans toute cette histoire, c'est que les filles-femmes concernées viennent d'une famille où le père, juif laïc, est l'avocat d'une association contre le racisme et la mère, kabyle baptisée catholique, c'est-à-dire qu'elles portent volontairement ce morceau de tissu. Et il est vrai qu'une loi va immédiatement faire cesser cette situation insoutenable.