Nous étions tombé d'accord sur la proposition suivante lors de notre dernière conversation : la physique contemporaine nous force à épouser une ontologie de l'événement. Or, plus j'y réfléchis, plus il me semble que cette proposition est rien moins qu'évidente. Si je passe sur cette histoire de mariage (Ah ! Ces façons de parler hétérosexuelles !), comment pourrions-nous justifier cette proposition ? Je pense qu'il faudrait examiner au moins les points suivants :

  • examiner à quelles théories physiques nous faisons référence lorque nous employons la locution physique contemporaine c'est-à-dire en donner une description suffisament précise sans tomber dans un niveau infra-physique (de la même façon que l'on parlera d'une discussion infra-philosophique) ;
  • examiner les éventuelles connections entre les théories physiques et l'ontologie. On pourrait en effet soutenir qu'il n'y en a pas et que l'évolution des sciences conduit à une connaissance de plus en plus raffinée des mêmes choses (Michel Bitbol, Mécanique quantique, une introduction philosophique, p. 369).

Si maintenant j'essaie de poser ces deux points en rassemblant mes connaissances, je me rends compte que tout n'est que confusion et que je suis incapable d'écrire une seule ligne valable. Des distinctions qui me paraissaient évidentes — comme celle entre un niveau microscopique, un niveau mésoscopique et un niveau macroscopique (ou cosmologique) — ne le sont plus. C'est peut-être l'âge qui veut ça.

Ne sombrons pas dans l'inquiétude ni dans le scepticisme et admettons à titre de présupposé qu'il y a bien une connection entre les théories physiques et l'ontologie et que les théories physiques impliquent une ontologie de l'événement.

Ce serait là adopter une position moniste, c'est-à-dire accepter une seule sorte d'entités dans notre ontologie, par opposition à une position dualiste, qui accepterait deux sortes d'entités et à une position pluraliste, qui en accepterait plusieurs sortes. Nous pouvons encore être moniste de deux façons : soit nous sommes réductionniste, c'est-à-dire que nous réduisons un type d'entité à un autre, soit nous sommes éliminabiliste (!), c'est-à-dire que nous estimons que la suppression d'un type d'entités est sans conséquence sur notre ontologie.

Il est pourtant difficile de se défaire de nos façons de penser et d'adopter cette attitude moniste : la distinction entre deux sortes d'entités fondamentales est sans aucun doute l'un des schèmes conceptuels les plus enracinés qui soit du sens commun. Nous pourrions même dire que ce schème structure notre vie quotidienne.

Il en va de même en philosophie. Traditionnellement, les philosophes ont élaboré des ontologies en s'appuyant sur la distinction entre d'un côté des substances et de l'autre côté des accidents. Cette distinction a bien entendu été mainte fois critiqué au cours de l'histoire, mais il semble que l'on ne puisse s'en débarasser si facilement : tout se passe comme si cette distinction — héritée d'Aristote — était incontournable.

Aujourd'hui encore, cette distinction est présente, mais sous un autre vocable, celui de continuant (continuant) et de devenant (occurents). D'après Lowe, dans A survey of Metaphysics, ces termes ont été introduit en 1921 par W. E. Johnston dans sa Logic. Nous les retrouvons chez Broad dans An Examination of Mc Taggart's Philosophy :

To put the distinction in general terms, we talk of Things as "enduring" or "persisting through" a period of time. We talk of Processes as "going on for" longer or shorter periods of time.

Broad, An Examination of Mc Taggart's Philosophy, 1933.

Nous avons ainsi d'un côté des choses, des substances ou des objets qui persistent à travers le temps, et de l'autre côté, des événements, des processus, des occurences ou des états qui se passent ou qui arrivent. Les unes sont spatialement étendues, les autres sont spatialemenet et temporellement étendues. Autrement dit, nous appellerons

  • continuant une entité qui possède des parties spatiales,
  • et devenant une entité qui possède des parties spatiales et des parties temporelles.

dans un sens qu'il restera à détailler par la suite.

Mise à jour du 17.XII.06 :  les commentaires sont fermés pour cause de pourriels. Merci de passer par l'adresse de messagerie en cas de questions.