Le philosophe Paul Ricœur est mort vendredi 20 mai. Dans un recueil d'entretiens, il présentait ainsi l'un de ses ouvrages Soi-même comme un autre :

Je tiens beaucoup à cette avancée à partir d'un premier niveau, où l'on répond à la question aristotélicienne : que signifie la poursuite de la vie bonne ?, vers un second niveau où l'on répond à la question kantienne : qu'est-ce qu'obéir au devoir ?, pour parvenir à un troisième niveau où l'on se demande : qu'est-ce que résoudre un problème éthico-pratique ? […] Je viens de parler de la structuration verticale, en trois niveaux. Mais chacun de ces niveaux est constitué par trois termes : le même, l'autre porteur d'un visage, et l'autre qui est le tiers, sujet de la justice. Mon problème est de constituer cette triade d'un niveau à l'autre. Et d'abord de la constituer au premier niveau, en disant que la vie éthique est le souhait d'un accomplissement personnel avec et pour les autres, sous la vertu d'amitié, et, en rapport avec un tiers, sous la vertu de justice. […] Il me paraît important d'insister sur cette première caractéristique du juste comme figure du bon ; c'est le bon avec et pour un autre, pour un autre qui n'est pas porteur d'un visage mais qui est le socius que je rencontre à travers des institutions ; c'est l'autre des institutions, et non pas l'autre des relations interpersonnelles. Au deuxième niveau, je poursuis le destin de cette triade, reformulée dans les termes du respect de soi, du respect de l'autre et de toutes les formes normées de la justiceà travers les structures procédurales. Le troisième niveau naît de la rencontre de situations tragiques ; c'est là que j'affronte toutes les perplexités : le soi sans le soutien d'une constitution de mêmeté, avec la question : comment déchiffrer sa propre vie dans les situations d'incertitude, de conflit ou de risque ?

Paul Ricœur, La critique et la conviction, pp. 141-142.