Parler de classe fondamentale des vécus intentionnels renvoie aux qualités d'actes et il ne faut pas oublier que l'essence intentionnelle de l'acte se décompose en moment de la matière et en moment de la qualité. De même, les discussions concernant les actes nominaux et les actes propositionnels n'impliquent pas des différences de qualités.

Il ne faut pas non plus se laisser abuser par l'expression modes de conscience différents : elle indique qu'il y a des actes d'espèces différentes et non pas que ce sont des actes de qualité différente. Ainsi, deux représentations positionnelles équivalentes visent la même objectité au moyen de matières différentes. De même, lorsque l'énoncé prend la fonction nominale, sa signification est modifiée, c'est-à-dire que c'est une modification de la matière, la qualité restant identique. Du point de vue de la qualité, Husserl veut montrer qu'il y a une communauté de genre entre les actes nominaux et les actes propositionnels. Pour ce faire, il introduit un nouveau concept de représentation, le quatrième, qui est plus large que le précédent : la représentation comme acte objectivant.

Dans les actes nominaux, il avait fallu distinguer entre

  1. les actes positionnels ;
  2. les actes non positionnels.

Les premiers sont des visées d'existence (exemple : la perception sensible, l'appréhension présomptives d'existence en général, les actes qui visent l'objet comme existant), les seconds laissent en suspens l'existence de leurs objets. Ils sont tous les deux liés par une loi, de telle sorte qu'à chaque acte positionnel correspond un acte non positionnel et réciproquement. Le passage de l'un à l'autre, c'est-à-dire de l'acte nominal positionnel à la simple représentation, exige une modification qui a la même matière.

C'est la même modification à l'oeuvre dans le cas des jugements. On y distinguera

  1. les actes propositionnels thétiques ;
  2. les actes propositionnels non thétiques.

Les jugements (actes propositionnels thétiques) ont leurs corrélats dans de simples représentations (actes propositionnels non thétiques) de la même matière.

Il n'y a pas de différence qualitative à l'intérieur des actes nominaux et à l'intérieur des actes propositionnels : le passage de l'acte positionnel à l'acte modifié correspondant n'est pas lié à une modification qualitative, comme si nous passions d'un acte nominal à un acte de désir par exemple. Il en va de même pour le passage de l'acte propositionnel à son corrélat modifié.

Par contre, le passage d'un acte nominal positionnel à un acte d'énoncé affirmatif, même s'il concerne le passage entre deux genres qualitativement différents, acte nominal d'un côté et acte propositionnel de l'autre, n'est pas non plus une différence qualitative. Cela est également valable pour le passage aux actes modifiés correspondants. C'est au contraire la matière qui constitue la différence entre les deux et qui donne ainsi son unité aux deux sortes d'actes, nominaux et propositionnels.

Ainsi se délimite un vaste genre de vécus intentionnels, qui embrasse selon leur essence qualitative tous les actes que nous avons envisagés, et qui détermine le concept le plus large que puisse signifier le terme de représentation au sein de l'ensemble de la classe des vécus intentionnels. Nous désignerons nous-mêmes ce genre qualitativement unitaire et pris dans son extension naturelle comme celui des actes objectivants.

La différenciation qualitative des actes objectivants permet de distinguer les actes positionnels des actes non-positionnels, de la même façon que la différenciation de la matière permet de distinguer les actes nominaux des actes propositionnels.

Plus importante encore, une troisième distinction, issue des analyses du chapitre précédent, intervient ici :

  1. les actes synthétiques (formant une unité dans leur multiple rayonnement) ;
  2. les actes formés d'un seul rayon (positionnels par thèse unique, ou encore les actes de suspension de jugement).

La synthèse prédicative est une forme privilégiée de la synthèse, opposée à d'autres formes de synthèses, bien qu'elle soit souvent entrelacée avec elles, comme la synthèse conjonctive ou la synthèse disjonctive. Par exemple, A et B et C sont p, est une prédication unitaire composée de trois couches prédicatives se terminant dans le prédicat p. Ce dernier est maintenu identique et posé dans l'acte formé des trois couches à partir des positions de A, de B et de C. Ce jugement possède une position de sujet et une position de prédicat et le membre sujet est une conjonction unitaire de trois membres nominaux. Si ces membres nominaux sont bien liés dans la conjonction, ils ne sont pas pour autant réunis dans une seule représentation nominale.

La synthèse conjonctive (ou collective) et la synthèse prédicative permettent une nominalisation dans laquelle le collectif (déjà constitué par la synthèse) devient, dans un nouvel acte à un seul rayon, un objet simplement représenté et cela s'applique pour toutes les synthèses

en toutes est possible l'opération fondamentale de la nominalisation, de la transformation de la multiplicité de rayons synthétique, composée de couches successives en une unique orientation intentionnelle « nominale » conservant la matière correspondante qui renvoie à la matière originaire.

La classe des actes objectivants s'articulerait maintenant ainsi :

  1. les actes thétiques ou à rayon unique (non articulés)
  2. les actes synthétiques ou à rayons multiples (articulés)

L' analyse du tout synthétique, en tant qu'il forme un seul acte objectivant, nous conduirait à distinguer en lui des formes synthétiques (syntaxes) et des membres. Ceux-ci se scinderaient en membres simples et membres complexes, ces derniers étant eux aussi articulés tout en formant une unité synthétique : les sujets conjonctifs de prédications plurales (A et B et C sont p) en est un bon exemple. Les membres simples ne sont pas encore les membres primitifs : ce sont des membres objectivants à un seul rayon (synthèses nominalisées, représentations nominales d'état de choses, etc.).

C'est quand la matière ne renvoie plus à d'autres membres, c'est-à-dire quand il n'y a plus d'implications d'articulation ni de formes synthétiques, que nous atteignons les membres véritablement simples, non articulés quant à la matière et à la forme (les représentations de noms propres par exemple).

L'examen général de ces articulations possibles et de ces formations synthétiques nous conduirait aux lois de la grammaire pure logique. Ce qui est le plus essentiel dans cet examen, ce sont les matières (les sens d'actes objectivants) à travers lesquelles s'expriment toutes les formes de constitution de synthèses objectivantes. Husserl donne quelques exemples de synthèses objectivantes : toute matière objectivante peut remplir la fonction de membre matériel dans toute synthèse de n'importe quelle forme possible ; ainsi, toute matière de ce genre est soit une matière propositionnelle, soit un membre possible de cette matière.

Ou encore, il est possible pour des matières objectivantes quelconques de se combiner avec des qualités quelconques : la distinction établie entre les actes nominaux et les actes propositionnels viendrait à l'appui de cette possibilité. Mais il est vrai que nous ne nous sommes occupés que des modifications du jugement, c'est-à-dire la modification de l'acte propositionnel thétique en acte nominal.

Or, tout jugement modifié qualitativement en une simple représentation peut aussi se transformer en un acte nominal correspondant : la simple représentation de jugement 2 + 2 est égal à 5 peut se transformer en nom que 2 + 2 est égal à 5. Dans ce cas de transformation de proposition en nom, nous parlerons également de modification. Mais celle-ci ne modifie pas les qualités : il y a juste une transformation de matière propositionnelle (en général synthétique) en matière nominale. Nous examinerons dans la section suivante cette distinction entre la modification qualitative et la modification conforme de l'acte positionnel.