pour la petite histoire, j'ai été « virée » de ma revue (je ne cite pas) à cause de « mes options en philo analytique ».

Je ne pensais pas avoir encore à lire ce type de commentaire en 2007, mais comme le précise François

le schisme entre deux traditions philosophiques est hélas un fait

Souvenirs, souvenirs

Je me souviens en 1991, lorsque, fraîchement débarqué de mon lycée, une partie du Morfeaux en tête (coucou Mme Marignac !), j'avais assisté à mon tout premier cours sur l'atomisme logique de Wittgentein et de Russell via une lecture du Tractatus, par Roger Pouivet à l'Université de Rennes 1. C'était la première fois que j'entendais le terme de philosophie analytique.

A l'époque, j'ai l'impression que l'existence de deux traditions philosophiques n'était pas si marquée que cela : il y avait plutôt un petit nombre de cours, qui contrastait avec l'ensemble des cours proposés, dans leurs façons technique (la découverte des p et des q) et exotique (nous allons examiner le traitement extentionnel de la modalité temporelle) d'aborder les textes.

Peut-être était-ce dû à l'inexistence de la littérature gallo-romaine : la Begriffsschrift de Frege ne sera traduite en français que neuf ans plus tard, les ouvrages de Pascal Engel, La norme du vrai, et de Michael Dummett, Les origines de la philosophie analytique, venaient de sortir ; quant aux masses, elles pouvaient se rabattre sur La philosophie analytique publié dans la collection Que sais-je ? par Jean-Gérard Rossi.

Je retrouve cette impression aujourd'hui lorsque je parcours la version francophone de Wikipédia : vous avez d'un côté un portail de philosophie et de l'autre un portail de philosophie analytique, sans que l'on sache très bien pourquoi cette distinction est faite, ni à quoi elle correspond (elle n'existe pas dans la version anglophone).

Joue contre joue

Puisque l'existence de deux sortes de traditions philosophiques semble aujourd'hui bien établie, qu'est-ce qui nous permet de les distinguer ? Je propose les cinq caractéristiques suivantes :

  1. le souci des problèmes
  2. l'importance de l'argumentation
  3. la prise au sérieux de la logique
  4. la sympathie pour la science
  5. l'anti-héroïsme

Je ne pense pas que ce soit là des caractéristiques extraordinaires ; c'est même le minimum que l'on est en droit d'attendre d'un philosophe ou d'une philosophie. À vrai dire, ces critères tracent moins une frontière entre une tradition dite analytique et une tradition dite continentale qu'entre bonne philosophie et mauvaise philosophie ou, pour le dire plus crûment, entre philosophie exacte et bavardage.

Si je devais esquisser un schéma de cette opposition, il ressemblerait à celui-là :

Les trois traditions

On dit que le temps vous emporte

Je me suis souvent défini de manière ironique sur ce carnet comme un phénoménologue tendance canal historique. C'est qu'on a souvent oublié cette troisième tradition autrichienne, on l'a même carrément occulté en France (remember Brentano ?). Ce n'est que très récemment, avec les travaux anglophones de Barry Smith, Kevin Mulligan et Peter Simons ou francophones de Jocelyn Benoist.

Quand Peter Simons réévalue la 3e Recherche logique de Husserl avec les outils de la logique formelle, est-ce de la philosophie analytique ? J'aurai plutôt tendance à penser que non, que cette question n'a peut-être même pas lieu de se poser et qu'il s'agit de philosophie tout simplement. Barry Smith a développé ce point dans son article Israel en expliquant que notre façon de tracer des divisions n'est peut être pas la bonne :

Certains conçoivent la philosophie comme divisée entre philosophie analytique et philosophie continentale. Comme l'a noté John Searle, c'est comme si vous conceviez les États-Unis comme divisés entre le business et l'état du Kansas.

Malheureusement, l'affirmation de Searle n'a pas reçu toute l'attention qu'elle mérite. Sa remarque pointe le fait que nous avons, dans chacun de ces cas, une étrange manière de diviser, en séparant un domaine pré-établi (États-Unis, Philosophie) en une partie définie, jusqu'à un certain degré, en termes spatiaux, tandis que l'autre l'est, toujours jusqu'à un certain degré, en termes de pratiques ou de caractéristiques qui ne sont pas, elles, directement spatiales.

Le texte qui suit est une théorie de telles divisions et une théorie des agglomérats (populations, mouvement, systèmes de croyances) qui sont sujets de ces divisions. Il offre une théorie ontologique générale du nous et des autres, du ici et du là-bas, du Moi, colonisateur hégémonique et de l'Autres, indigène colonisé.

Cette note a été écrite avec beaucoups d'arrières-pensées, en pensant à une amie qui m'est très chère.

Mise à jour du 21 janvier : au moment de mettre en ligne mes souvenirs d'ancien combattant, Julien a remarquablement détaillé dans son billet Analytique versus Continental, une mise au point ces histoires de traditions. Ma note n'en est que plus bancale.