Le dilemme d'Euthyphron
25 juillet 2007
- Socrate
- [10a] C’est ce que nous allons voir tout à l’heure ; essayons. Le saint est-il aimé des dieux parce qu’il est saint, ou est-il saint parce qu’il est aimé des dieux ?
- Euthyphron
- Je n'entends pas bien ce que tu dis là, Socrate.
- Socrate
- Je vais tâcher de m'expliquer. Ne disons-nous pas qu'une chose est portée, et qu'une chose porte ? Qu'une chose est vue, et qu'une chose voit ? Qu'une chose est poussée, et qu'une chose pousse ? Comprends-tu que toutes ces choses diffèrent, et en quoi elles diffèrent ?
- Euthyphron
- Il me semble que je le comprends.
- Socrate
- Ainsi la chose aimée est différente de celle qui aime ?
- Euthyphron
- Belle demande !
- Socrate
- [10b] Et, dis-moi, la chose portée est-elle portée, parce qu'on la porte, ou par quelque autre raison ?
- Euthyphron
- Par aucune autre raison, sinon qu'on la porte.
- Socrate
- Et la chose poussée est poussée parce qu'on la pousse, et la chose vue est vue parce qu'on la voit ?
- Euthyphron
- Assurément.
- Socrate
- Il n'est donc pas vrai qu'on voit une chose parce qu'elle est vue ; mais, au contraire, elle est vue parce qu'on la voit. Il n'est pas vrai qu'on pousse une chose parce qu'elle est poussée ; mais elle est poussée parce qu'on la pousse. Il n'est pas vrai qu'on porte une chose parce qu'elle est portée ; mais elle est portée parce qu'on la porte : cela est-il assez clair ? [10c] Entends-tu bien ce que je veux dire ? Je veux dire qu'on ne fait pas une chose parce qu'elle est faite, mais qu'elle est faite parce qu'on la fait ; que ce qui pâtit ne pâtit pas parce qu'il est pâtissant, mais qu'il est pâtissant parce qu'il pâtit. N'est-ce pas ?
- Euthyphron
- Qui en doute ?
- Socrate
- Être aimé n'est-ce pas aussi un fait, ou une manière de pâtir ?
- Euthyphron
- Oui.
- Socrate
- Et n'en est-il pas de ce qui est aimé comme de tout le reste ? Ce n'est pas parce qu'il est aimé qu'on l'aime ; mais c'est parce qu'on l'aime qu'il est aimé.
- Euthyphron
- Cela est plus clair que le jour.