C’est une opinion commune qui était présente dans tous les manuels d’anthropologie à propos des sociétés sans classe ni caste. Dans ces sociétés sans État, autrefois dites « primitives », les rapports de parenté semblaient avoir le rôle fondateur en créant les liens qui unissaient les différents groupes humains entre eux. Mais ce n’était pas seulement une opinion d’anthropologues. C’était une opinion partagée par des hommes religieux, des politiques et l’opinion publique. Dans ma jeunesse, j’ai eu la chance de pouvoir étudier une population de Nouvelle-Guinée, les Baruya. Ceux-ci m’ont déclaré alors qu’ils étaient devenus une « société » plusieurs siècles auparavant seulement. Ce fait m’a posé la question : comment naissent des sociétés ? Au cours d’une vingtaine d’années, j’ai passé sept ans parmi les Baruya. Et j’ai dû constater que ce n’étaient ni les rapports de parenté, ni les rapports économiques entre les individus et entre les clans qui constituaient la base qui avait servi à faire des Baruya une société.

Entretien avec Maurice Godelier