Karl Kraus disait déjà « ne pas avoir d’idées et savoir les exprimer : c’est ce qui fait le journaliste. »

« Il y a des formes de nationalisme philosophique que je ne peux considérer autrement que comme puériles et déshonorantes, en particulier celle dont la rue d’Ulm semble être devenue depuis quelque temps la représentante par excellence dans sa façon de militer pour le retour à la seule philosophie digne de ce nom - autrement dit, la philosophie française, et plus précisément la « French Theory ». Verra-t-on un jour arriver enfin une époque où on trouvera normal, pour ceux qui estiment avoir des raisons de le faire, de pouvoir critiquer certaines des gloires de la philosophie française contemporaine, comme Derrida, Deleuze, Foucault et d’autres, sans risquer d’être soupçonné immédiatement d’appartenir à une sorte de « parti de l’étranger » en philosophie ? Si la philosophie, au moins quand il s’agit de penseurs de cette sorte, est en train de se transformer en une sorte de religion dont les dogmes et les ministres sont à peu près intouchables, je préfère renoncer tout simplement, pour ma part, à la qualité de philosophe. Et s’il y a une régression qui est en train de s’effectuer, je crains malheureusement que ce ne soit pas dans le sens qui est suggéré par les gens que vous avez interrogés, mais plutôt dans l’autre 4. J’ai, en effet, bien peur que ce ne soient d’abord ceux qui, comme moi, depuis le milieu des années 1960 ont essayé, dans des conditions particulièrement défavorables, d’ouvrir la philosophie française sur l’étranger et de l’internationaliser un peu plus, qui ont des raisons de s’inquiéter. Mais c’est, me semble-t-il, plutôt de leur côté que de celui des défenseurs de la philosophie essentiellement et même parfois uniquement « française » que devrait se situer un journal ayant des ambitions intellectuelles comme le vôtre. »

Jacques Bouveresse, Poussée de nationalisme philosophique à la rue d’Ulm

(via @NicholasPain)