IV

 

 

    Une fois arrivé à destination, j’ai à peine le temps de prendre mon sac que le chauffeur démarre déjà, manquant de m’arracher un bras. Non mais il est complètement fou, lui ! Il a une idée de combien peut coûter une prothèse de bras, sans parler de son entretien ?

    Ces Poliens, je vous jure… Hum ? Oui, c’est le nom des autochtones. Aussi ridicule que leur apparence hideuse. Tous recouverts de longs poils. Beurk.

    Je me demande si je ne devrais pas investir dans un salon de coiffure… ou de toilettage canin, d’ailleurs, sur cette planète : voilà un investissement qui pourrait s’avérer lucratif. Mais bref, je ne suis pas là pour ça.

    Où se trouve mon hôtel ? Voyons voir… Je sors mon Ipadphone pour retrouver les infos le concernant : place Stinaslis. C’est bon, c’est ce qu’indique le panneau au coin d’un bâtiment voisin. Quel numéro, maintenant ? Quarante-deux ? Normal…

    Allons-y pour la balade. J’espère que c’est pas loin, ma cheville m’élance de plus en plus. Alors… Trente-six… trente-huit… quarante… quarante-quatre… Hein ? Quoi ? Comment ça, quarante-quatre ? Je ne sais plus lire, ou quoi ? Si encore les numéros n’étaient indiqués qu’en polien, je ne dis pas, mais là ils sont aussi notés en desesperanto. Je ne suis pas fou, c’est bien quarante-deux qu’il y a noté concernant mon hôtel !

    Or entre le numéro quarante et le quarante-quatre, il y a un jardin ! Qu’est-ce que c’est que ce cirque digne de Zatavva ?

    Je tope un jeune autochtone… ou un autochtone nain, peut-être, difficile à dire quand on ne distingue pas les traits de ses interlocuteurs, et lui demande en desesperanto :

    – Excusez-moi. Moi chercher hôtel… Vous comprendre moi ? Hôtel ! Ici, sur la place ! Vous aider moi ?

    L’autochtone me regarde – enfin je pense, vu (si on peut dire) que je ne vois pas ses yeux –, il lève la main et frotte son pouce sur ses autres doigts. Si c’est bien le geste auquel je pense, il veut de l’argent…

    Allons bon, voilà qu’il tend carrément la main, maintenant !

    Je reprends :

    – Oui mais… vous vraiment pouvoir aider moi ?

    Il opine du chef.

    Bon, on ne va pas y passer la journée non plus ! Je mets un billet de dix dans sa main. Il le fait disparaître dans sa fourrure et retend la main. J’hésite puis en mets un autre, qui subit le même sort que le précédent. Une fois ce manège effectué cinq fois, la moutarde tabascoienne commence sérieusement à me monter au nez et je lui dis :

    – Non mais dis donc, espèce de boule de poils puante ! Tu ne serais pas en train de te fiche de moi ?

    Il se met à s’agiter et je reprends plus lentement, cette fois-ci, afin qu’il comprenne un tant soit peu :

    – Moi donner toi assez argent ! Toi dire moi où hôtel est ! Kapich ?

    Oui, j’avoue, ce dernier mot est tiré de l’argot ritalitalien. Au point où j’en suis, je peux bien me payer un peu la tête de ce poilu inculte !

    Il faut croire que celui-ci ouvre la bouche, car une voix mélodieuse se met alors à émaner de lui :

    – Sy, Kapich. Mais vous pouvez continuer à parler en desesperanto, c’est une langue que je maîtrise à la perfection pour l’avoir étudiée dans la meilleure université de P-oilad’e. Par contre, j’ignore si vous parviendrez à me comprendre car j’ai le sentiment exacerbé que vous avez de sérieuses lacunes en la matière. Sauf en jurons… Je me demande si je vais vous aider, finalement.   

    Oh non ! Il ne faut pas qu’il m’abandonne ! Sinon je serai obligé de tout recommencer, retrouver un autochtone, me faire racketter à nouveau ! Parce que bon, là c’était limite, quand même…

    – Bon, d’accord. J’admets avoir peut-être éventuellement légèrement dépassé les bornes, et je n’aurais pas forcément dû. Vous pouvez m’aider ?

    – Ce sont des excuses ?

    – Hé bien… oui.

    – Hum… Bien, je condescends à les accepter, malgré votre impolitesse.

    J’ai l’impression de m’arracher la gorge quand je lui réponds dans un coassement :

    – Merci.

    – Voilà qui est mieux ! Alors, quel endroit cherchez-vous, au juste ?

    – Un hôtel est censé se trouver sur cette place, au numéro quarante-deux, mais impossible de le trouver ! Pourtant, il devrait être ici !

    Quand je désigne le jardin du doigt, l’autochtone s’exclame :

    – Ah oui, bien sûr, cet hôtel-là !

    – Vous savez où il se trouve ? que je demande avec espoir.

    – Oui, nous y sommes.

    – Comment cela ? Il n’y a rien d’autre que de l’herbe stupide, des arbres idiots et des fleurs moches !

    – En fait, cet hôtel a mis la clé sous la porte au semestre dernier et a été rasé il y a un mois. Il était insalubre depuis trop longtemps, de toute manière.

    – C’est impossible ! J’ai réservé un lit dans cet hôtel pour la semaine !

    – Ah oui ? Je pense que vous vous êtes fait arnaquer, dans ce cas.

    – Mais enfin… Quand je pense que j’ai payé une semaine d’avance ! Je fais comment, moi, maintenant ?

 

    Il se remet à frotter son pouce contre le bout de ses doigts, puis tend la main. Je soupire en sortant mon portefeuille.

 

    Saloperie de planète… Je veux rentrer à la maison !