XI

 

 

    Et là, mes sauveurs éclatent tous de rire. Le conducteur nous gratifie d’un nouveau « Hoy ! Hoy ! Hoy ! ». Il me semble qu’il possède un vocabulaire plutôt limité, celui-là.

    J’avoue qu’à ce moment, je ne sais pas quoi faire ni dire. Me considèrent-ils comme une souris, qu’ils attendent voir bouger pour jouer avec, griffes effilées sorties ? Du coup, je reste stoïque.

 

    Et si j’aboyais, ils me laisseraient peut-être tranquille ?

 

    Après réflexion, je préfère m’abstenir.

 

    Le conducteur se tourne alors vers moi et me dit :

    – Vous l’avez échappé belle, mon ami ! Quel courage vous avez eu de vous lancer dans le vide plutôt que de vous laisser emprisonner par ces détestables non-humains ! Hoy ! Hoy !

    Alors que ses camarades et moi-même lui crions de regarder sa route, il s’exécute une paire de secondes avant de se retourner à nouveau et de me lancer :

    – Vous êtes un homme à mon goût ! Vous devriez rejoindre notre groupe !

    Face à notre nouveau mur de cris d’angoisse, il se reconcentre sur le pilotage du speeder.

    Et moi je me demande : quel groupe ? Serait-il même judicieux que j’en demande plus à ce sujet ?

    Et puis bon, il a bon dos de critiquer les non-humains : sa civilisation ne connaît pas le concept du miroir ?

 

    L’homme qui m’a miaulé dessus me tend la main en déclarant :

    – Mean Jartin, enchanté.

    – Ah, vous parlez le desesperanto ?

    Voilà qui me soulage quelque peu.

    – Bien sûr, je suis un humain de Planèteville !

    – Avec des vibrisses et une queue ?

    – Des vibr… quoi ?

    – Hoy ! Hoy ! Hoy ! Il veut parler des moustaches, intervient le conducteur en se retournant à nouveau vers nous.

    Nous lui crions tous dessus pour qu’il regarde sa route plutôt que ses passagers. Il se reçoit une tomate pourrie sur le crâne, mais je n’arrive pas à identifier celui qui la lui lance.

    – Ah, la moustache et la queue ! reprend mon interlocuteur. Ce sont des leurres pour passer inaperçu.

    Bah oui, tout s’explique…

    Face à la goutte de sueur qui perle sur ma tempe, ou face à mon air interloqué, il continue :

    – Les Poliens sont résolument anti-humains, alors nous sommes obligés de nous déguiser pour passer inaperçus.

    – C’est réussi, que je réponds dans un soupir.

    – C’était mon idée ! Elle est vachement réussie, hein ? Hoy ! Hoy !

    En plus des cris, l’un de ses camarades le frappe, cette fois-ci. Il se reconcentre une nouvelle fois sur sa route et évite une collision de justesse.

    – Hoy ! Hoy ! En fait j’ai créé la LALAH.

    – Ah, vous faites des vocalises ? que je demande.

    Un ange sans ailes passe en marchant, et le conducteur répond :

    – Les Poliens se sont fédérés en Ligue Anti-Humains, alors j’ai constitué la Ligue Anti-Ligue-Anti-Humains. Et les déguisements, c’est mon idée aussi ! Hoy ! Hoy ! Bien trouvé, hein ?

    Il s’attend vraiment à ce que je lui réponde ?

    – Nous sommes membres des SSI, pour ne rien vous cacher. Nous avons suivi de près l’évolution de cette planète et avons dû nous adapter pour survivre. Hoy ! Hoy !

    – Mais que font les SSI ici ? je demande, le journaliste en moi reprenant le dessus.

    Un scoop, peut-être ?

    – Mission ultra-secrète, répond l’un d’eux.

    – On ne peut rien dire, ajoute le second.

    – Si on vous en parlait, on serait obligés de vous tuer après, surenchérit le troisième.

    – Botus et mouche tsé-tsé cousue, dit le quatrième en posant l’index sur ses lèvres.

    – Hoy ! Hoy ! En fait nous enquêtons sur la disparition d’un de nos collègues. Robinert Flocoche, qu’il s’appelle. Vous avez entendu parler de lui ?

    Tandis que ses collègues lui crient dessus et le frappent, autant pour avoir vendu la mèche que pour s’être tourné vers nous, je reste abasourdi.

 

    Robinert Flocoche ? Le colonel Flocoche ? Ancien directeur d’Empire Actualités, porté disparu et remplacé par cette saloperie de Jojo-Bébert de NobleMaison ? Mais… mais… mais… Si j’aide à le retrouver, qu’il reprend sa place à la tête du journal, NobleMaison sera éjecté et je serai assis à la droite de Dieu, finalement ?

    Je m’exclame :

    – Bien sûr que je connais Flocoche ! C’était mon patron, mon mentor même, le grand frère-père-grand-père que je n’ai jamais eu ! Je ferai tout pour vous aider à le sauver ! En fait je comptais commencer à écrire sa biographie…

 

    En entendant cela, ils ont tous l’air rayonnant. Ouf, moi qui craignais d’en avoir trop fait…

    – Hoy ! Hoy ! Je suis ravi d’entendre cela ! Nous avons très peu de chances de nous sortir vivants de l’opération « sauver Flocoche », genre 1%, mais avec vous en nouvel allié, nos chances passent à 1,5%, ce qui est déjà mieux ! J’aime les braves de votre genre, prêts à risquer leur vie alors que toutes les statistiques sont contre vous ! Hoy ! Hoy ! Hoy !

    1,5… ? Houlà, personne n’avait parlé de risquer sa peau ! Surtout pour ce détestable Flocoche, ce lèche-bottes des puissants ! Mais comment le leur dire, maintenant ?

 

    Je me sens déprimé. Un comble quand on est entouré de clowns.