– Je vous demande pardon ? fit Harlington, sur la défensive.
– Voici mon idée, poursuivit Emgpé. En détruisant votre vaisseau et l’avant-poste, la voûte de nos cavernes devrait s’écrouler, d’après les calculs des scientifiques ralliés à notre cause.
– Et ?
– Vous ne comprenez donc pas ? Ce serait la fin de notre civilisation, la fin du rigorisme religieux ! Les lois de la Tradition disent que les Soffrés doivent vivre sous la surface de la planète, et que tous ceux qui enfreignent cette règle fondamentale sont punis de mort par nos dieux. Avec la destruction de la voûte, nous vivrons de fait à la surface. Bien sûr, nous ne mourrons pas suite à un châtiment divin, et le peuple comprendra alors que toute notre société, toute notre religion reposent sur du vent.
– C’est une idée qui a ses mérites, concéda Harlington. Mais pourquoi ne pas faire sauter la voûte de l’intérieur, avec des explosifs artisanaux, par exemple ?
– Il est impossible de s’en procurer, les autorités verrouillent le marché des armes avec une efficacité qui confine à la paranoïa. De plus, de telles explosions ne seraient rien à côté de la destruction de votre vaisseau, dont la puissance est tiré d’un mélange matière-antimatière.
– Comment se fait-il que vous ne vous contentiez pas de vous téléporter à la surface pour y vivre ? intervint T’Savhek.
Harlington s’en voulut de ne pas avoir pensé plus tôt à une solution aussi simple.
– Nous utilisons deux systèmes de téléportation. Le plus courant, utilisé par tout le monde, nous permet de nous téléporter de grotte en grotte via un système de signaux-relais. Mais il n’est pas assez puissant pour nous téléporter à la surface, l’épaisseur et la composition des roches au-dessus de nos têtes formant un écran naturel. En revanche, il existe un système plus élaboré, détenu par les autorités. C’est celui-là même qui leur a permis de vous amener ici, vous et les vôtres.
– Et aucun résistant n’a jamais réussi à mettre la main dessus ?
– En de très rares occasions, c’est arrivé. Mais nous n’avons jamais eu de nouvelles de nos concitoyens libérés. Soit ils ont été repris par les autorités, soit ils mènent la belle vie à la surface, conclut Emgpé dans un sourire plein d’espoir.
Harlington et T’Savhek échangèrent un regard. Si des Soffrés avaient vécu à la surface, les senseurs de l’avant-poste et du Baltimore les aurait détectés à coup sûr. Après avoir hésité, Harlington décida d’en informer ses hôtes.
Emgpé et Jussé accusèrent le coup. Les autorités étaient encore plus cruelles qu’ils ne l’avaient pensé. Emgpé redressa la tête et annonça fièrement :
– Nous ne renoncerons pas. Nous libérerons notre peuple ! Allons détruire votre vaisseau !
– Je pense qu’il y a une autre solution, fit Harlington. D’autant que nous aurons besoin du Baltimore pour quitter Narnaya Prime.
– Pourquoi vous inquiéter ? De toute manière, d’autres viendront à votre recherche, n’est-ce pas ? Nous y avons veillé.
– Comment ça, vous y avez veillé ?
– Les autorités émettent un signal vers l’espace, indiquant que nul ne doit approcher de Soffré sous peine de mort. Or nous avons désactivé ce signal et bricolé un système qui laisse croire que l’avertissement est toujours en activité.
Harlington fut interloqué de l’entendre : son équipage et l’avant-poste avaient été capturés à cause de ce sabotage des résistants. Et non contents d’avoir entraîné les membres de Starfleet dans leur guerre larvée, voilà qu’ils voulaient détruire l’avant-poste et le Baltimore !
– Il est hors de question que je détruise mon navire, annonça Harlington.
Il leva la main pour couper court aux protestations des deux Soffrés et reprit :
– On pourrait tout simplement s’emparer du Baltimore, le faire décoller et tirer dans le sol pour faire s’écrouler la voûte. Je suis sûr que nos torpilles à photon en viendront à bout.
Les Soffrés se consultèrent du regard avant d’acquiescer. Disposer de la puissance de feu du navire de Starfleet leur garantissait la victoire !
– Par contre, deux questions se posent, reprit Harlington. Comment se téléporter à la surface si vous n’avez pas accès a cette technologie, et surtout comment éviter d’être à nouveau téléporté par les autorités ?
À ces mots, Emgpé releva la manche de son bras gauche pour montrer l’appareil électronique fixé à son avant-bras.
– Bien des Soffrés sont morts pour que nous puissions obtenir cette unité de téléportation. C’est elle qui nous permettra de libérer notre peuple ! Outre le fait qu’elle permet de se rendre à la surface, l’unité empêche tout verrouillage sur son porteur.
– Voilà qui ne résout pas grand-chose. Si vous n’en avez qu’un, une seule personne peut rallier le Baltimore, or il en faudrait au moins deux pour faire décoller le navire.
– Nous n’avons pas réussi à dupliquer l’unité de téléportation, mais nos meilleurs analystes estiment que sa puissance peut suffire à téléporter trois personnes, pourvu qu’elles soient en contact physique.
– Mais vous n’en êtes pas sûrs ? demanda Harlington.
– Pas tout à fait, non. Mais nous le saurons vite, je compte vous accompagner !
– Une dernière chose, fit T’Savhek. Le porteur de l’unité ne pourra pas se faire reprendre, mais ce ne sera pas le cas des deux personnes qui l’accompagneront.
– Je le sais, admit Emgpé, mais je n’ai pas de solution. La vitesse sera la clé, et c’est le possesseur de l’unité qui devra prendre les commandes et se débrouiller seul quand les deux autres auront été repris. Il me paraît certain que cela arrivera, mais nul ne saurait prédire le temps que vont mettre les autorités à réagir.
Harlington décida que T’Savhek porterait l’unité de téléportation, lui-même n’étant qu’un pilote médiocre.

Dès que T’Savhek eut été équipée, Harlington et Emgpé posèrent chacun une main sur une épaule de la Vulcaine.
– Que Saint Larka soit avec vous, annonça avec gravité Jussé avant de s’incliner solennellement devant eux.
Emgpé manipula les commandes de l’unité et les trois silhouettes disparurent.