Dès qu’ils furent à bord, Harlington et T’Savhek se précipitèrent sur la passerelle et gagnèrent respectivement les postes de pilotage et de navigation. La Vulcaine lança la procédure de démarrage, ensemble de tâches d’autant plus complexe qu’elle devait l’assumer seule, les compétences de Harlington en la matière étant rudimentaires. Lui se chargeait des sous-programmes, qu’il exécutait dès que sa subordonnée lui en donnait l’ordre.
Il fut impressionné de voir à quel point T’Savhek pouvait être performante dans un rôle qui n’avait pourtant rien à voir avec sa spécialité d’ingénieur. Il l’admira pour ses compétences et se sentit honteux de sa propre médiocrité : il était le commandant, aurait dû montrer l’exemple, savoir tout faire mieux que ses subordonnés. Mais à côté d’elle, Harlington se sentait dans la peau d’un singe à peine savant.
Il rangea dans un coin de sa mémoire qu’il lui faudrait suivre un cursus dans les différentes spécialités. Jouer au presse-bouton pour T’Savhek l’aurait moins dérangé s’il avait compris la logique des tâches qu’il accomplissait. Connaître les procédures pointues qui régissaient le système informatique du navire lui aurait permis d’anticiper les ordres de la Vulcaine et leur aurait fait gagner des secondes peut-être précieuses.
Il abandonna vite l’auto-flagellation et cessa d’admirer les mains de T’Savhek courir avec une grande célérité sur les panneaux de contrôle, car il avait besoin de toute sa concentration pour ne pas la retarder. Il leur faudrait de longues minutes pour arriver au bout de la procédure.

Le ronronnement discret des moteurs du Baltimore se fit entendre. T’Savhek mit les boucliers à pleine puissance en espérant que cela suffirait à déjouer toute tentative de téléportation à partir de la surface. Harlington fit décoller brusquement la corvette et accéléra.
Il ne put s’empêcher de sourire. Ils avaient réussi ! Même si la technologie de téléportation soffrée parvenait à percer la protection du bouclier et le ramenait à la surface, T’Savhek pourrait se débrouiller seule, protégée par l’unité de téléportation portative volée par les rebelles soffrés. Dans le pire des cas, un message pourrait être envoyé à Starfleet pour demander du renfort. Ils avaient gagné !

La console de communication bipa et Harlington s’en étonna. De l’aide, déjà ? Mais quand le visage revêche d’un Soffré apparut sur l’écran géant de la passerelle, les illusions de Harlington s’envolèrent. Il reconnut l’intégriste qui l’avait interrogé et qui lui avait promis la mort pour sacrilège.
– Je vous ordonne de faire demi-tour, hérétiques, énonça Jingkler, le Gardien de la Loi.
– Je ne crois pas que vous soyez en mesure de nous imposer quoi que ce soit, rétorqua froidement Harlington.
– Et moi je crois que si, répondit Jingkler.
Le Soffré disparut de l’écran, au profit de la vue d’une vaste caverne. Une dizaine de Soffrés étaient alignés, lances à la main. Pointées sur un groupe d’une vingtaine de personnes vêtues d’uniformes de Starfleet.
Le cœur de Harlington se serra : Lupescu, Sulok, Heitachi et les autres. Tout son équipage… ainsi que huit uniformes bleus, indiquant l’appartenance à la branche scientifique de Starfleet : les hommes de l’avant-poste.
– Je répète, reprit le Soffré. Faites demi-tour ou nous exécutons vos séides. Envoyez un message subspatial à vos supérieurs et nous les exécutons également. Enclenchez vos armes et le résultat sera le même.
Harlington s’efforça de rester impassible malgré la rage qui bouillonnait en lui. N’y avait-il donc aucune alternative ? Devait-il sacrifier son équipage ? Il s’y refusait mais ne voyait pas d’autre solution. Pas d’autre ? Une échappatoire lui vint en tête. Il repoussa l’idée, dont les conséquences le rebutaient. La mettre en place pourrait signifier la fin de sa carrière.
Rien ne lui vint en tête, et il s’en voulut de mettre en balance sa carrière et la vie des personnes placées sous son autorité. Il n’y avait pas à hésiter une seconde.
– Très bien, nous revenons. Harlington, terminé, annonça-t-il en coupant la communication et en faisant courir ses doigts sur la console de pilotage.
Harlington jeta un coup d’œil à T’Savhek. Il l’imaginait abattue mais comme à l’accoutumée, son impassibilité ne laissait rien transparaître de ses pensées.
– Prête pour le round suivant, T’Savhek ? demanda Harlington dans un sourire forcé.
– Le… round suivant, monsieur ? fit-elle en levant un sourcil interrogatif. Nous ne pouvons plus amener les Soffrés à la surface de leur monde en tirant sur la voûte de leur monde, comme nous l’escomptions. À moins que vous n’ayez décidé de sacrifier le personnel de Starfleet.
– Pas si nous pouvons l’éviter. Par contre, nous possédons les codes d’autodestruction du Baltimore. Si nous les enclenchons avec un compte à rebours et menaçons de faire sauter le navire après qu’il aura atterri, nous avons une chance de faire flancher les Soffrés.
T’Savhek soupesa les paroles de son commandant. Détruire sciemment son propre navire pourrait bien sonner le glas de la carrière de Harlington, et peut-être de la sienne si elle prenait part à cet acte extrême. L’intrépidité des Terriens la surprendrait toujours. Prêts à tout pour gagner, ils lui faisaient parfois peur. Avec eux, il s’en fallait parfois de peu que la fin justifie les moyens. Si les Soffrés ne cédaient pas, tout le personnel de Starfleet mourrait. Et le Baltimore disparaîtrait. Tout allait se jouer sur un pari potentiellement mortel.
– À vos ordres, commandant.