XVI

 

 

    En désespoir de cause, je saute à pieds joints dans le feu le plus proche et me mets à marteler le sol de manière enfiévrée, ignorant ma cheville douloureuse. Sauf qu’une flamme retorse grimpe assez pour s’accrocher à ma manche de veste.

    Oh non ! Ma veste Larl Kagerfeld en soie de ver-piranha de Dune IV ! Elle m’a coûté un bras, et voilà qu’elle va m’en coûter un autre, littéralement, cette fois !  

    J’étouffe les flammes avec frénésie et en viens à bout, ouf ! Mais quand je fais un pas, la moitié de la semelle de ma dernière chaussure ne bouge pas : fondue, elle reste au sol. Je me demande si ce type d’accident est compris dans les garanties du service après-vente.

    Comme j’avais oublié que de l’autre pied, j’étais en chaussette – avec un trou au bout du gros orteil –, ce n’est qu’à ce moment que je me rends compte que ce pied n’est plus que souffrance indicible.

    Je me laisse tomber sur les fesses, perclus de souffrance, et à peu près certain que si j’enlève ma chaussette, toute la peau qui enveloppe les os va venir avec.

    Et je reste contempler les flammes, monstres d’ignition qui s’approchent pour me dévorer sans que je puisse rien y faire !

 

    Par-delà ma cage, je vois les membres des SSI qui courent et tirent dans tous les sens tandis que le minougroar poursuit toujours leur chef. Bigre ! Ce dernier court très vite !

    – Opération « Gentil minougroar » ! Opération « Coucouche panier » ! Hoy !

    Je vois la gueule des flammes qui s’ouvrent pour m’engloutir, et quelque part, une alarme se met à retentir. Aussitôt, des piliers hauts de deux mètres sortent du sol et de l’eau en jaillit, qui s’abat en parapluie.

    Un système anti-incendie ! Je suis sauvé ! Gloire aux pompiers qui ont conçu cet engin automatique ! C’est promis, aux prochaines fêtes de fin d’année, j’achèterai leur calendrier en signe de remerciement, pour une fois.

    – Hoy ! Hoy ! Arrête de me poursuivre, créature du diable ! lance le faux clown au minougroar, tout en continuant à courir comme un dératé. C’est un crime impérial, je fais partie des SSI !

 

    Et là, un cri couvre le bruit des tirs, de l’alarme, des grognements du minougroar et des commentaires du chef des SSI :

    – COUCHÉ !

    Je me jette aussitôt au sol, ainsi que le minougroar, ainsi que l’équipe des SSI. Je ne peux m’empêcher d’admirer l’efficacité de la dompteuse.

    Elle fait claquer son fouet et marche vers le chef des SSI, qui n’ose pas bouger une vibrisse, à ses pieds. Elle lui dit :

    – Zizi vivi dada popo ?

    Et lui de répondre :

    – Tata baba yoyo tsétsé.

 

    – Ça alors !

    Cette exclamation est émise non loin de moi par l’un des hommes des SSI, couché par-delà les grilles derrière lesquelles je suis enfermé. Je lui demande :

    – Quoi, ça alors ?

    – Ils viennent d’échanger un code secret permettant à des agents des SSI infiltrés de s’identifier mutuellement.

 

    Et effectivement, voilà qu’elle lui tend la main pour l’aider à se relever. Elle pousse même la courtoisie jusqu’à cesser de froncer les sourcils, ce que je soupçonne chez elle d’être l’équivalent d’un franc sourire.

    – Lieutenant Diva Zavid, se présente-t-elle.

    – Lieutenant Hoyman Hoyddings, fait-il en retour.

    – Qu’est-ce qui vous prend d’investir mon zoo privé ? Vous voulez griller ma couverture ?

    – Hoy ! Hoy ! Nous sommes en mission secrète pour…

    – Ne lui dis pas ! l’interrompt l’un de ses camarades.

    – Ferme ta grande bouche ! surenchérit un autre.

    – Secret défense ! avertit le dernier.

    – … libérer le colonel Flocoche, Hoy !

    Ses hommes lui crient alors dessus et le vouent aux gémonies.

    – SILENCE !

    Même l’alarme se coupe et je n’entends même plus les mouches qui volaient autour de nous. Nul doute qu’elles aussi font profil bas.

    – Libérer Flocoche, c’est la mission qui m’a été assignée, ajoute-t-elle. Tu veux dire qu’à toi aussi ?

    – Bah oui, hoy !

    – Mais pourquoi attaquer ce bâtiment ?

    – D’après mes infos, ce serait ici que le colonel Flocoche serait retenu prisonnier.

    – Espèce de stupide animal, il est emprisonné deux bâtiments plus loin, de l’autre côté de la route !

    – Pourtant, mon indic m’a fait passer un petit papier avec le numéro de la maison où il est retenu, hoy ! Hoy ! Regarde.

    Il lui tend un bout de papier, sur lequel je vois inscrit « 6 ».

    – Ton imbécile d’indic s’est planté, qu’elle répond. C’est bien la bonne rue, mais pas le bon numéro.

    – Le 9 ? que je demande en m’immisçant dans la conversation.

    Tous deux se tournent vers moi et me regardent avec des grands yeux étonnés. Le lieutenant Zavid retourne le papier, dont le numéro noté se transforme comme par magie en « 9 ».

    – Voilà qui confirme mes propres informations, commente Zavid.

    – Hoy ! Hoy ! J’aurais dû y penser !  

 

    Soulagé que tout soit bien qui finisse bien, en fin de compte, je leur dis :

    – Je suis ravi de voir que ce malentendu est dissipé. Si vous pouviez avoir l’amabilité de me soigner et de m’indiquer un endroit où me cacher, en attendant de me remettre et de pouvoir quitter cette maudite planète, ce serait trop sympa.

    Parce qu’à ce moment, j’ai décidé de rentrer chez moi. On oublie le reportage sur la cunicultrice, cette planète est trop dangereuse. Jojo-Bébert pourra cracher des flammes autant qu’il veut, je resterai inflexible dans ma décision.

    – C’est qui, lui ? demande la dompteuse.

    – Un journaliste d’Empire Actualités, répond Hoy.

    – Il vient de nous prouver que son intelligence pouvait nous être utile, reconnaît-elle du bout des lèvres.

    – Hoy ! Hoy ! Et en plus, il fait un bon appât !

    – On le garde avec nous jusqu’à réussir notre mission ?

    – Hoy ! répond l’autre avec enthousiasme.

 

    À ces mots, une chape de déprime m’écrase la tête. Elle a un minougroar et un fouet-laser, eux ont des lasers. Alors, je leur réponds :

    – Euh… OK. Ce sera un plaisir. Vive l’Empire ! Vive Flocoche !

 

    Intérieurement, je rajoute un « Je veux mourir ! » de bon aloi, mais j’ai peur d’attirer le mauvais sort sur ma tête. Même si au point où j’en suis…