XVII

 

 

    – Hoy hoy ! Avant tout, il faut définir qui va commander l’opération « Sauver Flocoche » ! Comme nous avons le même grade, lieutenant Zavid, voyons ça à l’ancienneté : combien d’années aux SSI ?

    – Quatre, répond-elle.

    – Et moi sept ! Hoy ! Hoy ! Hoy ! Je prends donc la direction de l’opération !

    – J’ai un minougroar, fait-elle remarquer.

    – Hoy ! Hoy ! Il faut donner aux plus jeunes l’occasion de faire leurs preuves, je l’ai toujours dit et pensé ! Vous commandez, nous obéissons !

    – À vos ordres, maîtresse, ajoutent en chœur les acolytes de Hoy Hoy.

    Elle semble satisfaite par eux, mais me gratifie d’un regard plus brûlant que trois soleils jumeaux.

 

    Et bien quoi ? Qu’est-ce qu’elle croit ? Qu’elle va réussir à m’intimider ? Je suis Cirederf Nomis ! Elle n’a pas encore compris que je ne fais pas partie du troupeau de moutons chèvreux qu’est le commun des mortels ? Certes, j’avoue qu’elle m’a un peu déstabilisé au début, mais ce n’était que sous le coup de la surprise !

    Cirederf Nomis est un homme, que dis-je, un mâle viril que n’importe quelle femme sensée rêverait d’avoir à ses côtés ! Hors de question de me rabaisser, d’aucune manière que ce soit, face à cette… à cette… femme ! Si elles valaient les hommes, elles dirigeraient la galaxie depuis belle lurette ! Hein ? Quoi ? Les impératrices du Secteur Amaozone, qui règnent sur un bon quart de la galaxie depuis des millénaires ? Bof… une exception ! De vulgaires castratrices, donc des femmes pas normales… avec sous leurs ordres des hommes qui n’en méritent pas le nom !

    Elle me lance un regard noir avec ses yeux de tueuses, mais je ne me dégonfle pas : je rétorque avec ma célèbre expression faciale « Cause toujours, tu m’intéresses », ou « Je n’ai que mépris pour tes vaines tentatives d’intimidation grossière », ou « lol », que j’ai travaillé des jours durant devant mon miroir avec l’aide du meilleur mime de Planèteville. Il prenait cher, d’ailleurs, ce salaud…

 

    Elle s’empare soudain de son fouet-laser, le fait claquer dans l’air, le remet à sa ceinture, se met à genoux et me fait signe de la rejoindre.

    Allons bon, elle craque ? Méfiant mais confiant en ma prestance, en ma puissance, bref en ma supériorité naturelle, je m’agenouille à mon tour. Elle me tend une loupe et me désigne le sol.

    Voyons voir… Tiens, c’est quoi, ce truc ? On dirait une mouche, mais il y a un truc qui cloche. Ah, je vois ! Elle n’a plus d’ailes ! Ah bah oui, elles sont juste à côté, sectionnées à la jointure avec son corps.

    Heureusement que je n’ai pas envie de faire pipi. Ça aurait été dommage de se faire dessus.

 

    Je lui rends sa loupe, prends mon expression « Pas taper ! », ou « Adoptez-moi, je suis un pauvre malheureux chaton avec des grands yeux innocents », ou « Ordonnez, j’obéirai », expression pour laquelle je n’ai rien eu à débourser car je la fais très naturellement, à croire que c’est un rôle de composition chez moi.

    Elle me dévisage toujours. J’essuie la sueur qui perle sur mon front et dis :

    – On a un plan, chef ?     

 

    Mais avant qu’elle ait pu répondre, voilà que du brouhaha se fait entendre à toutes les ouvertures que les hommes de Hoy Hoy ont défoncé. Des Poliens, des Poliens et encore des Poliens !

    Et ils crient :

    – Mort aux humains !

    – Haro sur les sans-poils !

    – Les imberbes, c’est de la berbe ! (je soupçonne ce dernier de s’être enrhumé exprès pour faire une rime, soit dit en passant)

 

    Et là, les poils que j’ai sur le caillou se dressent de peur. Malheureusement, il n’y en a pas assez pour me faire passer pour un autochtone. En tout cas, une chose est sûre : ces types sont aussi racistes que ceux qui m’ont attaqué chez Bab ! Nous sommes morts !

 

    Les hommes de Hoy Hoy ont dû eux aussi le comprendre, car quand les Poliens se précipitent vers eux en criant « Pendons tous ces maudits humains ! », ils se mettent tous les cinq à quatre pattes en lançant à l’unisson « MIAOU ! ».

    – Zut, ce ne sont pas des humains, commente l’un des Poliens, un poil (sans doute même plusieurs) déçu.

    – En voilà un ! surenchérit un autre en me désignant du doigt.

    Aïe ! Je fais quoi, moi, maintenant ? Songer que ces barbares sans foi ni loi pourraient maltraiter la perfection de mon corps me fend le cœur.

    Oh, j’ai une idée !

    – Je ne suis pas vraiment un humain, les gars ! Je suis journaliste !

    – Il marque un point, commente un Polien.

    – On s’en fout ! intervient un autre.

    – Oui mais je suis journaliste impartial ! que je rajoute.

    – Antinomique ! Il n’est probablement pas humain, comme il l’affirme, au moins à l’intérieur, dit un autre Polien.

    – Journaliste impartial à Empire Actualités ! que je rajoute histoire d’enfoncer le clou.

    Et là, ils éclatent de rire.

    – Aucun doute, il n’a d’humain que l’apparence ! conclut l’un d’eux avant de se tourner vers le lieutenant Zavid, imité par tous ses congénères.

 

    La tension monte, je sens qu’ils veulent en découdre, la dépecer, la réduire en miettes, lui faire payer son hérédité supérieure – euh, pardon, humaine, voulais-je dire–, voire faire de la xénophilie avec elle…

 

    Mais alors qu’ils se rapprochent, la concupiscence brillant dans leurs yeux, ces derniers tombent (tout en restant dans leurs orbites) sur l’animal de compagnie qu’elle possède, qui se frotte à ses genoux et exhibe à leur intention une rangée de dents monstrueuses dégoulinantes de bave.

    – Couché, Kiki… pour l’instant… qu’elle dit.

 

    – Poussez pas, derrière ! dit le Polien le plus avancé.

    – J’ai oublié un truc chez moi, je reviens tout de suite, fait un autre.

    – C’est l’heure de mon rendez-vous chez le coiffeur, ajoute un autre.

    Et finalement, voilà qu’ils quittent tous les lieux.

 

    Nous soupirons tous de soulagement, sauf le lieutenant Zavid, qui nous dit :

    – Bon, si nous voulons réussir notre mission, il va falloir faire preuve de discrétion, compris ? Je n’accepterai aucun manquement sur ce point, c’est clair ?

 

    On préfère tous acquiescer que de la contredire.

 

    J’éternue sept fois d’affilée. Décidément, je ne suis pas fan de Kiki.