XVIII

 

 

    – Hoy hoy ! Comment on procède, alors, chef ?

    – Chaque chose en son temps ! répond Zavid. Les SSI, vous me réparez les portes que vous avez explosé.

    – Je ne suis pas menuisier, répond l’un.

    – Détruire c’est vachement plus marrant que construire, et c’est super plus rapide, qui plus est, en plus, enchaîne un autre.

    – On pourrait mettre un rideau de fils, il ne fait pas très froid la nuit, propose le troisième.

    – S’installer ailleurs, ce serait encore plus facile, fait le quatrième. J’ai l’adresse d’un hôtel sympa, au numéro 42 d’une rue proche.

    – Plein d’options différentes, c’est toujours intéressant, hoy ! On lance un débat, les gars ? Hoy ! Hoy ! Hoy !

    Je vois la main du lieutenant Zavid se rapprocher de son fouet et je fais quelques pas en arrière, subrepticement, jusqu’à éternuer plusieurs fois violemment et buter sur un truc.  Je tends la main sans me retourner et me retrouve à palper quelque chose qui m’évoque une truffe pleine de morve. Kiki. Je retire ma main avant qu’elle soit arrachée d’un coup de crocs.

 

    La lieutenant fait fouetter son fouet (logique, en même temps) dans l’air, le range à sa ceinture, se met à genoux en regardant le sol et fait signe à Hoyman Hoyddings de le rejoindre. Il s’exécute et se voit remettre une loupe, grâce à laquelle il peut scruter le sol.

    – Hoy ! Hoy ! fait-il. Ne dirait-on pas une mouche ?

    – En effet, répond Zavid.

    – Ses ailes ont été à moitié coupées ! Hoy !

    – Oui. Imagine que tu es une mouche, Hoyddings…

    – Hoy ! Bzzzzzz !

    – … et que tu m’aies contrariée, moi, ta supérieure. Et bien comme pour cette mouche, je te couperai un membre ou deux, mais sans te tuer, histoire que tu aies une dernière chance de prouver ton utilité. Tu me suis ?

    Il déglutit.

    – Hoy ! On va où ?

    Elle soupire. Désespoir ? Résignation ? Difficile à dire…

 

    Mais elle se reprend vite et donne ses ordres :

    – Hoyddings, tes hommes et toi allez acheter de nouvelles portes.

    – Hoy ! Et on trouve ça où ?

    – Allez chez Castomarché, ou chez Leroy Dépôt, qu’est-ce que j’en sais, moi ?

    – Il y aura peut-être des promos, ajoute l’un des hommes de Hoyddings. 

    – Quatre portes achetées, une offerte ? espère un autre.

    – J’ai des chèques hoccad. Avec un peu de chance, ils seront acceptés, dit le troisième.

    – Je vais en profiter pour regarder les papiers peints, je pense refaire ma salle à manger, fait le dernier.

    – M’EN FOUS ! AU BOULOT ! BARREZ-VOUS !

    À ces mots, ils s’égaillent vers la sortie en courant, et Kiki les encourage à se presser à sa manière, en les poursuivant et en émettant des grognements menaçants, bave aux lèvres.

    – Opération « Acheter des portes et fissa », les gars ! Hoy ! Opération « Pas touche à mes mollets, Kiki ! », hoy hoy !

 

    Le sourire sadique que j’arbore sans même m’en rendre compte en contemplant le malheur des agents des SSI meurt quand le lieutenant Zavid se tourne vers moi, son regard aussi glacial qu’un réfrigérateur sur une planète de glace réglé à la plus basse température.

    – Toi ! Tu me nettoies cette porcherie !

    – Mais…

    – Il faut changer la paille dans la cage de Kiki.

    – Mais…

    – Et changer sa litière, aussi. Je pense qu’il fait une gastro, ou qu’il a mangé un truc qui n’est pas passé.

    – Mais…

    – Ensuite, tu iras à la boucherie, acheter les cents kilos d’abats sanguinolents qui composent l’apport nutritionnel quotidien de Kiki.

    – Mais…

    – Puis tu iras faire les courses, avant de faire la cuisine. Ce soir je veux manger du loup-phoque en brochettes.

    – Mais…

    – Prends du papier toilette, aussi. Il n’y en a presque plus. Du triple épaisseur.

    – Mais…

    – Après manger et vu que tu es journaliste, je te gratifierai de l’immense honneur de pouvoir m’interviewer.

    – Ah ? que je fais, redressant l’oreille comme un limier qui vient de humer l’odeur de sa proie.

    – Oui. Je suis une femme solitaire, menant une activité professionnelle secrète. Mais du coup, afin qu’on ne m’oublie pas après ma mort, j’aimerais laisser à la galaxie le récit de ma vie.

    – Je ne vois pas du tout qui pourrait bien être assez idiot pour avoir envie de connaître votre… euh… non mais ça risque de prendre du temps, voulais-je dire. Des mois voire des années !

    – Il faudra faire mieux que ça. J’ai une idée ! Pendant que tu fais le ménage, on va commencer. Enregistre avec ton Ipadphone.

 

    Et tandis que j’attrape une fourche pour m’occuper de la paille, elle se lance :

    – Je suis née un mardi à 12h25…

 

    La fin de journée s’annonce aussi longue qu’un jour sans fin.