XXVII

 

 

    Faire équipe avec une telle folle furieuse me donne envie de pleurer. La suite logique serait que P’oilad-e, si elle était munie de micro-micro-micro-climats, m’envoie un nuage au-dessus de la tête, qui ne pleuvrait que sur moi. Mais bon, cette ignominie m’est épargnée.

    Comme quoi on peut toujours voir du positif dans la pire des situations, j’en suis la preuve vivante.

    – Il nous faut une piste, que Zavid me dit.

    – C’est vrai, que j’acquiesce.

    Elle reste me regarder l’air sévère, et je finis par comprendre que c’est à moi de lui en trouver une. Non mais elle est folle ou quoi ? C’est elle l’espionne ! Moi je suis juste journaliste ! Quoiqu’à la réflexion, je ne suis pas certain qu’un espion soit capable d’être aussi fouille-tout qu’un journaliste. Humm ? Plaît-il ? « Fouille-tout » ? Ah oui, c’est une expression typique de nous autres journalistes. Les non-initiés parlent de « fouille-merde », mais mes pairs et moi on n’aime pas ce terme, allez savoir pourquoi. Alors on a forgé le nôtre, plus sympa et moins péjorativement négatif.

    Bon, OK, je prends les choses en main. Je me connecte au 3DHD-réseau via mon Ipadphone. D-O-M-T-P-E-U-R… voyons voir…

    La vie sexuelle des Domtpeurs. Bof…

    Les spécialités culinaires de des Domtpeurs. Hum, ça a l’air bon, mais hors-sujet.

    Mode : les tendances domtpeuses de l’hiver. Bon sang, rien d’utile, décidément !

    – Alors, ça vient ? me demande Zavid, aussi irritable qu’un flic rapisien.

    – Oui, c’est bon, je suis des pistes prometteuses.

    Je vous arrête tout de suite : je ne mens pas. J’anticipe juste sur mes prochains succès, qui sont inéluctables. On a le talent ou on ne l’a pas : moi, j’ai choisi mon camp.

    En attendant, vite, Cirederf ! Vite ! Tapote ton Ipadphone, trouve des infos. Et là, miracle !  Je tombe sur un site parlant du plus grand rassemblement galactique des Domtpeurs, un événement qui a lieu une fois par an – tiens, c’est la semaine prochaine ! –, événement au cours duquel ils peuvent comparer les animaux, de préférence les plus exotiques possibles ou dangereux possibles, qu’ils ont attrapé durant l’année écoulée.

    Bon sang mais c’est bien sûr ! Le Domtpeur va sûrement exhiber le minougroar qu’il a capturé lors de cette occasion !

    – C’est bon, que je dis, j’ai trouvé ! Le Domtpeur et Kiki se rendent sûrement vers Zarc Poologik, la planète des animaux en tous genres !

    – Ah quand même, tu auras mis le temps à mettre le doigt dessus !

    Et merci, tu connais ?

    – OK, on est partis, Cirederf !

    Tandis qu’elle se prépare, je retourne sur le site culinaire des Domtpeurs, alléché par les photos entrevues auparavant. Je tombe sur un article parlant du dernier plat qui fait fureur : des dés crus de minougroar, façon sushis.

    – De nouvelles infos ? me demande Zavid.

    – Non, rien, que je réponds en éteignant mon Ipadphone.

    Le bon journaliste sait ce que son public doit ou non savoir. En l’occurrence, il vaut mieux que Zavid reste dans l’ignorance… Même si à titre personnel, je me ferais un plaisir de manger des cubes de Kiki. Mais pas pour le goût : juste pour la vengeance. Et ce n’est pas de la mesquinerie : juste un retour à l’équilibre cosmique.

    Sac à dos sur le dos (on ne verra jamais plus logique, quelque part), Zavid me dit :

    – Go, Nomis !

    J’attrape mon sac à mon tour et la suit, clopin-clopant comme le malheureux que je suis.

    – Moins vite, que je fais. J’ai toujours super mal à la cheville !

    – M’en fous ! Kiki est en danger ! Et si besoin est, je peux toujours sortir mon fouet-laser pour te motiver.

    C’est fou comme dans certains cas, il est facile de marcher avec une cheville foulée. C’est ce que je découvre à compter de cet instant. Il est d’ailleurs bien connu que le mental transcende le physique, et même si je sais que le mien est au top, je ne l’imaginais pas à ce point, je l’avoue. Je me surprendrai décidément toujours… et toujours en bien.

    Et nous voilà courant dans la rue, direction l’astroport.

    – T’es venu comment, Nomis ? Avec ton propre vaisseau ?

    – Non, Empire Actualités m’a payé le voyage… sur un yacht de luxe, que je mens effrontément, pour lui montrer à quel point je suis un homme aussi important que bien vu.

    – C’est chouette, ça. Quand je pense que les SSI m’a mis dans un transport miteux pour payer moins cher… J’ai une idée ! On va sur Zarc Poologik en yacht de luxe, aux frais d’EA !

    Aïe. Ça m’apprendra à faire le malin. Vite, rectifier le tir…

    – Bah en fait, il se trouve que…

    – Quoi ? Môssieur a des avantages qu’il ne veut pas partager, c’est ça ? Hein, c’est ça ?

    Mais éloigne donc ta main de ce maudit fouet-laser, espèce de psychopathe !

    – Euh non, mais… il n’est simplement pas prévu dans le budget de ma mission de prendre deux places.

    Malin, hein ?

    – Bah, c’est pour la bonne cause, au service de l’Empire ! Je suis certaine que tes supérieurs te remercieront quand ils le sauront !

    Sauront ? Jojo-Bébert ? Hum ! Elle ne sait décidément pas de qui elle cause. Mais en attendant, je me dois de faire bonne figure.

    – Ouaip, pas de problème ! Après tout, je suis le journaliste d’EA, tout le monde me mange dans la main à la rédaction !

    Je pleure en songeant à l’état de mon compte en banque en rentrant, et je vois déjà le monstre inhumain – bien qu’humain d’apparence – qui me sert de banquier se frotter les mains. Le bonheur de l’incarnation du Mal dans les agios…

    Je prie pour qu’il n’y ait aucun vol de luxe vers Zarc Poologik, et je constate à notre arrivée à l’astroport, avec une indicible joie, que c’est le cas. Ah ! Ah ! La roue tourne ! Et maintenant, Zavid ? Comment tu comptes t’en sortir ? Oh…Oh… Elle n’a pourtant la mine ni défaite ni abattue. Elle me désigne un terminal du doigt :

    – Par-là, Nomis !

    Je cours à sa suite et j’ai juste le temps de lire le panneau au-dessus de la porte que nous franchissons au triple galop.

    « Jets privés luxueux, toutes destinations, à toute heure ».

 

    Mon sac pèse soudain 1 532 kilos.