XXXIV

 

 

    [Mon cher JojoBébert, comment te portes-tu ? Je te passe les quelques péripéties qui me sont arrivées ces derniers jours afin de me pencher, une fois encore avec le brio habituel dont je suis caractéristique, sur le sacerdoce au centre de ma vie : le journalisme.

    Voici donc un brillant – mais est-ce bien nécessaire d’ajouter ce qualificatif tellement il transparaît à la lecture de tous mes travaux ? – et nouvel article sur une espèce que je viens de rencontrer : les Rbetons, de la planète Rbetagne.]

 

 

    La planète Rbetagne se situe en périphérie de la périphérie du bras de la galaxie le plus reculé, troisième à gauche après l’étoile de Proxima VI. C’est le genre d’endroit dans lequel on ne débarque que par accident, si on est perdu ou si l’hyperpropulseur est en panne.

 

    La Rbetagne est intégralement recouverte d’eau, pire qu’Aquaplanète (si, si ! C’est possible !). Le plus souvent, on a d’ailleurs du mal à distinguer le sol liquide du ciel, vu qu’il y pleut tout le temps. En hiver, dix mois de violentes averses, en été, deux mois de crachin.

    Il y pleut tellement à certains endroits que c’est là que les autochtones ont décidé de bâtir leurs villes – enfin villes, c’est beaucoup dire : bourgades ou villages seraient des termes plus convenables – : en effet, l’eau y est tellement compacte qu’il est possible de marcher dessus sans s’enfoncer. De la même manière, c’est dans les vagues compactes que les Rbetons découpent des planches d’eau pour construire leurs maisons.

    Ce peuple étrange fait montre de peu d’imagination en matière de toponymie : tous les noms des villages commencent par plouf. Ainsi, Ploufdaniel, Ploufharnel, Ploufay, Ploufgastel, Plouflesbains, Ploufbourg et j’en passe.

 

    La Rbetagne est une terre pauvre, ce qui explique que tous ses habitants n’aient qu’une seule envie : se barrer de là vite fait. Mais encore faut-il avoir les moyens de le faire : ce peuple primitif n’ayant pas inventé le fil à couper le beurre demi-sel – dont il est friand –, il n’a pas encore découvert l’hyperpropulsion alors qu’elle existe depuis vingt-mille ans dans la galaxie. Quand je dis qu’ils manquent d’imagination.

    Pour fuir Rbetagne, ne leur reste donc que les vaisseaux des malheureux qui s’échouent sur la planète. Vaisseaux confisqués, ses occupants torturés et dont le cœur est arraché palpitant des poitrines et dévoré par les rduides, une caste de mystiques locaux, lors de cérémonies secrètes et inhumaines. Et hop, ils ont ainsi des vaisseaux pour s’en aller !

    Les Rbetons ont également un long passé de naufrageurs derrière eux : ils émettent des SOS en direction de l’espace, et les voyageurs interstellaires les plus imprudents à s’approcher et à venir les secourir tombent dans un piège mortel.

 

    Culturellement parlant, les Rbetons sont, il faut bien le reconnaître, assez affligeants. Une légende dit qu’à une lointaine époque, ils s’affublaient de chapeaux ronds, qu’ils délaissèrent ensuite quand ils perdirent au fil du temps la technicité pour les fabriquer : ils passèrent donc aux chapeaux sans rebords, qu’ils appelèrent bonnets. On dit que c’est l’un de leurs plus grands généraux, le commandant – oui, ils ont une toute petite armée, leurs généraux sont des commandants – Tousceau, qui mit cette mode au goût du jour, avec un chapeau rond sans rebord de couleur rouge.

    Cette mode fut finalement abandonnée : le bonnet rouge sous la pluie continuelle et permanente de Rbetagne déteint, et ceci explique que bien qu’humanoïdes, les Rbetons aient tous la tête rouge voire pivoine. Penser que leur teint rubicond serait dû à l’alcool qu’ils tirent des entrailles de la célèbre espèce locale des truites des mers salées et dont ils usent et abusent n’est qu’une légende ploufurbaine.

 

    On notera également et pour finir deux autres caractéristiques des Rbetons. Ils ne savent pas s’amuser : en témoigne les « fest-naz », qui sont des fêtes dansantes, chantantes et musicales mais qu’il faut traduire par « fêtes nazes ». Par contre, c’est dans ce cadre qu’ils ont découvert leur arme de guerre la plus puissante : le bignou, une sorte de flûte. Ils se sont vite rendus compte que les percements stridents qui en sortaient quand on soufflait dedans pouvait faire fondre les tympans de tout imprudent assez fou pour l’écouter, ou les rendre fous jusqu’à plonger dans l’alcool des truites des mers. Car oui, les Rbetons savent plonger mais ont beaucoup de mal à remonter : eux dit d’ailleurs souvent d’eux qu’ils ont la descente.

 

    Bref, un peuple bien singulier que ces Rbetons, et qui en guise d’au revoir disent « Nekavo ! ».

 

    Cirederf Nomis

 

 

    Je suis fier de cet article, encore une perle à ajouter à mes si nombreux exploits journalistiques, à mon incommensurable prose que la galaxie entière m’envie. Mais bon, elle peut toujours rêver pour ce qui est de m’égaler.

    Tiens, mon Ipadphone sonne. Qui peut donc bien m’appeler ? Ah, c’est JojoBébert ! Et bien : à peine dix minutes que je lui ai envoyé l’article et il rapplique déjà pour me féliciter ? Décidément, mon talent me perdra !

    – Ce cher JojoBébert, que me vaux l’immense plaisir ? Tu as reçu mon magniiiiiifique article ?

    – Salut Nomis ! Oui, je l’ai reçu, pas de souci.

    – Alors, il est chiadé, hein ? Déjà publié, je présume ? Il fait le buzz galactique, je suis inscrit sur la liste des prétendants au prix Puzerlit ?

    – Non, j’ai décidé que tu ne serais pas publié.

    – Quoi ? Mais enfin pourquoi ?

    – Il serait de mauvais goût qu’Empire Actualités publie l’article d’un paria dont la tête est mise à prix ! Pense à la réputation du journal !

    – Ah… J’avoue que je n’avais pas pensé à cela.

    – Mais rassure-toi : il est effectivement en ligne.

    – Je croyais que tu ne voulais pas le publier ?

    – Non, j’ai dit que je ne voulais pas te publier, nuance. Du coup je l’ai mis à mon nom et rassure-toi, il a du succès. J’espère bien décrocher le prix Puzerlit !

    – Mais…

    Continuez à lui parler, on y est presque, prononce alors une voix inconnue dans l’Ipadphone.

    – Euh… C’était quoi, ça ? que je demande.

    – Et bien, mon cher Nomis, je ne te remercierai jamais assez pour m’avoir contacté. Tu savais que quand quelqu’un aide à la capture d’une personne dont la tête est mise à prix, il a le droit à 10% de la récompense ?

    – À vrai dire, je l’ignorais.

    – Dès que tu m’as contacté, j’en ai informé la guilde des chasseurs de primes, et la voix que tu as entendue est celle du technicien qui est en train de trianguler ta position. S’il y parvient, à moi les 10% de ta prime, soit cent milles crédits !

    – Mais enfin… que je commence, indigné par ce procédé.

    – … Voyons, mon cher Nomis, nous savons toi et moi que tu n’aurais pas procédé autrement à ma place !

    – C’est vrai, suis-je obligé de reconnaître.

    – C’est bon, on le tient : on connaît sa localisation !

    – Yes ! À moi la prime ! Encore mille mercis, Nomis ! Et bonne chance pour la suite !

    Tut… tut… tut…

 

 

    Oups…