XLII

 

 

    Comme il est bien connu que les Graucelimasses aiment vivre sous terre, je ne m’étonne pas de voir qu’on nous fait descendre une rampe automatisée. Ce qui est moins courant, par contre, ce sont tous les spots lumineux qui ne laissent pas vivre le moindre coin d’ombre.

    Un non-humain tout fripé, en haut d’un escabeau, passe un drôle d’appareil au plafond : un long manche avec une boule de poils soyeux au bout.

    – Détecteur de micros espions ? que je demande à Gaga.

    Il me lance un drôle de regard avant de répondre :

    – Non, c’est une tête de loup, pour mieux enlever les araignées et leurs toiles dans les coins. Je déteste les araignées, surtout les grosses velues.

    Et pendant qu’il frissonne en pensant à l’objet de sa phobie, je ricane intérieurement : une Graucelimasse, force de la nature, qui vit des centaines d’années, avoir peur de simples petites araignées de rien du tout ? C’est d’un ridicule !

    Sauf qu’à ce moment, un chaton tout mignon crottou passe devant moi.

    – Hiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! que je fais en sautant dans les premiers bras venus.

    Je n’ai jamais supporté ces bestioles tout droit sorties de l’enfer. Elles sont toutes douces, font ronron et vous regardent avec leurs grands yeux innocents, se frottent à vous pour vous montrer à quel point ils sont toujours contents de vous voir, pour vous faire ressentir que vous êtes le centre de leur univers.

    Qui croient-elles tromper, ces saloperies poilues ? Tout un chacun devrait pourtant savoir qu’elles sont les pires des hypocrites faux-cul, uniquement intéressées par trois choses : avoir un toit au-dessus de leur tête (sans payer de loyer, bien sûr, ces sales rats… enfin rats, façon de parler), pouvoir s’empiffrer à leur convenance, et pouvoir pioncer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit.

    Mais quand elles laissent leur vraie nature reprendre le dessus, elles se transforment en démons, lacérant leurs pauvres et malheureuses victimes de leurs griffes acérées, et arrachant des lambeaux de chair jusqu’au sang grâce à leurs crocs effilés.

    Bref, comme toute personne normalement constituée, je hais les chatons. Leurs « miaou » plaintifs ne sont que pure diversion, pour mieux nous faire baisser notre garde avant de nous réduire en petits morceaux goûteux.

    – Hum hum, que j’entends juste à côté de moi.

    Je me retourne vers ce bruit et me rend compte que dans ma panique, j’ai sauté dans les bras de Zavid. À son expression plus que renfrognée, qui ferait fuir une horde de chatons enragés (qu’on me pardonne ce qualificatif quasiment pléonasmique*), je devine que je vais souffrir, soit tout de suite soit plus tard, aussi je me dépêche de me remettre sur mes pieds, après m’être assuré que le diabolique chaton (qu’on me pardonne encore une fois ce nouveau qualificatif pléonasmique, qui n’existe peut-être toujours pas mais peu importe, j’aime bien) s’est éloigné.

    Est-ce que Zavid devient civilisée en public, voire civilisée tout court ? Elle ne fait pas mine de lever la main sur moi, ouf !

 

    [* Note De l’Auteur : j’ignore si ce terme existe et je n’ai pas de dico sous la main pour le vérifier. Peu importe, je le laisse tel quel, je trouve que ça sonne bien. Et de toute manière, c’est moi l’auteur donc je fais ce que je veux, na !]

 

    Je ne suis malheureusement pas au bout de mes peines. Une fois que nous sommes en bas de la rampe, nous découvrons un couloir bien éclairé lui aussi, avec du lambris aux murs, des dorures, des moulures et des motifs en mosaïque du plus bel effet.

    Par contre, il y a également un portique de sécurité, gardé par plusieurs hommes en armes à l’air si peu avenants que s’ils s’appelaient Hibulaires, leurs prénoms seraient Pat.

    Gaga et son serviteur franchissent le portique, qui reste silencieux. Je ricane intérieurement en songeant qu’au passage de Zavid, l’appareil va beugler de toutes ses forces, entre son fouet-laser et toutes les armes qu’elle ne manque jamais de dissimuler sur elle (et mieux vaut éviter de se demander « où ? »). Elle passe… et rien ne se produit. Hum… voilà qui est décevant.

    Snaf Snof suit, pour un résultat identique. Par contre, quand vient le tour de Kiki, une alarme discrète se met à sonner. Chouette ! Avec un peu de chance, ce monstre hideux et barbare va être refoulé ! Peut-être même être transformé en viande hachée, pour la peine ?

    L’homme qui se tient devant la console attenante au portique dit :

    – Hygiène générale bonne. Le problème vient de son haleine, dans laquelle se développe un taux de bactéries bien plus important que la moyenne.

    Zavid s’avance, froncils sourcés (à moins que ce ne soit l’inverse ?), prête à en découdre, main presque sur son fouet-laser… jusqu’à ce que l’homme rende son verdict :

    – Un masque couvrant le museau et la bouche suffira pour éviter de contaminer l’air ambiant.

    Zavid se calme aussitôt et se charge elle-même d’affubler Kiki de son masque. Dommage, j’aurais bien voulu qu’elle s’énerve, se batte et se retrouve dans un tas d’ennuis. J’espère que ce n’est que partie remise.

    Je franchis le portique à mon tour, la tête haute, serein comme jamais auparavant… et des alarmes tonitruantes se mettent à hurler dans mes oreilles tandis que toute une série de lumières crues m’agressent les tympans.

    – Alerte rouge ! crie l’homme à la console. Il lui faut deux bains de bouche, trois brossages de dents de dix minutes minimum chacun, et un masque triple épaisseur pour contenir toutes les infections qui, d’après mes senseurs, tentent d’exsuder en force à chaque seconde qui passe ! C’est fou, je n’ai jamais vu un truc pareil : on dirait une invasion, que dis-je, une arme bactériologique !

    – Non mais ça suffit ! que je dis. Que d’exagération !

    – Aaaaaaaaaaaaaargh ! Il a parlé, et en tournant la bouche vers moi, en plus ! Sauvez-moi, je sens que je me pâme, que je meurs ! Vite, préparez la chambre de décontamination, il me faudra bien un séjour d’une semaine dedans pour être sûr de m’en sortir ! Et encore, après un bilan physique complet et poussé comme jamais !

    – Non mais… que je reprends avant d’être interrompu par Gaga.

    – Je suis très déçu, Nomis. Moi qui, en récompense pour m’avoir permis de gagner des millions suite à la course, comptait te récompenser de 100 000 crédits, voilà qui me refroidit. Un tel manque d’hygiène… tss… tss…

    – Mais je…

    – 90 000 !

    – C’est injuste, il se trouve que…

    – 80 000 !

    – Peut-être qu’en fait, il y a dysfonctionnement du…

    – 70 000 !

    – Euh… Finalement c’est pas bien grave, ô grand Gaga, immentissime bienfaiteur du misérable insecte que je suis.

    – … 70 010.

    – Je vous ai déjà dit que vous étiez la plus belle Graucelimasse que j’ai jamais vue ?

    – 70 020.

    – Vos talents et votre intelligence font passer le reste de la galaxie pour des sous-singes même pas savants.

    – 70 030.

    – Et… non, c’est tout, en fait, que je conclus, de peur d’en faire trop.

    Hypocrite, moi ? Jamais de la vie. On appelle ça de l’instinct de survie. Rien à voir, donc. Et en s’appuyant sur un tel principe, on ne peut que louer mon sens de l’à-propos.

    Zavid, Snaf, le maître d’hôtel Tesnor et même Kiki me regardent avec un air dégoûté et méprisant. Pfeuh… ses imbéciles à l’intelligence de fœtus d’amibes n’ont rien compris, ce qui ne m’étonne guère. Après tout, ne dit-on pas que le génie est incompris ? Moi, c’est ce que je me dis tout le temps depuis le jour de ma naissance tellement nul ne m’a jamais compris.