XLIII

 

 

    – Gardes, faites ce que vous avez à faire ! tonne Gaga en me désignant du doigt.

    Lesdits gardes s’emparent de moi, indifférents à mes hurlements désespérés. Je lance des regards implorants vers mes compagnons afin que, n’écoutant que leur courage, ils volent à mon secours. Sauf que Snaf me tourne le dos, absorbé par la contemplation d’une grande peinture de maître un peu plus loin dans le couloir. Quant à Zavid et Kiki, ils sont en pleine leçon de dressage : le lieutenant des SSI tend la main et le minougroar s’assoit avant de tendre sa papatte vers sa maîtresse.

    – Bande de vendus ! que je crie. Je comprends mieux l’horrible goût de trahison que j’ai dans la bouche !

    – Non. Ce sont des bactéries, corrige le type du serveur médical, la voix étouffée sous son masque.

    Et c’est ainsi que je suis emmené dans les couloirs comme un vulgaire criminel. Sur notre passage, les gens de Gaga se plaquent contre les murs, comme s’ils avaient peur d’être contaminés. Tas d’enfoirés…

    Ces monstres sans foi ni loi vont-ils pousser l’abjection jusqu’à m’éliminer ? Moi, Cirederf Nomis, fer de lance de l’élite humaine impériale ?

    Ils m’emmènent dans une pièce très sombre, m’attachent bras et jambes sur un support vertical, avant de me plaquer un masque sur le visage.

    Par tous les dieux, je ne vais quand même avoir droit à une mort atroce délivrée par un gaz mortel ? Ils referment une porte sur moi, et je me rends compte que je suis dans un grand cylindre aux parois transparentes.

    Quelle est donc cette sensation étrange à mes pieds ? Je baisse les yeux : un liquide épais me lèche les chevilles et part à l’assaut de mes genoux, puis de mes cuisses…

    Gazé et noyé en même temps ? Décidément, Gaga la Graucelimasse ne manque pas d’imagination ! Moi si, alors je cherche désespérément un moyen de m’en sortir. Je ne peux pas finir ainsi ! Les autres, si, mais pas moi !

    – Alors, tout est prêt ? demande le type du senseur, qui dirige aussi les opérations ici.

    – Impec, chef.

    – Pourquoi on est dans le noir ?

    – L’ampoule est grillée, répond une voix un peu plus loin. C’est bon, elle est changée.

    Pendant ce temps, le liquide épais arrive à mon cou. La mort arrive, lentement, au service de tortionnaires sadiques…

    La lumière jaillit soudain, si fort que je me demande si cela ne fait pas partie de leurs techniques de tortures. Bon, vu comme ils se protègent eux aussi les yeux, peut-être pas. Ou alors ils sont assez stupides pour se torturer eux-mêmes. À moins bien sûr qu’ils ne poussent la perversion à aimer ça ? Ou alors ils se p…

    – Tout fonctionne à merveille, chef. La solution concentrée en eaumédic va commencer son œuvre. Dans quelques heures, il ne restera plus aucune trace sur le corps de Nomis de bactaries grâce au bacté. Ou quelque chose comme ça.

    Tiens ! Maintenant qu’ils le disent et que mes yeux se sont habitués à la luminosité, il est vrai que cette pièce ressemble à s’y méprendre à une infirmerie, et le tube où je me trouve à une cuve à eaumédic.

    Tout ça pour deux trois microbes ? Décidément, ces gens sont très excessifs, pour ne pas dire complètement fous.

    L’eau continue de monter. Elle atteint presque mes oreilles. Le clapotis de l’eaumédic qui monte peu à peu dans la cuve me donne envie de faire pipi. Je décide de m’exécuter.  Après tout, c’est aussi discret que de le faire dans une piscine, un océan ou un bain ! Sauf que là, j’entends en retour :

    – Aaaaaaaaaaaaaaahhhhhhhhh ! Ce porc vient de se soulager dans la cuve à eaumédic ! Regardez, le colorant détecteur spécial que j’ai installé dedans brille de mille feux ! C’est fou, ça : jamais vu un porc pareil !

    – Il doit sûrement se rouler dans sa fange en rentrant chez lui, extrapole son collègue, une grimace de dégoût sur le visage.

    Mais… mais… rien ne me sera donc épargné ? Je ferme les yeux, juste avant que l’eaumédic les atteigne. Les oreilles sous l’eau, je n’entends plus rien. Je flotte paresseusement dans l’eaumédic et commence déjà à me sentir mieux. Je sens toute la fatigue et les blessures accumulées s’évacuer de mon corps.

    Qu’est-ce que c’est bon. Qu’est-ce que c’est délassant. Je me sens bien. Si bien. Je pars… au loin…

 

    Je vole dans l’espace, bien que sans scaphandre. Je m’aperçois que je ne suis pas seul. Une minuscule créature verte, toute ridée et avec de grandes oreilles – beurk, encore un non-humain : décidément, l’univers est sacrément infesté – vole à mes côtés et me dit :

    – Trop super bien c’est, hein ?

    Je l’ai reconnu tout de suite : il s’agit rien moins que de maître Iota, l’un des criminels les plus recherchés de l’Empire !

    Je pointe mon arme sur lui et lui dis :

    – Pas un geste, maître Iota ! Vous êtes en mon pouvoir !

    Il ne répond rien et se contente de fixer mon arme en réprimant un sourire. Qu’est-ce qu’il a à rire, comme si mon arme n’était rien pour lui ? Je l’inspecte rapidement du regard, au cas où. Bon sang, suis-je bête ! J’avais oublié de déverrouiller le cran de sûreté ! Je m’empresse d’y remédier et pointe à nouveau ma brosse de bain à tête de canard vers le Grand Sorcier déchu, prêt à presser la détente.

 

    C’est alors que j’entends deux voix, lointaines, si lointaines…

    – Oh non, je me suis trompé !

    – À quel propos ?

    – Au lieu de mettre de l’eaumédic concentrée, j’ai mis de la cocaïnhéroïne concentrée !

    – Aïe ! Ce pauvre gars doit halluciner et planer grave…