LIV

 

 

    Ça fait je ne sais combien de temps que je m’échine à essayer de réparer ce maudit moteur et je n’en peux plus depuis longtemps, genre trois secondes après avoir commencé. Je suis un intellectuel, moi, pas un manuel ! Je vise des sphères, des domaines spirituels bien plus élevés.

    J’ai les mains dans le cambouis. C’est sale. Beurk ! Et en plus je n’ai pas trouvé de gants. Si ça se trouve, je suis en train de manipuler des produits cancérigènes ou qui dissolvent des trucs dans mes doigts, sous l’épiderme. Sans parler des vapeurs d’ozone, d’essence, d’huile, et que sais-je encore. Quand donc les moteurs crasseux sentiront-ils la vanille ou le steak haché-frites ? Pourquoi aucun ingénieur n’a-t-il jamais pensé à ce genre de choses en créant un moteur ?

    En plus de tout cela, il y a toujours ce maudit ordinateur de bord acariâtre et prompt à me critiquer, à se moquer de moi méchamment à chaque fois que je me trouve en suivant ses instructions ou en prenant un outil.

    Pfeuh. De toute manière, c’est forcément lui qui explique mal : c’est la seule explication logique au fait que l’esprit supérieur que je suis ne comprenne pas lesdites instructions.  Cet ordinateur est pire qu’une notice de montage de meuble écrite en duésois, c’est pour dire.

 

    Comme si cela ne suffisait pas, j’ai super chaud, c’est mortel. Je m’essuie le front dégoulinant de sueur, et je commence d’ailleurs à me demander si cette chaleur infernale est normale. Je fais part de mes doutes à voix haute :

    – C’est moi ou il fait chaud ?

    – Il fait chaud, me confirme l’ordinateur de bord. Cinquante-deux degrés celsius, et ça continue tranquillement de monter.

    – Cinquante-deux ??? Mais enfin, je vais mourir si ça continue ! Comment ça se fait ?

    – Vu que tu es l’homme le moins doué et le moins rapide que je connaisse en matière de réparation de moteur spatial, cela fait désormais une demi-heure que nous sommes entrés dans l’atmosphère. Si tu ne parviens pas à réparer, nous allons finir pulvérisés et fondus, un spectacle qui devrait être très joli vu d’en bas si les autochtones ont la chance d’être de nuit par temps clair. Sans doute croiront-ils à une pluie de météorites et feront-ils des vœux. Cinquante-trois degrés, maintenant.

    – On va mouriiiiir !

    – Peut-être que non. Tu es presque au bout des réparations.

    – Ah oui ? que je fais, reprenant espoir.

    C’est quand même fou : alors que je n’y connais absolument rien en mécanique, je suis encore parvenu à sauver la situation. Y’a des jours, je me demande comment il est possible de concentrer autant de talents dans le même homme. Ça doit être pour ça que les gens me semblent si médiocres à côté. Histoire de compenser.

    – Oui. Il y a une heure que tu as entamé cette réparation qui aurait pris quatre minutes à un technicien qualifié et on y est presque, même si je n’y ai pas cru pendant longtemps. Cinquante-quatre.

    – Bon sang, il faut vite terminer avant que je grille !

    – Ah, tu as déjà chaud ? J’oublie parfois que vous autres les êtres organiques êtes très fragiles. Moi, je peux tenir jusqu’à sept cents degrés.

    Non mais c’est qu’il se foutrait de moi, ce tas de circuits imprimés obsolètes ?

    – Ça te fera une belle jambe de tenir jusque-là quand je serai mort depuis longtemps et que du coup, il n’y aura plus personne pour achever la réparation et sauver tes fesses métalliques.

    – Tu marques un point, qu’il me concède du bout des lèvres de son haut-parleur vocal.

    – Bon, comment j’achève de réparer ? que je demande, inquiet quand même et dégoulinant de partout.

    – Il ne reste plus qu’à déconnecter le subtransmetteur latéral à ondes courtes ionisantes dans le moteur droit de combustion infraluminique, de manière à ce que le panneau d’arrivée des gaz d’échappement du niveau 7 soit purgé des impuretés du cœur du noyau du réacteur.

    – Hein ?

    – Coupe le fil rouge devant toi et c’est bon.

    Mais pourquoi il n’a pas commencé par me dire ça ?

    – Pour ce faire, il te faut une pince coupante.

    – Ça ? que je demande en brandissant un outil, et en me disant qu’à multiplier les « ça » depuis le début du chapitre, l’auteur de ces lignes manque clairement de vocabulaire.

    – Non, ça c’est un marteau.

    – Ça ?

    – Une pointe.

    – Celui-ci ?

    – Un élastique.

    – Et là ?

    – Tournevis cruciforme.

    – Lui ?

    – Le marteau. Encore.

    Quand je dis que je déteste le bricolage. Tous les outils se ressemblent, c’est dingue. Ils ne pourraient pas faire des trucs bien distincts les uns des autres, les constructeurs d’outil ? Bah non, ça aurait été trop facile. C’est sûrement un complot de la part des conglomérats de fabricants d’outil : vous êtes obligés d’en acheter vingt-sept avant d’avoir enfin le bon. Il faudra que j’écrive un article un article dénonçant ces pratiques douteuses à mon retour…

    – Çui-là ?

    – Alléluia ! Merci mon dieu, merci ! Je vous vénèrerai jusqu’à la fin des temps pour le miracle qui vient de se produire devant mes récepteurs photoniques ! Ce bon à rien de Cirederf vient de trouver la pince coupante !

    Je ne dis rien mais je trouve qu’il en fait trop. L’ordinateur enchaîne :

    – Attention, Nomis, l’heure est grave : tu peux réussir le combo en coupant le bon fil ! N’oublie pas, c’est le rouge. Pas le vert, ni le bleu, encore moins le noir. Rouge, comme la couleur de ton sang. Si tu as un doute, fais-en couler un peu, comme ça tu seras sûr de ne pas te tromper.

    Grrrrr. Si je savais comment faire, ça fait longtemps que je l’aurais désactivé, lui…

    Je coupe le fil – bien évidemment rouge – et par miracle, voilà que le moteur se met en route.

    – Yahou ! que je crie.

    Mon esprit supérieur a encore triomphé, contre vents et marées ! Aussitôt, je file au poste de pilotage et j’empoigne les commandes. Et là je demande à l’ordinateur :

    – Comment on fait atterrir un vaisseau ?

    – Je crois que je vais prendre les commandes, qu’il me répond en soupirant. Et quand on aura atterri, je me mettrais en mode repos. Genre un siècle ou un millénaire. Il faudra bien ça pour que je récupère.

    – Ah, tu peux piloter le vaisseau ? que je demande.

    – Oui, heureusement pour nous deux.

    – Et bien comme ça tu auras finalement servi à quelque chose, que je lui balance.

    Non mais !

    À son tour de ne rien répondre.

    – On est où, au fait ? que je fais.

    – Aucune idée. Ce système n’est pas référencé dans mes bases de données.

    Oui, décidément, cette stupide machine est inutile.

    – Par contre, je détecte que l’atmosphère est constitué d’air.

    Ouf.

    – Et je vois des signes d’activité à la surface. On va se poser à proximité.

    Aïe. La planète est donc habitée. Je me demande par quel type de créatures répugnantes et abjectes.

 

    À ma grande surprise, tout se passe bien à l’atterrissage, qui se fait sur une place dégagée, ceinte de maisons en bois. Bon, les autochtones ne sont sûrement que des primitifs. Il me vient une idée fabuleuse : mon intellect supérieur et moi on pourrait devenir les chefs des lieux, voire même un dieu !

    Tandis que l’écoutille s’ouvre, je bombe le torse et plaque en arrière mes cheveux trempés par la chaleur infernale. Houlà, je vais éviter de trop lever les bras, j’ai failli m’évanouir tellement ça pue la transpiration. Je descends les marches, tête haute, menton en avant, prêt à accueillir le forcément glorieux destin qui m’attend en ces lieux.

    Tiens, les quelques autochtones qui se sont rassemblés au pied du vaisseau sont humains. Ouf, déjà ça de pris.

    Et là, une voix acariâtre, éraillée par l’âge et vaguement féminine retentit :

    – Cirederf, espèce de bon à rien, fils d’imbécile, qu’est-ce que tu fous là ?

    Ma mâchoire manque de se décrocher de surprise. Tout ce que je trouve à dire c’est :

    – Mémé ?

    – Qui veux-tu que ce soit, débile dégénéré de fin de race ?