LVI

 

 

    – Je n’ai jamais vu l’utilité d’une prison sur cette planète donc tu as le droit de rester en liberté, bon à rien, me fait mémé.

    – Euh… merci mémé. Enfin, je suppose.

    – De toute manière, tu ne peux pas t’enfuir. Cette citadelle est ceinte de hauts murs et dispose si besoin est de boucliers énergétiques.

    – Pourquoi ai-je pu atterrir sans souci, alors ? que je demande.

    – Ah, ça… J’étais en inspection de la tour de contrôle, et… j’ai comme qui dirait distrait les trois gardes présents. On était trop occupés à faire nos trucs pour surveiller les écrans.

    – Vos… trucs ? que je fais, des picotements de terreur dans la nuque à l’idée de ce que pourraient être ces trucs.

    – Oui. Des trucs sexuels, mais tu es trop jeune pour entendre cela.

    – Mais enfin, mémé, j’ai quarante et un ans !

    – C’est exactement ce que je dis : un homme-enfant.

    – De toute manière, je ne veux entendre aucun détail sur tes activités : c’est beaucoup trop beurk à mon goût !

    – Pauvre chéri. Un jour, je t’expliquerai comment on fait des bébés.

    – Je le sais parfaitement, voyons ! C’est juste que je ne veux rien savoir sur tes turpitudes !

    – Tu es plutôt mal placé pour me faire la morale, qu’elle me balance. N’es-tu pas l’un des meilleurs clients du club privé L’Aspiratrice, sur Planèteville ?

    – Mais… Comment tu le sais ?

    – J’en suis l’actionnaire principale. Du gâteau en termes de rentabilité, avec tous les détraqués dans ton genre qui y traînent.

    – Mais enfin… Quand j’ai signé mon contrat de client, il était bien spécifié que le club privé garderait pour lui tout ce qui se passait à l’intérieur. Confidentialité garantie, que disait 34-Orpretsalb, son gérant !

    – Naïf enfant ! Grâce à L’Aspiratrice, j’ai pu me monter des dossiers compromettants sur un tas de gens en vue. Comme ça j’obtiens des faveurs de la part des puissants.

    – C’est dégueulasse ! Tu veux dire que tu me ferais chanter, moi, ton petit-fils, la chair de ta chair, le sang de ton sang ?

    – Bien sûr que non, mon garçon.

    – Ouf, tu me rassures, là.

    À cet instant précis et pour la première fois depuis environ trente-neuf ans, j’éprouve une bouffée de tendresse avec cette vénérable doyenne.

    – Bah oui, je ne m’attaque qu’aux gens qui ont de l’argent ou du pouvoir, ce qui va d’ailleurs souvent de pair. Donc forcément, je n’attends rien de toi.

    – Moi, pas puissant ? Tu rigoles, là !

    – Non, qu’elle me balance sèchement. Tu n’es qu’un ver de terre, un membre minable de la plèbe, un grain de poussière version fin de race.

    Je m’abstiens de répondre, même si je vois rouge. Après tout, à son âge, rien d’étonnant à ce qu’elle débloque et vive dans une réalité altérée. Pas puissant, moi… je t’en foutrais !

    Cela me conforte même dans l’idée de la livrer pour toucher la prime : vu comme elle fait n’importe quoi, faire en sorte qu’elle soit prise en charge serait lui rendre service. Bref, une fois de plus, ce serait me comporter en héros altruiste pensant aux autres.

    – Au fait, qu’elle ajoute, Angela, la call-girl aux quatre gros seins qui s’occupe tout le temps de toi à L’Aspiratrice

    – Oui ?

    – Tu savais que sa pomme d’adam avait été enlevée par chirurgie-laser ?

    Je blêmis en songeant aux implications découlant de ses paroles. Puis j’écarte cela d’un coup de balai mental, bien plus facile à utiliser qu’un vrai balai. Je me demande d’ailleurs où le mien est rangé dans mon appartement. Tellement pas utilisé depuis longtemps… Si mon charognard de banquier – qu’on me pardonne ce pléonasme – a saisi mes biens pour se rembourser, peut-être est-il tombé sur mon balai, si vieux qu’il est peut-être aujourd’hui une pièce de collection valant une fortune ?

    Quoiqu’il en soit et là aussi, je choisis de ne pas relever les paroles de mémé : on va dire qu’elle continue de perdre la tête. C’est la seule explication qui me convienne, aussi ne veux-je en entendre aucune autre.

    – Sur ce, j’ai à faire, Cirederf. Une Impératrice telle que moi est très sollicitée. J’ai des problèmes importants à régler, qui risquent d’engager l’avenir de la Confédération Nomisienne !

    J’avoue que j’aime bien le nom.

    Un serviteur-esclave-éphèbe (j’hésite…) bronzé, huilé et vêtu d’un simple pagne fait son apparition et dit à mémé :

    – Le jacuzzi géant a été rempli de champagne, selon vos désirs, votre altesse. Cinq de vos serviteurs y barbotent déjà, en attente de votre bon plaisir.

 

    C’en est trop. Je m’enfuis en courant. Et non, dans ce cas précis, la phrase précédente ne peut être assimilée à un pléonasme car je vous assure que pour l’occasion, je cours très très très vite, avant que mes oreilles ne fondent en entendant de telles horreurs. Une grosse déprime commence à s’abattre sur moi.

 

    Et c’est là qu’une voix solennelle, sortie de nulle part, prononce ces paroles :

    – N’aie plus peur, Cirederf, je suis à tes côtés. Je suis l’Être Suprême, Créateur De Toutes Choses, et tu es mon Élu, choisi par mes soins pour sauver l’Univers.