LXVI

 

 

    Le lendemain matin, je me réveille – hélas – dans ma routine. Une voix me fait :

    – Debout, monsieur Cirederf. L’impératrice Nomis vous réclame séance tenante dans la salle du trône.

    Je grommelle en ouvrant vaguement un œil. Un éphèbe en pagne se tient au pied de mon lit. Je sursaute, rabats les couvertures sur mon corps nu et viril afin de ne pas donner d’idées contre-nature à l’autre détraqué, et je réponds, avec la morgue d’un petit-fils d’impératrice :

    – Quoi ? Le petit déjeuner n’est pas prêt ?

    – Je ne suis pas ton larbin, demi-portion. Maintenant tu te lèves, tout de suite, tu sautes dans les guenilles qui te servent de fringues et tu ramènes tes fesses jusqu’à l’impératrice sur-le-champ, ou je vais lui dire que tu as refusé de répondre à sa convocation. Et là, mon gars, tu peux être sûr que tu vas le sentir passer…

    Il n’a pas fini son sermon que j’ai déjà bondi hors du lit, avant de me vautrer par terre car mes pieds se sont pris dans les draps. Tandis que je me relève à moitié groggy, j’entends l’éphèbe qui égrène un compte à rebours :

    – Vingt… dix-neuf… dix-huit…

    Je rentre dans mes fringues à la vitesse hyperspatiale. Moins une chaussette que je ne retrouve pas et qui n’est nulle part en vue. La chaussette maudite, qui apparaît et disparaît au gré de sa propre volonté. Certains parlent de légende urbaine, mais ces sceptiques se trompent : c’est une réalité scientifiquement prouvée dans certains milieux non reconnus par les instances officielles.

    – Douze… onze… dix…

    Zut, je l’oubliais, celui-là !

    Je cours jusqu’à la salle de bains, dérape jusqu’au lavabo à cause de plein d’eau sur le carrelage, je me rattrape audit lavabo en m’explosant la lèvre dessus au passage et aïe, j’ai deux dents de devant qui bougent. Bon, on verra ça plus tard.

    Et pour l’eau par terre, il paraît que je transforme toujours les salles de bains en piscines quand je me douche. Si j’avais toujours trouvé cette accusation exagérée jusqu’à ce jour, je dois bien reconnaître que…

    – Six… cinq… quatre…

    AAAAAAÏÏÏEEE ! EN RETARD ! EN RETARD ! EN RETARD !

    Je verse direct dans ma bouche une rasade de dentifrice et y enfonce ma brosse à dents dans la foulée. Aïe ! Cette fois c’est sûr, l’une des dents qui bougeait vient de se carapater. Zut, l’autre lâche à son tour au cours du brossage.

    – Zéro. Moi j’y vais.

    Il tourne les talons et quitte la chambre, pendant que je tente en vain de plaider ma cause :

    – Trghui tghtug kooui zeyug…

    Bon, OK, c’est pas simple de s’expliquer avec la bouche pleine de dentifrice. Beurk, je viens d’en avaler un peu par mégarde, en plus. Je crache tout dans le lavabo : dentifrice, sang, dents et brosse éponyme, et je me rue à la poursuite du bellâtre, que je rattrape alors qu’il ouvre la porte de la salle du trône.

    Dès que je suis rentré, je m’arrête. À bout de souffle, je mets les mains sur les hanches en respirant bruyamment. En plus j’ai un point de côté, c’est mortel.

    J’essuie mon front dégoulinant de sueur avec mon bras non moins dégoulinant de sueur, ce qui ne s’avère du coup pas très efficace.

    Et là je me rends compte qu’à macérer dans ma crasse comme je viens de le faire, je pue, c’est une infection. Mais c’est pas ma faute, aussi : j’ai pas eu le temps de me mettre du déo.

    – C’EST POUR AUJOURD’HUI OU POUR DEMAIN, BON À RIEN ?

    Mémé.

    Je soupire et clopine jusqu’au trône. Heureusement, aujourd’hui il n’y a quasiment personne. Je n’aurais pas à supporter les remarques désagréables des gigolos de mémé.

    Je m’incline puis me redresse, attendant la suite avec délectation, vu que je viens de me souvenir qu’elle va m’annoncer ne pas pouvoir se rendre au Centre Impérial pour les soldes, son vaisseau était hors service.

    Mémé me regarde en fronçant les sourcils, regarde le type venu me chercher dans ma chambre, me regarde à nouveau, le regarde lui, et reporte une dernière fois son regard sur moi.

    Avec un sourire goguenard, elle me dit :

    – Il te reste un peu de… truc blanc au coin des lèvres, Cirederf.

    Je comprends ce qu’elle croit avoir compris et, rouge de honte à l’idée qu’on puisse me croire capable de tels actes de dépravation, je me défends :

    – Non ! Non ! Non ! Non ! Non ! C’est du dentifrice, mémé ! Ne va pas t’imaginer que…

    – Silence, bon à rien, je ne t’ai pas donné la parole ! Et je ne veux rien entendre de plus sur tes turpitudes !

    Soudain guillerette, elle ajoute, avec un clin d’œil et en désignant l’éphèbe de la tête :

    – Il est efficace, hein ? Coquinou, va !

 

    Je veux mourir.