LXIX

 

 

    [NDA : ouaip, les chiffres romains pour énumérer les chapitres, c’est sympa, mais c’est également vrai qu’à un moment, ça devient n’importe quoi tellement on a oublié où on en est : en l’occurrence, au chapitre 69]

 

    Détonateur thermal ? Non mais il est fou, lui ! Je tends la main vers le balai pour sortir de ma cachette mais suspends mon geste en entendant une autre voix dire :

    – Tu ne peux pas faire ça ! Sinon tu vas tout faire exploser dans un rayon de plusieurs dizaines de mètres !

    – Et alors ?

    – Bah et alors tu crois que tu vas courir assez vite pour ne pas être pris dans l’onde de choc ?

    – On s’en fiche, y’a un retardateur.

    – Même… Tout va s’écrouler, pas sûr qu’on retrouve une trace du corps de ce Nomis. On en aurait pour des jours à tout déblayer.

    – Hum… T’as pas tort.

    – En plus, il vaut plus cher vivant que mort, donc essayons de l’épargner.

    – Ça risque quand même d’être dur. C’est loin d’être notre spécialité.

    – C’est vrai. D’après mes calculs, sur les 372 criminels qu’on a attrapés depuis qu’on bosse ensemble, seuls trois ont survécu à leur arrestation par nos soins.

    J’ai beau être dans le noir et sans miroir, je me sens blêmir à vue d’œil, tout en déglutissant nerveusement. Qu’est-ce que c’est que ces malades ?

    – Bon, allons-y en douceur, alors. On défonce la porte avec subtilité, à coups de laser-mitrailleur.

    – Impec, comme ça y’a aucun risque d’explosion.

    Gloups.

    – Sauf si n’il n’y a pas un couloir ou une grande pièce derrière cette porte… mais un simple placard.

    – Allons donc ! Qui serait assez stupide pour se réfugier dans un placard ?

    – Euh… moi, que je fais timidement.

    OK, c’est assez insultant de se faire traiter de stupide, mais mieux vaut être un stupide vivant qu’un intelligent mort, comme dit le vieil adage ancestral que je viens d’inventer à l’instant.

    – Au moins, on ne devrait pas avoir trop de mal à la capturer, celui-là.

    – Clair qu’il n’a pas l’air d’avoir la lumière è tous les étages…

    – Bon, c’est pas le tout mais va bien falloir qu’on entre.

    – Attends, j’ai une idée ! Monsieur Nomis, vu que vous n’avez aucune chance de vous en sortir, je vous saurai gré d’ouvrir la porte. Ce serait le mieux pour tout le monde.

    – Pas question, que je réponds du tac-au-tac. Vous voulez me capturez et moi je ne veux pas l’être, donc dans ce genre de situation, je me dois de résister autant que faire se puisse. C’est quand même le minimum syndical de votre part de trouver une solution et de faire des efforts pour me capturer, sinon quel intérêt ?

    – Il n’a pas tort.

    – Ouais. Voyons… Ah, je sais ! Il nous faut un bélier !

    – Désolé, je suis scorpion.

    – Et moi sagittaire, que j’ajoute machinalement.

    – Vous êtes graves, les gars. Ceci dit, on ne va pas y passer la journée non plus. Monsieur Nomis ?

    – Oui ?

    – Protégez-vous du mieux que vous pouvez, je vais tirer au laser au niveau de la serrure.

    – Mais c’est super dangereux pour moi, ça !

    – Oui bah tant pis. On ne fait pas d’omelette sans faire déborder le vase, c’est bien connu. Protégez-vous au mieux, et prévenez-moi quand vous êtes prêt.

    Me protéger, me protéger… il est marrant, lui ! Je suis dans un placard à balai, je ne vais pas y trouver une tenue anti-émeutes ou une armure de combat. Bon, j’y trouve quand même une tenue de substitution : j’enfile des gants de ménage en latex rose, taille 10, mets un seau en plastique retourné sur ma tête – beurk, il a été mal rincé, il pue – et enfile un tablier à fleurs – je crois que ce sont des chrysanthèmes dessus, ce qui ne me rassure pas des masses –, sur lequel il y a un badge avec le prénom « Monique ».

    Vais-je survivre à la délicate opération que ces chasseurs de primes vont déclencher ? Ce serait quand même vachement dommage pour ma crédibilité naturelle de mourir dans une telle tenue…

 

    Au cas où, je me prépare psychologiquement. Adieu la vie ! Adieu le soleil ! Quoique : il ne m’a jamais bronzé, toujours donné des coups de soleil. Adieu le ciel bleu ! Bon, en même temps, je n’ai jamais été assez riche pour m’installer dans les étages supérieurs des gratte-ciel de Planèteville, donc je l’ai rarement vu, en fait. Adieu les jolies petites fleurs des champs ! Ah bah non, vrai que je suis allergique au pollen.

    Là, je me sens prêt, vu le peu de choses que j’ai finalement à regretter de la vie.

    – Quand vous voulez, les gars, que j’annonce, calme comme je ne l’ai jamais été de toute ma vie.

    Un fracas d’enfer retentit, une explosion me rend sourd et me projette contre le mur opposé, tandis qu’une tonne – au moins – de débris s’abat sur moi.

    – Argh, je suis mort ! que je dis en guise d’épitaphe à ma propre situation.

    – Les morts ne parlent pas, commente Qel.

    – Si, les zombies, répond Qyp.

    – Non, ils émettent des borgorythmes.

    – Ah oui, c’est vrai. Les vampires, alors ?

    – Bien vu. Donc soit Nomis est un vampire, soit on l’a raté et en fait, il est toujours en vie.

    – J’espère aussi que je suis encore en vie, que je rétorque, parce que si l’enfer après la mort c’est de vous écouter déblatérer des âneries, elle va être vachement longue, mon éternité de tourments.

    – Qu’est-ce qu’il veut dire par là ?

    – Je sais pas, j’ai rien compris.

    Les deux types s’avancent dans l’encadrement de la porte. Ouf, je me rends compte à ce moment-là que ce sont des humains. C’est déjà ça. Je n’aurais pas à supporter la vue de non-humains répugnants.

    – Enchanté, mon nom est Qel, me fait l’un d’eux en me tendant la main, autant pour me saluer que pour m’aider à me relever.

    Il a l’air plutôt mondain, à défaut d’avoir l’air sympa. Mine patibulaire barrée d’une grosse cicatrice de pirate, courant du coin de l’œil jusque sous de l’oreille, et un menton au prognathisme impressionnant. C’est bien simple, des mentons pareils, je n’en avais jamais vu ailleurs que sur des dessins caricaturaux.

    – Et moi je m’appelle Qyp, me dit l’autre.

    Celui-là, je le hais aussitôt, juste parce qu’il a une tête, une apparence qui ne me reviennent pas. Il est tout fluet, engoncé dans des vêtements trop courts pour lui, il a des petits yeux cerclés de grosses lunettes. Je me demande… ah, voilà, j’ai compris pourquoi il me semble si antipathique !

    Il a la tête typique du comptable, ou de l’agent d’assurance voire de l’inspecteur des impôts. Or qui aime ces gens-là ?

    Je lui serre quand même la main, mais uniquement parce que je suis quelqu’un de poli, qu’il est humain et que je préfère éviter un redressement fiscal.

    – Il est urbain, quand même, reprend Qel.

    – Clair, ça change de tous ces bourrins qui se battent jusqu’à la mort plutôt que d’être capturés par nous, ajoute Qyp.

    Je ne réponds rien. Même si leur compliment me réchauffe le cœur, ils sont là pour m’arrêter, me livrer et toucher le million mis sur ma tête, donc, bon…

    Au moins, ça ira plus vite que si j’attends la flotte impériale.

    – Bon, maintenant que nous vous tenons, on va pouvoir faire du business.

    Je ne réponds toujours rien. Pas envie de savoir comment je vais me faire trucider, ni quand.

    – J’appelle votre mémé, dit Qel en pianotant son datapad.

    – Ma mémé ?

    Qu’est-ce qu’il lui veut ?

    – Le plan, c’est qu’elle se livre à nous sinon on vous tue. Comme c’est votre mémé, elle ne va pas hésiter une seconde à se sacrifier. Les liens du sang, toussa. Et là, à nous les quatre milliards qu’elle vaut, une fois qu’on aura fait l’échange entre vous.

    Avant que j’ai le temps de les détromper quant à l’attitude de mémé envers moi, une vieille voix sèche dit dans le datapad :

    – Quoi ?

    – Madame Nomis, nous sommes les chasseurs de primes Qel et Qyp. Nous détenons prisonnier votre petit-fils, Cirederf. Si vous ne vous livrez pas à sa place, nous le découpons en morceaux puis nous le tuons.

    – Faites donc ça. Bon débarras.

 

    Et elle raccroche.