– Bon sang, c’est pas vrai ! hurla Harry Harlington dans son communicateur. Qui se trouvait avec Lupescu ?
– Moi, commandant, répondit Kimiko Heitashi, au bord de la panique. Je ne comprends pas, je lui ai juste tourné le dos pour jeter un œil par une porte. Je n’ai entendu aucun bruit, rien de rien !
– Ne bougez pas, aspirant, on arrive.

L’officier ingénieur O’Connor sur les talons, Harlington sprinta à travers les couloirs de la base. Alors qu’il ne restait plus qu’un coude à franchir pour atteindre Heitashi, la voix de Inriek retentit :
– Commandant, Kimiko a disparu à son tour !
Harlington atteignit la dernière position enregistrée de Kimiko Heitashi, phaseur à la main. Comme l’avait annoncé Inriek, il n’y avait rien à voir. L’aspirante s’était volatilisée.
– Au rapport, fit-il sèchement.
– Même chose que pour Gotram et Lupescu, commandant, répondit Inriek. Ils étaient là et l’instant d’après, ils avaient disparu. Nos senseurs n’ont rien enregistré de particulier, ils les ont juste… perdus.
– Ça ne me suffit pas, enseigne, je veux des réponses !
– À vos ordres, commandant.
– T’Savhek, vous m’entendez ? fit Harlington dans son communicateur.
Il échangea un regard avec Mary O’Connor, et espéra que la terreur qu’il lut dans ses yeux ne se reflétait pas dans les siens. C’est alors que sous ses yeux, Mary O’Connor devint transparente avant de disparaître. Sans un bruit, sans aucun effet d’annonce. En deux secondes à peine.
– C’est un piège, cria Harlington dans son communicateur. Que tout le monde quitte l’avant-poste et rejoigne le Baltimore ! Inriek, gardez un œil sur les positions de chacun et tenez-moi au courant de nouvelles disparitions. Inriek ? Inriek, bon sang, répondez-moi !
– Ici Garcia, monsieur. Je ne comprends pas… Inriek s’est volatilisé à son tour.
Harlington sentit un frisson lui parcourir l’échine. Il avait imaginé que ses hommes et lui seraient en sécurité sur le Baltimore. L’annonce de Garcia le convainquit que rien ne les sauverait à part fuir la planète. La mort dans l’âme, il donna ce qui pourrait très bien être ses derniers ordres :
– Monsieur Garcia, levez les boucliers. Préparez un résumé de nos investigations et joignez-y un rapport des derniers événements. Envoyez le tout vers la Terre sous la forme d’une communication subspatiale. Au moins, Starfleet sera prévenu.
– Oui, monsieur !

Alors c’était cela, la constatation de son échec le plus cuisant ? Un ennemi invisible qui s’en prenait en toute impunité à ses hommes sans qu’il puisse y faire quoi que ce soit ? Harlington se demanda ce que le commodore Jericho aurait fait à sa place mais aucune idée ne lui vint. Il se mit à marcher lentement, sonné au possible. À quoi servait-il de courir s’il pouvait à son tour être capturé à n’importe quel instant ? Il chercha à rejoindre la dernière position connue de T’Savhek, sans trop croire qu’on lui laisserait le temps de l’atteindre.
La Vulcaine n’était pas à son poste. Hébété, Harlington se rapprocha de la console et ses yeux se posèrent sur les données qui défilaient à l’écran. Un rapport d’analyse apparut et il le lut machinalement. L’ordinateur afficha ses conclusions, dénuées de la moindre logique pour Harlington. Son attention fut attirée par le mot erdebium, une molécule synthétique dont le nom lui était familier. Il fut abasourdi quand les pièces du puzzle s’assemblèrent enfin dans son esprit. Comment avait-il pu être aussi stupide ? Il aurait dû comprendre depuis longtemps !
– Baltimore, ici Harlington, répondez. Garcia ? Quelqu’un ? J’ai tout compris ! Il faut reconfigurer sur-le-champ…
Le commandant du Baltimore se tut quand son environnement disparut brutalement et qu’il se retrouva dans le noir le plus total.

– Pourtant, docteur Sulok, tous les manuels préconisent que la solution doit être affinée à 0,3%. Pourquoi voulez-vous un dosage à 0,5% ?
– Parce que les données dont vous vous servez, monsieur Thif, ne sont que des moyennes génériques tenant compte de l’espèce à laquelle appartient le patient, ainsi que le sexe et l’âge. Chaque patient est différent d’un autre et seules des analyses précises menées au cas par cas garantissent un effet optimal dans les processus de guérison. Je connais parfaitement tous les paramètres à prendre en compte concernant ma propre santé. La solution d’antétropine doit donc être affinée à 0,5% pour être la plus efficace sur moi.
– Vous avez dressé un profil personnalisé pour chaque membre de l’équipage ? C’est un travail de titan !
– Je n’ai malheureusement pas eu le temps de m’y atteler, mais je vais y remédier dès que possible. Ce n’est effectivement pas un travail simple, qui nécessite des centaines d’analyses poussées. J’estime néanmoins qu’il faudra mener ces recherches à bien afin d’optimiser les profils médicaux des membres de l’équipage.
Thif se tut. Décidément, Sulok avait changé. Il mettait la barre très haute concernant la santé de l’équipage, si haute que Thif avait presque le vertige à l’idée des heures qu’ils allaient devoir passer sur des échantillons dans le laboratoire. Lors de ses études à l’Académie, l’un des devoirs les plus importants pour les examens finaux avait été une étude de cas personnalisée et très poussée. Il avait passé une grande partie de l’année scolaire à cette étude. Que Sulok en fasse une procédure standard à bord montrait à Thif à quel point le médecin vulcain n’avait plus l’intention de laisser quoi que ce soit au hasard. Il serait irréprochable, et Thif allait devoir suivre le rythme.
Penché au-dessus d’un plan de travail, l’Andorien injecta la solution dans une seringue hypodermique. Quand il se retourna vers Sulok, le lit médical de celui-ci était vide.
– Docteur ? DOCTEUR ?
Thif se jeta sur l’intercom.
– Passerelle, ici l’infirmerie, le docteur Sulok a disparu ! Passerelle, vous m’entendez ? Répondez, s’il vous plaît ! Salle des machines ? Mess ? Allô, quelqu’un ?
Au bord de la panique, Thif se colla au mur. Où étaient-ils tous passés ? Qu’allait-il lui arriver ?
Il vit sa peur reflétée dans un miroir sur le mur d’en face. L’incrédulité remplaça la peur quand son reflet devint transparent et que sa vue se brouilla.
Le Baltimore était désormais un vaisseau fantôme. Aussi mort que l’était l’avant-poste de la Fédération.