LXXX

 

 

    Pendant qu’on cause, je suis Saint-Lazare, qui m’a mené dans un grand bâtiment plat attenant à la piste d’atterrissage de laquelle Qel et Qyp sont repartis.

    Alors que je me demande si je ne devrais pas m’enfuir – après tout, il y a un autre vaisseau sur le tarmac, donc pourquoi pas –, on croise rapidement des gardes humains et droïdes de combat qui font des rondes. Je décide donc de repousser le moment de ma future évasion. On court nettement moins vite après avoir reçu un tir de blaster entre les deux yeux, c’est bien connu.

    Et puis quand bien même je parviendrais – par miracle, parce que je ne vois pas comment sinon – à me débarrasser des droïdes de combat, resterait encore Gédéon Saint-Lazare en face de moi. Autant je ne suis absolument pas fan de son apparence, autant je dois me méfier. Comme il l’a dit, il est désormais un être supérieur, et si ça se trouve, son nouveau corps lui donne accès à des arcanes de prouesses physiques dont je n’ai aucune idée. Genre le kung-fu ultime de l’homme-poulet, une forme de combat au corps-à-corps qui ferait passer les arts martiaux les plus meurtriers pour des séances de tricot.

    Quand on arrive devant une porte fermée, Saint-Lazare me fait, tout sourire :

    – Ici, vous allez découvrir ma vie, mon œuvre.

    – Y aurait-il un musée à votre gloire dans cette pièce ? que je demande.

    – Oui, tchip ! Comment avez-vous deviné ?

    – Je dois reconnaître qu’à votre place, si j’en avais les moyens, j’aurais fait pareil.

    – Merveilleux, mon cher Nomis ! Quand je dis – tchip – que nous sommes semblables. Nous pensons de la même manière, décidément !

    On entre dans la pièce, et… elle est vachement bien, en fait ! Très grande, avec des vitrines, quelques statues très réalistes de gens, des portraits géants de Saint-Lazare, en 2D, en 3D, en patchwork, en photos noir et blanc, couleurs, en sculptures d’allumettes, de papier mâché.

    Je suis sous le charme. Non pas de voir Saint-Lazare sous toutes les coutures, mais d’imaginer ma propre tête à la place de la sienne sur ces dizaines de supports.

    Je m’arrête devant deux statues très réalistes, un homme et une femme, et je lui demande :

    – Qui est-ce ?

    – Papa et maman. Ils ont donné naissance à un génie, du coup ça leur donne le droit à l’immortalité dans mon musée !

    – Immort… vous voulez dire qu’ils sont vivants ?

    – Pas tout à fait. Je les ai fait empailler histoire que leur corps ne s’abîme jamais, et j’ai gardé leur cerveau à part, dans du formol. Je veux bien vous les montrer, d’ailleurs, mais à mon grand regret, je n’ai jamais réussi à y trouver quoi que ce soit qui sorte de l’ordinaire.

    – Je pense à un truc, que je fais soudain.

    – Oui ?

    – Il existe déjà une race d’horribles mi-hommes mi-oiseaux, les Rishii, et ils ne sont pas une espèce supérieure pour autant. Ça se saurait.

    – Vous avez – tchip – raison, ils existent bel et bien. Mais ils ne sont qu’un accident de la nature, rien à voir avec une espèce supérieure. Disons qu’ils ont raté la marche du Grand Escalier de l’Immortalité. Ils ont glissé sur la peau de banane de l’évolution et sont retombés au pied de l’escalier, la tête la première, ce qui a – tchip – provoqué de gros dégâts ayant amoindri leurs capacités intellectuelles. C’est ce qui explique pourquoi ils sont si… vulgaires, et si ordinaires.

    – C’est une théorie évolutive logique, qui se tient, je dois bien le reconnaître.

    – Merci. Voyez-vous, c’est grâce à mon intellect supérieur que – tchip – je suis à même d’échaufauder les meilleures théories scientifiques.

    J’avoue être impressionné, et même si la perspective de me retrouver transformé en homme-poulet continue de me répugner, je me demande jusqu’où mon déjà génial cerveau serait capable de s’envoler, soutenu par le corps ultime que peut lui offrir l’univers.

    Mais voilà que nous finissons déjà la visite du musée de Gédéon Saint-Lazare, dont le reste est moins intéressant : plein de trucs difformes dans du formol et des tas de bouquins. Y’a des araignées dans les coins, aussi, mais je préfère m’abstenir de lui demander s’il les a modifiées d’une quelconque manière ou si ce sont juste de bêtes araignées.

    La pièce suivante est totalement différente, et ressemble à s’y méprendre à un bloc opératoire. Y’a le lit, les champs opératoires, les super luminaires qui doivent consommer un bras et qui, à mon avis, servent surtout à aveugler le pauvre type charcuté sur la table.  Comme ça, au cas où la dose d’anesthésiant n’ait pas été suffisante pour le garder dans les vapes, il est certes conscient mais ne voit pas ce qu’on lui fait.

    – Je vous en prie, mon cher Nomis, prenez place. Tchip.

    Là, il me fait clairement peur, surtout qu’une lumière dirigée vers le haut vient juste de s’allumer sous son menton, donnant à son visage une allure de vautour.

    Je m’allonge docilement après avoir vu les droïdes de combat me mettre en joue, et me voilà bientôt solidement ligoté à la table d’opération.

    – À nous – tchip – deux, mon cher Nomis, ajoute Gédéon Saint-Lazare, tandis que j’entends de drôles de bruits : des cris lointains, des portes qui grincent, un fantôme qui ulule.

    – Je… Je ne suis pas très rassuré, que j’avoue.

    – Les bruits et la lumière sous mon menton sont chouettes, hein ? me fait Saint-Lazare. J’ai fait rajouter ça pour l’ambiance, histoire bien déstabiliser les patients. J’ai toujours aimé les films d’horreur.

    – Bra… bravo, c’est… c’est réussi, comme am…bi…bi…ance.

    C’est fou comme je claque bien des dents quand j’ai peur, je ne m’en étais jamais rendu compte avant.

    – Merci, fait le chirurgien en s’inclinant.

    Mais Saint-Lazare n’en a pas encore fini avec l’atmosphère qu’il est en train d’instaurer. Il met lentement des gants en latex, qu’il prend bien soin de faire claquer, enfile un tablier déjà barbouillé de larges traînées rouges qui me font immédiatement penser à du sang.  Pendant ce temps, un superbe rire démoniaquement sadique retentit, et j’entends des portes grincer lentement.

    Heureusement que je n’ai pas envie de faire pipi, sinon je crois que j’aurais eu un accident. Je suis vert de trouille, j’ai envie de pleurer. Pleurer sur mon triste sort, pleurer sur mon pauvre corps d’athlète qui ne va pas tarder à être mutilé.

    Gédéon Saint-Lazare s’empare d’un bistouri-laser dans une main, d’une planchette d’au moins trois centimètres dans l’autre, et hop ! D’un coup d’un seul, voilà la planchette proprement coupée en deux.

    – Bien. Commençons, mon ami, fait-il en se penchant sur moi.

    Je n’ai pas remarqué qu’il pleuvait dans la pièce. Alors comment se fait-il que je sois trempé ?

    Alors que le bistouri-laser s’approche de ma gorge, une alarme retentit et un garde humain apparaît sur un écran de contrôle en criant :

    – Seigneur Saint-Lazare ! Il y a des intrus ! Ils disent qu’ils sont là pour Nomis !

 

    Et de ce fait, on entend une voix derrière lui qui crie :

    – Hoy, hoy, les gars ! Lancement de l’Opération « Sauver Nomis ! ».