LXXXI

 

 

    Mais… mais… mais… Hoyman Hoyddings ! Incroyable ! Qu’est-ce qu’il fiche ici, celui-là ? La dernière fois que je l’ai vu, on s’est séparés en bons termes… sauf que j’avais fait en sorte qu’il ne découvre pas le colonel Covelian attaché à une chaise dans un placard à balais.

    Hoyddings n’a pas dû l’apprendre, sinon il ne viendrait pas me sauver.

    Sur l’écran géant dans la pièce, une caméra de surveillance suit le lieutenant du BSI et les siens à la trace, tandis qu’ils avancent en tirant sur tous les gardes humains qui se mettent en travers de leur chemin.

    – NOMIIIIIS ! hurle soudain Hoyddings. Où es-tu, sale enfoiré, qu’on te fasse la peau ?

    Ah. Finalement, on dirait qu’il a appris que je lui ai caché Covelian.

    Gédéon Saint-Lazare se penche sur moi et me demande :

    – Des amis à vous ?

    – Plus maintenant, je dirais.

    – OK, donc je peux les anéantir, les détruire, les réduire en poussière de miettes ?

    – Euh… oui, que je réponds en déglutissant nerveusement tellement il y a de la folie dans le regard de Saint-Lazare.

    Il se tourne vers une unité comm au mur et dit dedans :

    – Capitaine, engagez toutes vos forces dans la bataille !

    – Nan mais ici c’est les cuisines, m’sieur Saint-Lazare. Je vous ai déjà dit mille fois que le code pour le poste de contrôle du capitaine de la garde, c’est 123, pas le 321 que vous venez encore de faire et qui vous met en relation avec les cuisines.

    – Ah oui, tchip, pardon, fait Saint-Lazare avant de composer le bon code. Âllo, capitaine ? Vous êtes là ?

    – Hoy ! Hoy ! répond une voix qui ne m’est que trop familière. Je suis sûr qu’il aurait adoré vous répondre, mais c’est pas facile maintenant que de multiples tirs de blaster lui ont arraché la tête !

    J’entends les ricanements de ses hommes derrière lui. Je ne me souviens pas qu’ils aient été aussi efficaces quand je les fréquentais, sa bande du BSI et lui.

    – Aïe, que je fais en me tordant le cou pour regarder Hoyddings et les siens sur l’écran géant. Faut dire qu’il n’est pas face à moi donc c’est pas facile d’avoir une bonne vue. J’espère que je ne me prépare pas un torticolis.

    Une ombre s’étend soudain au-dessus de moi. Gédéon Saint-Lazare, qui commence à desserrer mes liens en disant :

    – Nous allons – tchip – surseoir à votre opération, mon cher Nomis. Les conditions ne sont pas réunies pour que je sois au top de ma concentration.

    Un grand soulagement m’envahit, vite tempéré par un nouveau cri rageur d’Hoyddings sur l’écran :

    – NOMIIIIIIIS ! T’es un homme mort !

    – Il me pète les oreilles, que je fais.

    – Ouaip, j’ai installé des super baffes 5 900 watts dolby supersound stereo doublemono. Ça rend bien, hein ?

    – Trop, bravo. Par contre, on ne devrait pas commencer à s’inquiéter ? Parce que bon, il est en train de tuer tout le monde, là, le Hoyddings.

    – N’ayez aucune inquiétude, Nomis, mon ami. Tchip. Ces agents du BSI n’ont aucune idée des très nombreux pièges dont j’ai truffés cette base, contre les indésirables comme eux.

    – OK, que j’acquiesce, pas forcément rassuré pour autant.

    Gédéon Saint-Lazare nous installe deux fauteuils confortables devant l’écran, plein de douce moumoute, réglables en hauteur comme en inclinaison, et avec des accoudoirs. Il me met une boisson noire et gazeuse dans la main, avec une paille, et me donne également un gros paquet de pop-corn. Lui-même s’équipe de la même manière avant de s’enfoncer avec délice dans son fauteuil.

    – Maintenant, nous sommes dans des conditions optimales pour profiter du spectacle, tchip, conclut-il.

    Pendant ce temps, Hoyddings et ses hommes continuent leur carnage, et rien ne semble pouvoir les arrêter. Sauf qu’au détour d’un couloir, ils s’arrêtent net car se retrouvent face à une bête… euh… comment dire… en fait, je me demande si je dois rire ou pleurer face à ce que j’ai sous les yeux.

    Avec son corps massif et écaillé comme un dragon, et ses multiples cous, je saisis immédiatement l’analogie avec une hydre, en l’occurrence à cinq têtes. Mais pourquoi quatre de ses têtes sont celles de chatons ? Pire encore, pourquoi la cinquième tête est-elle celle d’un chien ?

    – Sympa, hein ? demande Saint-Lazare. C’est moi qui l’ai créé.

    Je ne sais pas quoi répondre, tandis que les miaulements pitoyables des chatons n’arrivent pas à surapsser les aboiements du seul chien. À un moment, l’un des chatons croise le regard du chien, ils restent brièvement se regarder en chien et en chat de faïence, puis tentent de se mordre l’un l’autre.

    – Ils font quoi, là ? que je demande.

    – Je n’avais hélas que quatre chatons pour faire les têtes de mon hydre, alors j’ai sacrifié Kenavo, mon épagneul rbeton. Tchip. Ce qui est intéressant, c’est que le mettre avec les chatons renforce l’agressivité générale de la bête. Super bien pensé, hein ?

    Je fais un « hum hum » qui ne m’engage à rien, la bouche pleine de pop-corn.

 

    À l’écran, je vois Hoyddings et ses hommes qui tirent, encore et encore, sur la pauvre bête, sauf que les tirs ricochent sur sa peau écailleuse, et que les têtes parviennent aisément à éviter tous les tirs qui les visent.

    – Waouw ! que je fais en recrachant un peu de pop-corn tellement je suis aussi surpis qu’impressionné.   

    – Et oui, les envahisseurs sont perdus ! Tchip et encore tchip !

    L’hydre force le petit groupe d’assaut à reculer, le menaçant de ses queues, de ses griffes et de ses crocs. Je commence à me détendre. Ce n’est pas comme ça que Hoyddings parviendra à mettre la main sur moi.

    – Hoy ! Hoy ! Opération « Mettez-vous à couvert ! ». On se prend la pâtée ! Tiens, à ce propos, personne n’aurait pensé à apporter de la pâtée ou des croquettes ? Ce serait un super moyen pour se débarrasser de ce truc !

    Aucun de ses hommes ne formule de réponse positive, ce qui me semble assez logique : je me serais posé des questions si de la pâtée ou des croquettes avaient fait partie de leur équipement. 

    – Et voilà le travail, tchip, commente Saint-Lazare en voyant Hoyddings et les siens bloqués. C’est dommage qu’ils ne soient pas capables de faire mieux, j’avais prévu encore plein d’autres pièges s’ils parvenaient à vaincre mon hydre.

    – Oui bah je préfère ça, sluuuuuuuuuurp, que je réponds en vidant ma boisson gazeuse noire à la paille. Vous imaginez s’ils avaient été assez forts pour passer tous les obstacles que vous avez mis en place ? Burp ! Pardon pour le rot, c’est la boisson.

    À l’écran, on savoure l’impuissance des Impériaux, quand une forme floue traverse le champ de la caméra pour se jeter sur l’une des têtes d’hydre. Je ne suis pas loin de vomir mon pop-corn quand l’une des têtes de chaton est broyée entre les crocs surpuissants du nouvel arrivant.

    Avec stupeur, je reconnais immédiatement cette créature du diable, et la confirmation arrive aussitôt quand j’entends, hors champ de la caméra, une voix aussi féminine que familière ordonner :

    – Vas-y Kiki, bouffe-les tous !