LXXXVI

 

 

    – Va falloir qu’on pense à fuir, non ? que je demande.

    – Sûrement pas ! Les fuites, c’est pour les faibles et pour les couches bas de gamme. Or je ne suis ni faible ni ne porte de couches, tchip !

    – On… On va les affronter, alors ?

    Décidément, je suis de moins en moins rassuré. On a affaire à des tueurs professionnels surentraînés. Et de mon côté, la seule fois de ma vie où j’ai manié un blaster, je me suis retourné un ongle en appuyant sur la détente et j’ai eu mal au doigt pendant deux jours. C’est bien simple, à un moment j’ai même cru que j’allais perdre mon doigt tellement la douleur était insupportable, ce qui m’aurait posé de graves problèmes.

    Bah oui, taper au clavier avec un doigt en moins quand on est journaliste, ça sent la galère à plein nez. Et puis c’était le majeur, donc comment j’aurais fait pour faire des doigts d’honneur aux importuns ?

    Heureusement, mon système immunitaire – supérieur – a pris le relais et mon pauvre doigt a fini par s’en remettre.

    À l’écran, je vois l’équipe du BSI en action : ils ont démonté le panneau de contrôle de la porte blindée, fermement décidés à provoquer un court-circuit. Ou à faire un truc abscons et qui me dépasse parce que c’est compliqué, l’électronique. Bref, ils bidouillent la porte en espérant l’ouvrir.

    – Saint-Lazare ? que je fais, de plus en plus inquiet.

    – Oui, oui, une minute, qu’il me répond, occupé à taper des trucs sur son clavier.

    Je reporte mon attention sur les agents du BSI, en grande discussion.

    – Là, tu coupes le fil rouge et le vert, et tu les relies ensemble.

    – T’es sûr ? Moi j’aurais mis le bleu et l’orange ensemble.

    – Hoy ! Hoy ! Décidez-vous mais décidez-vous vite, je sens qu’on touche au but !

    – Si j’avais la puissance de feu nécessaire, ça fait longtemps qu’on l’aurait franchie, cette maudite porte ! ajoute Zavid en grinçant des dents.

    Finalement, l’un des hommes fait sa bidouille avec les fils… et se retrouve pris de convulsions impressionnantes.

    – Hoy ! Hoy ! Ne le touchez pas, cet imbécile a oublié de faire une dérivation, il est en train de se prendre 10 000 volts.

    Le corps de l’agent commence à fumer, puis ses vêtements prennent feu, et il lâche enfin les câbles avant de s’écrouler au sol, mort de chez mort.

    – Pouah, ça pue !

    – Prim’s pour récupérer son ordi, il a des super jeux dessus !

    – Je l’avais bien dit que c’était pas les bons fils, hoy !

    Je trouve qu’en terme d’épitaphe, on a déjà vu mieux, mais bon… Après tout, ce sont des barbouzes, et dans « barbouze » il y a « barbare », ou presque.

    Finalement, c’est Zavid qui prend les choses en main, les choses en question étant son blaster-mitrailleur, qu’elle colle contre le panneau de contrôle ouvert de la porte fermée, avant d’appuyer sur la détente, et encore, et encore, et encore.

    Étincelles, mini-explosions, bouts de métal qui fondent… tel est le résultat de ses efforts, avant qu’une nouvelle cloison de métal de métal ne se referme devant la porte.

    – Tchip ! Elle est vraiment stupide, celle-là ! En cas de souci, une deuxième porte, anti-explosions cette fois-ci, vient renforcer la première. Et c’est précisément ce qui vient de se passer !

    – MOI, STUPIDE ? T’ES UN HOMME MORT ET PLUS QUE MORT, NOMIS !

    Mais que… Et là j’avise le coude plumu – oui, c’est l’adjectif que je viens d’inventer et qui décrit le mieux le coude de Saint-Lazare, tout comme on parle de coude poilu pour les Wookiees – de mon comparse, qu’il a par inadvertance posé sur le bouton du haut-parleur.

    Bref, elle l’a entendu. Par contre, je rectifie tout de suite les choses en parlant dans le micro :

    – Nan mais Zavid, c’est pas moi ! C’est Saint-Lazare ! 

    – M’en fous ! J’aurais quand même ta peau !

    – Mais…

    – Deux fois !

    Là, je préfère me taire. Je sens que quoi que je dise, elle restera hermétique à mes paroles, aussi sensées soient-elles. Quelle plaie, ces militaires obtus.

    – Qu’on me donne un détonateur thermal, fait Zavid, plus que jamais glaciale, en tendant la main derrière elle.

    Les autres se regardent, plus qu’inquiets et je les comprends, mais Hoyddings finit par lui en donner un. Le regard de Zavid se fait plus doux quand elle regarde la bombe. Elle lui sourit, la caresse en lui murmurant des trucs, comme une mère le ferait avec son bébé adoré.

    Cette femme me fera toujours flipper…

 

    – Voilà, j’ai terminé la réécriture de mes protocoles, tchip ! s’exclame alors Saint-Lazare en levant les yeux de son terminal informatique.

    – Protocoles ? Comme à une cour royale ? que je demande, incrédule.

    Il se contente de me lancer un regard indéchiffrable avant d’enchaîner :

    – Ce complexe est bien plus vaste qu’il n’y paraît. Il s’étend sur des kilomètres sous terre, avec plein de super pièges que j’ai conçus moi-même. Toutes les salles communiquent grâce à des tunnels dotés d’ascenseurs… ou non, pour que les éventuels envahisseurs s’écrasent comme des meilooruns pourris ! Sans parler des trappes dissimulées un peu partout, qui permettent là encore de faire tomber qui on veut dans la salle qu’on veut ! Tchip ! Tchip ! Que tout cela est excitant !

    – Euh… Saint-Lazare ? que je fais pour tenter d’attirer son attention.

    Il faut dire qu’à l’écran, les agents survivants du BSI partent en courant se mettre à l’abri, loin de Zavid qui a activé son détonateur thermal et s’approche de la porte d’un pas décidé.

    – C’est bon, tchip ! C’est parti pour la technique du toboggan géant ! s’enthousiasme Saint-Lazare en enfonçant un gros bouton rouge devant lui.

    Alors que je me demande s’il n’est pas devenu complètement fou, je vois Zavid tomber à terre dans le couloir, ainsi que Kiki et les autres.

    – Hoy ! Hoy ! Faites gaffe, le sol bouge !

    Et de ce fait, la longue plaque métallique qui compose le sol du couloir se met en pencher en direction de Zavid et de sa bestiole maléfique, comme si leurs poids conjugués faisaient pencher une balançoire géante.

    À l’autre bout du couloir, c’est l’inverse : Hoyddings et les siens montent lentement et tentent en vain de s’accrocher.

    Ils ne trouvent rien de mieux à faire que de s’accrocher les uns aux autres, et c’est ainsi que la grappe qu’ils forment tombe directement sur Zavid, qui a l’air de se demander si elle ne devrait pas leur balancer son détonateur thermal, et sur Kiki qui gronde, menaçant, les babine retroussées.

    – Poussez pas, derrière, hoy ! crie Hoyddings, propulsé en avant par ses hommes.

    Mais rien n’y fait. La gravité est une fois de plus encore et toujours la plus forte. Hoyddings et compagnie ne percutent pas Zavid et Kiki, tombés entretemps dans le trou béant apparu sous leurs pieds, mais ils les rejoignent vite.

 

    C’est à cet instant que je commence à me détendre. On dirait bien que finalement, Saint-Lazare a tous les atouts en main pour mater mes ennemis. Par contre, j’hésite encore pour ce qui est de me laisser transformer en homme-poulet…