LXXXVII

 

 

    – Tchip ! Tchip ! Tchip ! fait Saint-Lazare en battant frénétiquement des ailes. Et ce n’est que le début : regardez bien, Nomis !

    Une nouvelle caméra prend le relais : à l’écran, une pièce qui semble vide, avec un gros trou circulaire au plafond, dont parvient un murmure qui, en se rapprochant, se transforme en un chœur de cris de terreur.

    Kiki tombe lourdement au sol. Zavid lui tombe à son tour dessus. Puis les autres.

    Et là, tout s’enchaîne très vite ! La caméra recule et dévoile que les agents du BSI ne sont pas seuls dans la pièce : une énorme créature velue d’au moins cinq mètres de haut s’avance vers en haut en grognant de colère.

    À ma grande surprise, je reconnais le célèbre gorille géant Kong King, et Saint-Lazare répond immédiatement à mon interrogation muette :

    – Oui, j’avoue que j’ai toujours adoré les vieux films avec Kong King, alors j’ai décidé de l’intégrer parmi mes monstres personnels, tchip !

    Je suis époustouflé par une telle prouesse technologico-génétique, et je ne manque pas d’en complimenter Saint-Lazare.

    – Moi aussi j’adorais ça quand j’étais môme ! C’est incroyable de le retrouver là. J’ai l’impression de retomber en enfance, de revoir toutes les scènes de ses films où il écrase des gens, les broie, les écartèle, les mâche, arrache les habits de ses prisonnières… euh… Bref. C’est le vrai ?

    – Bien sûr que non, me répond Saint-Lazare d’un ton un brin condescendant. Le vrai n’existe pas. Mes multiples tentatives pour en créer un ont malheureusement toutes échoué.

    – Mais alors qu’est-ce que c’est ? Un droïde géant ?

    – Non. La réponse est beaucoup plus simple et maligne, tchip ! C’est un rancor !

    – Ah ouais ? Dingue… Je ne savais pas que les rancors ressemblaient à ça quand ils ne s’épilaient pas.

    – Pas du tout, ils sont imberbes. Tout ce que j’ai eu à faire, c’est commander un costume géant de Kong King et hop ! Une fois qu’il est enfilé par le rancor, la ressemblance est parfaite !

    – Je trouve ça génial ! Et d’une élégance rare !

    – Merci, merci, tchip, répond Saint-Lazare en savourant mes compliments.

    Sauf que de l’amas de corps et de membres enchevêtrés vers lequel Kong King s’avance – et il l’air d’avoir une sacrée faim vu comme il beugle –, Diva Zavid en émerge, l’air très calme voire serein, fait trois pas vers Kong King et lui balance à la tête le détonateur thermal qu’elle n’a jamais lâché.

    Quand la fumée se dissipe, on distingue parfaitement les jambes de Kong King, ainsi que le bas du ventre qui les relie. Au-dessus, il n’y a plus rien.

    Zavid, l’air étonné, presque candide, demande à ses camarades :

    – J’ai rêvé ou c’était Kong King ?

    – Hoy ! J’ai cru que j’allais mouiller mon pantalon. Faut dire que j’ai vu tous les films, alors le voir en vrai, comme ça…

    Peu rassuré face à la démonstration de leur force de frappe, je coule un regard anxieux en direction de Saint-Lazare. Il est aussi blême qu’un vampire de holofeuilleton, la bouche entrouverte.

    Il parvient finalement à articuler, des larmes dans les yeux :

    – Mon rancor… Il était si gentil. Je l’avais reçu tout bébé, quand il était haut comme trois pommes et qu’un seul eopie suffisait à le nourrir pour la journée. Tchip à son âme. Ou paix.

    Mes cheveux se dressent sur ma tête. Saint-Lazare va-t-il craquer ? Va-t-il renoncer ?  Kong King était-il son dernier atout ? Bref, est-ce que je suis foutu, la seule vraie question qui vaille ?

    Mais le chirurgien génial fronce soudain les sourcils, et je vous assure que c’est super effrayant sur sa tête montée sur un corps de poulet. Un rictus de haine déforme son visage et il marmonne entre ses dents qui grincent :

    – Ah, vous voulez la guerre, bande de salopards sans foi ni loi ? Vous croyez peut-être que vous allez vous en sortir ? Vous rêvez, c’est moi qui vous le dis !

    Il tape quelques lignes de code sur son ordinateur, avant de valider en appuyant sur le gros bouton rouge.

    Aussitôt, je subis une attaque sonique sortie de nulle part, qui me fait bondir de mon siège pour m’affaler par terre. Bien sûr, ça ne change rien. Alors je plaque mes mains sur mes oreilles, de toutes mes forces. Aucun changement. Je sens presque mes oreilles fondre et me demande si je ne devrais pas me crever les tympans, parce qu’à part ça, je ne vois pas comment je pourrais m’en sortir.

    Sauf qu’une main humaine au bout d’une aile de poulet géant me tapote l’épaule. Malgré les efforts que ça me demande, cloué au sol par l’infâme cacophonie qui me détruit de l’intérieur, je relève la tête.

    Saint-Lazare s’est mis des écouteurs sur les oreilles et m’en tend un. Même si je ne vois pas bien ce que ça pourrait changer, je m’en empare et les coiffe.

    Par miracle, je n’entends plus le son inhumain qui me détruisait les oreilles jusque-là.

    – Qu’est-ce qui s’est passé ? que je bredouille en me relevant tout tremblant.

    – Pardonnez-moi de ne pas vous avoir prévenu, mon cher Nomis, mais j’étais tellement énervé après ces barbares que j’ai lancé l’attaque suivante sur-le-champ. Il fallait qu’ils payent pour Kong King ! Et voyez comme c’est efficace ! me dit-il en tendant l’aile vers l’écran.

    Toute la clique du BSI est à terre, mains sur les oreilles, comme moi il y a quelques secondes, tandis que Kiki semble hurler son désespoir à la lune.

    – Cette attaque sonique est effroyablement efficace, que j’admets, presque compatissant pour les agents du BSI parce que je sais ce que c’est que d’endurer cette torture.

    – Oui, n’est-ce pas ? Tchip ! Le procédé est très simple : il s’agit de diffuser sur une certaine fréquence – une qui s’entend directement au niveau du cerveau – tout ce que la galaxie a produit de plus affreux en matière de musique – et vous pouvez me croire, mon cher, il y en a ! – et hop, le tour est joué ! Grâce à nos casques, la fréquence ne passe pas donc nous n’en subissons pas les effets. Tchip.

    – Waouw. Que peuvent-ils espérer, désormais ?

    – Rien ! J’ai déjà testé le processus sur des esclaves. Ils sont condamnés à devenir fous, à se lacérer la peau avec leurs ongles, à se tirer dans les oreilles à coups de blasters. Bref, tout est fini pour eux, tchip ! Tchip ! Tchip !

    Malgré moi, je frissonne d’horreur. Puis je demande :

    – Au fait, c’était quoi, ces sons hideux ?

    – C’est une compilation du pire de la création humaine, à vrai dire. Pour le moment, ils subissent du Barnerd Menit et son groupe, les Mésclus.

    – Ah oui, je dois bien admettre que c’est idéal pour la torture.

    – S’ils survivent jusque-là, ils subiront ensuite du Dubét de Siorée, du Lecinci IV et la musique des Tulutebis. Et il y en a plein d’autres, de quoi tenir des heures, tchip ! Mais mes expériences m’ont prouvé qu’un être, aussi surhumain puisse-t-il être, ne survit pas plus d’une demi-heure à un tel châtiment.

    Je le crois aisément.

    Sauf que…

    Voilà que l’improbable, genre impossible, se produit. Une nouvelle personne vient d’entrer dans la pièce. Blaster à la main, sans aucune protection auditive. Le fou, pourrait-on penser ! Peut-être, mais il ne semble pas affecté par l’attaque sonique. Pire, il sifflote innocemment, comme s’il appréciait ce qu’il entendait !

    Il lève son blaster et dégomme calmement, un à un, tous les haut-parleurs de la pièce. Les agents du BSI se relèvent laborieusement, encore groggys.

    – Ça alors ! fait Zavid. Comment avez-vous résisté ?

    – J’ai toujours adoré ce type de musique. Je me suis même fait des compilations, si vous voulez.

    – Non merci ! fait-elle avec une grimace de dégoût.

    – Hoy ! Ce sera sans moi aussi !

    Saint-Lazare est figé, estomaqué par la scène. Mais ce n’est rien à côté de moi.

 

    Je connais bien le visage bovin de l’humain qui vient d’arriver. Et pour une fois, je ne le croise pas dans un placard à balais. Le colonel Covelian m’a retrouvé, et je le sens très mal pour ma tête.