LXXXVIII

 

 

 

    – Qu’est-ce qu’il fiche là, celui-là ? que je demande à son image sur l’écran.

    Contre toute attente, il me répond, ou plutôt il répond à Zavid qui lui a posé à peu près la même questionmais en plus poliment.

    – Après que Nomis m’ait lâchement abandonné comme un chien sur une aire d’autoroute spatiale lors du départ en vacances de ses maîtres, j’ai été à nouveau capturé par les sbires de Gaga. Sauf qu’ils ne se sont pas assez méfiés : ils ne m’ont pas ligoté vu que j’étais inconscient. Mais quand je me suis réveillé et que j’ai constaté qu’ils n’étaient que quatre, j’ai attrapé la première arme venue et je me suis occupé d’eux en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.

    – Waouw, commente Zavid. C’était quoi, comme arme ?

    – Un cure-dent.

    – Bravo colonel ! Il est vrai que le chapitre 137 du manuel de survie des agents du BSI porte sur la manière de tuer ses adversaires avec un cure-dent.

    – Je sais, se rengorge Covelian : c’est moi qui l’ai écrit.

    Je déglutis. Décidément, ce type sera toujours un grand malade.

    – Bref, je me débarrasse des quatre gardes et je vole un vaisseau.

    – Vous avez crocheté la porte et mis le moteur en route en bidouillant les fils sous le tableau de bord, comme dans le chapitre 88 du manuel de survie des agents du BSI qui traite du vol des véhicules terrestres et spatiaux ? demande Zavid.

    – Nan. J’ai piqué le plus gros flingue des gardes que j’ai assommé et je l’ai collé entre les deux yeux du pilote d’un vaisseau qui venait d’entrer à ce moment dans le hangar. Il a louché d’une manière magnifique en essayant de regarder le canon du blaster-mitrailleur. De là, j’avais un pilote.

    – Hoy ! intervient Hoyddings.

    – Quoi, « hoy » ? demande Covelian.

    – Dans sa bouche, c’est un synonyme pour « waouw », précise Zavid.

    – Ah. J’en étais où ?

    – Vous avez pris le pilote en otage.

    – Oui. Donc on a décollé, et depuis on a pisté le vaisseau de Nomis, jusqu’à arriver ici.

    Pendant que ses pairs du BSI le félicitent, je suis désespéré, et ça ne s’arrange pas quand Covelian ajoute :

    – Bon, on se le défonce, ce maudit Nomis ?

    Un chœur de vivats enthousiastes lui répond.

    – Ils ont vraiment l’air de tenir à vous mettre la main dessus, tchip, me dit Saint-Lazare.

    – Hélas, que je soupire.

    – Décidément, les génies sont et seront toujours haïs par les êtres inférieurs.

    – Aucun doute là-dessus.

    – Sauf qu’ils ne sortiront pas vivants de ce donjon, mouhahahatchiphaha !

    – Hein, quoi ? Quel donjon ?

    – Pardonnez-moi, Nomis : j’ai été maître de jeu de rôles, j’ai encore des restes.

    Je n’ai rien compris. Mais je ne demande pas d’explication supplémentaire.

 

    Je commence à être las de tous ces ennuis, de tous ces gens qui m’en veulent alors que je ne leur ai rien fait. En tout cas, rien qui justifie un tel acharnement sur mon auguste et néanmoins modeste personne. Même Saint-Lazare commence à ne plus me sembler si fiable que cela.

    Après tout, aucun des pièges précédents mis en place par ses soins n’a fonctionné. Enfin si, mais seulement pour éliminer de la piétaille. Les quatre éléments les plus dangereux à mes trousses, Zavid, Hoyddings, Kiki et Covelian, sont hélas toujours en vie.

Saint-Lazare n’a visiblement pas dit son dernier mot. Il reprend, tout en pianotant sur son clavier de commande :

    – Ah, ils pensent encore avoir une chance de venir à bout des labyrinthes et des pièges mortels de cette forteresse unique en son genre ? Il faut croire que leur stupide confiance en eux n’a pas de bornes. Ils vont vite déchanter !

    Sur ce, il valide les nouvelles instructions informatiques qu’il a écrites, et je vois que sur son plan de la forteresse, les pièces commencent à se déplacer, horizontalement comme verticalement, et que les couloirs se reconfigurent eux aussi.

    Et là, pouf, une trappe s’ouvre sous les pieds des agents du BSI et ils tombent à nouveau. Voilà qui m’inquiète : la dernière fois que les déboires des agents du BSI ont commencé de cette manière, ils s’en sont sortis vivants. Qu’est-ce qui peut bien rendre Saint-Lazare confiant au point de croire que cette fois-ci, il va être plus fort qu’eux ?

    Comme dans la salle précédente, ils tombent les uns sur les autres comme des sacs à patates qui pousseraient des cris et des grognements de douleur. Je saute sur mes pieds en lançant un « Yes ! » retentissant, poing fermé devant moi en signe de victoire, quand je vois Kiki s’écraser la tête la première. Hélas, il ne met que quelques secondes à se remettre sur pattes.

    Les patates humaines du BSI se redressent à leur tour en massant leurs corps endoloris. Je scrute l’écran avec avidité afin de découvrir un éventuel monstre surpuissant, ou un robot géant, ou un cyborg à quatre bras qui se termineraient par des lames de mixer géant, mais je ne vois rien de rien. Alors je me tourne vers Saint-Lazare.

    – Le prochain monstre est en grève ? Il est parti faire popo ?

    – Hé hé hé… tchip ! Il faut savoir se renouveler, si bien que cette fois-ci non plus il n’y a pas de monstre. La salle dans laquelle ils sont tombés, je l’ai appelée…

    Il marque un temps d’arrêt, la tête levée vers le ciel, et tout comme lui, sans doute, j’entends un roulement de tambours virtuel dans ma tête, pour faire monter le suspense.

    Il finit sa phrase :

    – … la salle du schplorf !

    – Du quoi ?

    – Du schplorf.

    – Du quoi ?

    – Du schplorf !

    OK. Je crois qu’il est inutile d’insiste. Je choisis une autre approche :

    – Et ça veut dire ?

    – Regardez par vous-même, mon ami, tchip ! dit-il avant d’appuyer sur le gros bouton rouge de sa console de commande.

    J’entends un grincement métallique et je vois les agents du BSI s’agiter. Il me faut quelques secondes pour remarquer que deux pans de mur se faisant face commencent à se rapprocher lentement l’un de l’autre.

    Ah, ça y est, j’ai compris ! Quand les deux murs se toucheront, ce sont les corps des agents du BSI qui feront schplorf !

 

    Il est fort ce Saint-Lazare ! Et quelle âme de poète pour le choix du nom de la salle.