XCIII

 

 

    – Cette fois, le moment est venu, tchip, murmure Saint-Lazare, sur un ton tellement solennel que je sens que ça y est, son génie sait déjà comment riposter, et que ça va être quelque chose comme son attaque ultime, du genre à mettre tout le monde d’accord, du genre à mettre l’univers à genoux.

    Les yeux brillants d’excitation, j’attends la suite. Qui ne vient pas. Saint-Lazare reste là, immobile, alors je l’encourage :

    – Le moment pour… ?

    Il me regarde enfin et me dit :

    – Pour fuir.

    – Fuir ? Mais enfin, je croyais que vous étiez un génie, plus fort que tout le monde, tout ça ?

    – Oui mais là c’est quand même Vador, qu’il rétorque. Vous en connaissez beaucoup, vous, des types qui lui ont tenu tête et qui sont encore là pour en parler ? 

    – Non, vous avez raison : lui tenir tête, c’est la perdre. Par où on fuit ?

    – On va prendre un de mes vaisseaux sur les pistes devant la forteresse, tchip.

    Là, on entend une série d’explosions et le sol tremble un peu. Saint-Lazare appuie sur des boutons et une vue des pistes en question apparaît sur un écran. Ou plutôt ce qu’il en reste : tous les vaisseaux sont éventrés, brûlent ou ne sont plus qu’amas et débris qui feraient la joie de Jawas.

    La voix dans l’intercom reprend :

    – M’sieur Saint-Lazare, une communication pour vous de la part de l’Executor.

    – Je prends, qu’il répond, vert de gris de rage. ALLEZ TOUS VOUS FAIRE ENTCHIPER ! Même toi, Vador, infâme suppôt du mal ! Sale aspirateur détraqué ! Espèce de…

    – Vous avez terminé ? rétorque une voix glaciale.

    Glaciale de chez glaciale, genre à faire geler la banquise, alors qu’elle l’est déjà, c’est vous dire comme elle est glaciale. Une voix qui n’a rien à voir avec celle, profonde, de Dark Vador. Mais qui a plutôt tout à voir avec celle de l’homme le plus puissant de cette galaxie, que dis-je de cet univers, à savoir son Impériale Présence elle-même. Palpatine.

    L’excitation de Saint-Lazare tombe d’un coup. Un peu hagard, il croise mon regard compatissant. Bah oui. Je ne vois pas ce qui peut le sauver après avoir proféré de telles paroles.

    Je me penche vers le micro :

    – Euh… en ce qui me concerne, je tiens à insister vigoureusement sur le fait que je me désolidarise complètement des affirmations de mon illustre… euh… collègue.

    – Seriez-vous Nomis ? demande l’Empereur.

    – Oui, votre altesse, que je réponds en bombant le torse.

    Bah oui, je suis quand même vachement fier de voir que l’Empereur lui-même n’a pas oublié qui je suis, moi qui l’ai interviewé pour ses vingt ans de règne. Y’a pas à dire, j’ai encore la preuve irréfutable que mon talent laisse des souvenirs impérissables aux gens qui ont été confrontés, fussent-ils empereurs !

    – C’est pour vous que je suis venu, maudit traître. Vous êtes une menace pour l’économie de l’Empire, il est temps de vous mettre hors d’état de nuire. D’une manière définitive. Mais très lentement.

    C’est bizarre. J’ai avalé des millions de trucs depuis ma naissance, peut-être des milliards de bouchées de nourriture mais là, étrangement et alors que je sais le faire, je n’arrive pas à déglutir.

    Je coupe la communication et dis à Sant-Lazare :

    – Je bluffais, bien sûr, je suis de tout cœur avec vous. On fuit par où ?

    – Par la porte, pardi, tchip !

    On se jette dessus, mais au moment où l’homme-poulet tend la main pour l’ouvrir, quelqu’un donne de grands coups dessus de l’autre côté.

    – Hoy ! Hoy ! On dirait que c’est verrouillé !

    Aïe. Hoyddings. Ce qui veut sûrement dire que…

    – Je suis sûre que cet enflé de Nomis est derrière.

    Zavid.

    – Retenez-nous, moi et mes hormones, histoire que je ne le tue pas avant qu’il ait signé le papelard pour la pension alimentaire.

    Sylmort.

    – Enfin nous allons mettre la main sur ce vil maraud !

    Covelian. Le jour où il parlera comme tout le monde, celui-là…

    – Moi je pense plutôt qu’il faut l’aider à se réinsérer dans la société, faire en sorte qu’il ait un travail, de préférence bien payé…

    Je crois reconnaître la voix du Mandalorien de la banque. Finalement, il a l’air sympa.

    – … comme ça, la saisie mensuelle de 100% de son salaire rapportera plus à la banque.

    J’ai rien dit.

    – Il existe une autre sortie ? que je demande à Saint-Lazare.

    – Bien sûr, tchip !

    Pendant qu’on s’y rend tous les deux et que des coups puis des tirs de blaster s’abattent sur la porte derrière nous, une grande question me vient en tête :

    – Au fait, maintenant que tous les vaisseaux ont été détruits dehors, on va faire comment pour fuir la planète ?

    – J’en ai un prêt à décoller dans un étage secret dont la sortie est invisible, cachée derrière une projection holographique, tchip !

    Ouf, me voilà quelque peu rassuré. Saint-Lazare a décidément pensé à tout, même à la défaite. Ce qui quelque part est inquiétant : s’il est si génial que ça, comment peut-il se retrouver en position de défaite ?

    On arrive à la deuxième porte, Saint-Lazare zieute les caméras de surveillance au cas où mais ouf, la voie est libre !

    Il ouvre, on se met à courir. Je me sens léger, je sais que rien ne pourra m’arrêter, car je cours pour sauver ma vie ! Ce sentiment de défier l’univers, d’être une sorte de Survivant Ultime, me donne des ailes. Encore et toujours, je m’en sortirai !

    Je regrette juste de ne pas avoir de chronométreur officiel car je suis sûr que je suis en train de battre tous les records.

    Le temps que toutes ces pensées positives traversent mon brillant cerveau, genre en à peine deux secondes, la réalité me rattrape, implacable.

 

    Un point de côté. Un de plus.