Chapitre 16 : L’évasion

Les pensées de T’Savhek tournaient autour des événements survenus sur l’USS Eagle, lorsque Harlington et elle s’étaient retrouvés à essayer de sauver l’équipage de l’invasion cornayenne. En ces circonstances, Harlington avait également été gravement blessé par éventration, ce qui troublait beaucoup la Vulcaine.
Elle se reprit. En tant que commandant en second, elle se devait de prendre la situation en main. Son devoir était clair : sauver son supérieur. Pourtant, alors qu’il geignait de douleur, des larmes dans les yeux, elle se pencha vers lui et l’interpella :
– Commandant, vous m’entendez ?
– Que fais-tu, T’Savhek ? intervint Sulok. Il doit utiliser toutes ses forces pour se reposer, ne viens pas le distraire ou le stresser.
– Je fais mon devoir, docteur, rétorqua-t-elle sèchement. Et j’ai besoin d’informations pour sauver l’équipage et les membres de l’avant-poste.
– Médicalement parlant, je refuse de…
– Je dois parler au commandant, la survie de tous ici en dépend. Même si ça contribue à le tuer, lui.
Si Sulok n’aimait pas ce qu’il entendait, il préféra se taire. Son devoir à lui était de veiller sur la santé des hommes de bord, tâche dont il s’acquittait avec zèle depuis la remise en cause de ses capacités par Harlington. Mais T’Savhek n’avait sans doute pas tort en étant prête à sacrifier son commandant contre des renseignements qui pourraient sauver le plus grand nombre. Il comprenait cette froide logique mais fut dérangé par la certitude que si lui-même avait été à la place du commandant, elle n’aurait pas agi différemment. Sa sœur pouvait parfois se montrer intraitable, à un point qu’il doutait pouvoir atteindre un jour.
– Commandant, il faut que je vous parle, c’est important ! insista T’Savhek.
Pour avoir déjà vécu ce type de scène avec lui, elle le savait capable de réagir dans l’intérêt de tous.
– Quoi ? parvint-il à articuler, les dents serrées.
– Que s’est-il passé avec Sender et Jingkler ?
– Sender… tué… par Jingkler. Il sait… pour auto… destruction mais ne l’a… pas prise au… sérieux. Il ne… la fera pas désactiver. À… vous de jouer, T’Savhek.
– À vos ordres, commandant, répondit-elle, laconique.
– Allez-y. Je reste… ici pour… veiller sur vos arrières, conclut-il avec une grimace qu’il essaya de faire passer pour un sourire.
La détermination sans faille affichée par Harlington malgré son état mit du baume au cœur à beaucoup de ses hommes, et son attitude lui valut même le respect silencieux des Vulcains de l’avant-poste.

– Au travail, chaque minute compte, annonça T’Savhek. D’après mon estimation, le Baltimore explosera dans trente-quatre minutes. Nous devons impérativement sortir d’ici.
– Mes hommes et moi sommes enfermés ici depuis suffisamment longtemps pour que nous ayons eu le temps d’y réfléchir, avança Silkar. Cette cellule est archaïque, seuls des barreaux nous séparent de la liberté. Il devrait être possible de les tordre à l’aide de notre force de Vulcains.
T’Savhek avait de sérieux doutes là-dessus. Si la geôle avait été construite pour retenir des humains, ils auraient en effet eu une chance : la force physique d’un Vulcain était bien plus grande que celle d’un humain. En unissant leurs efforts, il aurait sans doute été possible de tordre les barreaux. Mais ce raisonnement valait-il pour une cellule soffrée ? Ce peuple avait l’apparence d’êtres de pierre, et les membres de Starfleet ignoraient quelle était au juste leur force physique. Une seule manière de le savoir…
– Pourquoi n’avoir pas tenté auparavant de vous échapper ?
– Pour aller où ? contra Silkar. Nous n’avons pas été contactés par la résistance locale et ne voyions pas l’intérêt de nous enfuir alors que nous pouvions être repris à chaque instant à cause de la technologie de téléportation des Soffrés.
– Je comprends. Écoutez-moi tous. Les gardes qui nous ont enfermés ici ont l’air de n’être armés que de lances, aussi étrange que cela puisse paraître. C’est sans doute lié à la crainte des dirigeants de voir la résistance mettre la main sur des armes puissantes. Ce peut être un avantage pour nous : nous sommes suffisamment nombreux pour pouvoir venir à bout de quelques gardes aussi peu armés. Notre objectif sera de semer le plus de confusion possible et d’investir un poste de contrôle soffré. À partir de là, nous pourrons peut-être retourner la situation en notre faveur.
– Les impondérables liés à cet ersatz de plan me semblent trop importants pour qu’il soit efficace, fit Silkar, émettant à haute voix l’opinion générale.
– Vous avez une meilleure idée, Silkar ?
– Non, mais…
– Dans ce cas, nous procéderons ainsi. Dois-je vous rappeler que je suis l’officier la plus gradée ici ?
Si techniquement parlant, T’Savhek avait raison, Silkar et ses scientifiques étant des scientifiques civils de Starfleet, il fut contrarié d’être ainsi remis à sa place. Le plan de sa fiancée était rudimentaire, avec trop peu de chances de marcher. T’Savhek était-elle en train de succomber à l’impétuosité des humains à force de les fréquenter ? Il préféra néanmoins se taire. Elle avait raison sur un point : Harlington en danger de mort, c’était elle qui dirigeait leur groupe. En tant que militaire de Starfleet, elle était plus à même que lui d’évaluer la situation et d’y apporter des réponses. Du moins l’espérait-il…
– Sulok, tu restes ici pour veiller sur le commandant. Vulcains, en position.
Deux scientifiques vulcains s’emparèrent d’un barreau ; T’Savhek et Silkar firent de même avec celui d’à côté. Ils s’arc-boutèrent sur les épais barreaux métalliques et firent jouer leurs muscles.
Le silence tendu qui s’installa laissa bientôt place aux grognements frustrés des Vulcains, impuissants à tordre les barreaux. Pourtant, avec l’opiniâtreté de leur peuple, ils insistèrent longuement.
L’équanimité de T’Savhek commença à se fissurer intérieurement. Il faudrait des heures au minimum pour venir à bout des barreaux, si tant est qu’ils veuillent bien céder. Et d’ici là, son commandant serait mort. Eux aussi, peut-être. Le compte à rebours qui s’égrenait dans sa tête lui annonça bientôt qu’il ne restait plus que dix-huit minutes avant la destruction du Baltimore.

Sans avertissement, un Soffré se matérialisa dans la caverne. Les Vulcains cessèrent leurs efforts et T’Savhek reconnut Jussé, l’un des chefs de la résistance locale, à qui Harlington et elle avaient déjà eu à faire.
Il ne perdit pas de temps en paroles inutiles.
– T’Savhek, je suis venu dès que j’ai pu. Comment puis-je vous aider ?
Elle repoussa le soulagement qui l’avait envahi à la vue du Soffré pour ordonner ses pensées et trier ses priorités.
– Vous avoir à nos côtés ouvre des perspectives nouvelles, Jussé. Notre priorité est de rejoindre le Baltimore.
– Tout en sachant que vous pouvez être téléportée de la surface à n’importe quel moment ? s’étonna Jussé en coulant un regard nerveux derrière lui, au cas où des gardes surgiraient.
– Donnez-moi votre unité de téléportation : hors de question que vous subissiez le même mort qu’Empgé. Je vais téléporter Harlington et Sulok sur-le-champ : seules nos installations médicales peuvent sauver le commandant. Ensuite, je reviens chercher Silkar. Il faut que je désactive l’autodestruction du vaisseau et mette en place des contre-mesures contre toute téléportation en provenance de la surface.
– C’est possible, ça ? demanda Silkar.
– Avec votre aide, oui. J’ai déjà réfléchi au problème et je pense pouvoir protéger le Baltimore contre toute intrusion non désirée.
– Que faisons-nous pendant ce temps ? demanda Lupescu.
– Vous restez ici. Si aucun garde ne survient, notre absence passera inaperçue jusqu’à ce que le système de défense du vaisseau soit en place. Si c’est le cas, je reviens vous chercher. Sinon, nous entamerons des négociations de là-haut.
– Mais si les Soffrés menacent à nouveau de nous tuer ? s’inquiéta le chef de la sécurité.
– Je procéderai à une démonstration de force, en espérant qu’ils cèdent.
– Et si ce n’est pas le cas ?
– Nous verrons le moment venu, éluda T’Savhek.
Lupescu se contenta d’opiner du chef, aussi mal à l’aise que la Vulcaine quant aux aléas de leur futur immédiat. Jussé donna son unité de transport à T’Savhek et s’assit au milieu des membres de Starfleet. Il serait ainsi caché d’une simple inspection visuelle de leurs geôliers.
L’absence de quatre des vingt prisonniers pouvait-elle passer inaperçue ? T’Savhek n’y croyait guère mais n’insista pas sur ce point. Il lui paraissait impensable que les Soffrés ne viennent pas constater d’ici peu de temps la fin de Harlington. Ils savaient qu’il était mourant.
Les failles du plan étaient légion, et tous en avaient conscience. Nul ne préféra les souligner.