Chapitre VI : Corrigan Huff

Aucun garde n’osa porter la main sur Kerdan. Son attitude trahissait plus l’invité important escorté en signe de déférence, plutôt que l’homme se rendant à l’échafaud.
Il fut conduit à une pièce cossue, dans laquelle l’attendaient Corrigan Huff et plusieurs autres, en qui Kerdan reconnut les plus proches collaborateurs du chef mafieux.
Ils étaient assis à une table ronde, en arc de cercle. Sans y avoir invité, Kerdan s’installa en face d’eux.
– Je te dois des remerciements, Majoline, attaqua Corrigan Huff. J’ai su ce que tu as fait ce matin : grâce à toi, ces gagne-petit de Saigneurs Noirs sont sur le départ. Autant de rues et d’activités supplémentaires pour moi.
– Je ne crois pas, non.
– C’est pourtant inéluctable, tu devais bien t’en douter, non ?
– Je connais effectivement la manière de penser des gens comme toi. Mais tu te trompes sur un point : ton organisation ne s’installera pas sur le territoire des Saigneurs Noirs.
– Je ne vois pas ce qui pourrait l’empêcher.
– Tu es trop sûr de toi, Huff. Je sais que tu comptes bien des relations, y compris à tous les échelons de l’administration locale. Mais le temps de la corruption est révolu. D’ailleurs, c’est tout simplement ton temps qui est révolu. Tu n’existes d’ores et déjà, même si tu l’ignores encore.
– Des mots, Majoline ! Des mots !
– Vraiment ? N’en sois pas si sûr. Tu tentes de t’opposer au Soleil Noir. Même si tu as été le plus discret possible, j’ai toutes les preuves de tes attaques en sous-main contre cette organisation.
– Depuis quand est-ce que tu protèges les plus grands criminels de cette planète, que dis-je, de la galaxie ?
– Depuis que cela sert mes intérêts.
– J’ignorais que tu avais tes intérêts propres, en dehors de ceux de tes employeurs.
– Rien n’est jamais noir ou blanc, Corrigan Huff. Toi qui vis en t’affranchissant des lois qui ne te conviennent pas, tu devrais le savoir mieux que quiconque.
– Il est vrai. Ce n’est pas que tu m’ennuies, Majoline, mais j’ai beaucoup de travail. Et, un détail : mon service de sécurité a détecté que tu entretiens une communication avec l’extérieur. Sache que cette connexion a été brouillée à l’instant même où tu as franchi le seuil de mon établissement. Aucune parole prononcée ne sortira d’ici. Bref, une seule question : que fais-tu là ?
– Tu permets ? demanda Kerdan en empoignant sa mallette.
Huff et ses acolytes tiquèrent, méfiants, mais Huff acquiesça d’un signe de tête. Une batterie de senseurs avait scruté Kerdan sous toutes ses coutures à partir du moment où il était entré. Normalement, il n’y avait rien à redouter de lui et sa mallette était inoffensive. Normalement…
Kerdan posa sa mallette sur la table et en sortit une datacarte qu’il glissa vers Huff. Tandis que le gangster allumait l’objet, Kerdan prit la parole :
– Ces derniers jours, je me suis livré à une synthèse des activités de ton organisation. Champs d’action, possessions, comptes en banque, etc. La totale. Du moins avec le laps de temps que j’avais à disposition. J’ai obtenu en outre quelques informations très intéressantes sur tes activités en cours.
– Et ? demanda Huff, maussade.
– Sans rentrer dans les détails, toi et moi savons pertinemment que tu es en cheville avec le Soleil Noir. Je sais par ailleurs que tu dois conclure une importante transaction avec eux d’ici minuit.
– Et ?
– Cette transaction n’aura pas lieu.
– C’est-à-dire ?
– C’est-à-dire que tu n’as pas les moyens de la conclure. Ni celle-là, ni aucune autre.
– Je ne comprends pas.
– Écoute-moi attentivement : si tu ne cesses pas sur-le-champ le brouillage de ma communication extérieure, tu en paieras le prix, et il sera très élevé. Corrigan Huff hésita longtemps, le visage aussi impassible qu’un joueur de sabbac, avant de prendre son propre communicateur.
– Ici Huff. Cessez le brouillage sur Majoline.
Reçu.
– Merci, Corrigan, enchaîna Kerdan. Mikx, tu me reçois à nouveau ?
Fort et clair, Kerdan.
– Bien, reste en attente et écoute ce qui se dit.
À tes ordres.
– Corrigan Huff, mon enquête et le recueil des données auquel je me suis livrés m’ont permis de découvrir soixante-huit comptes bancaires que tu contrôles, directement ou indirectement. Tu en as la liste sur la datacarte. Ouvre les dix premiers de la liste.
Huff obtempéra, saisi d’un mauvais pressentiment. Les sommes apparurent dans un champ tridimensionnel entre Corrigan et Kerdan.
– Miks ?
Oui, Kerdan ?
– Occupe-toi des dix premiers comptes de la liste.
Reçu.
Sous les yeux de Huff, de ses acolytes et de Kerdan, les sommes flottant dans l’air sa changèrent toutes en zéro.
– Mikx, les dix suivants.
C’est en cours… C’est fait.
– Bien. Dix de plus…
Corrigan Huff, le front commençant à luire de sueur, s’escrima frénétiquement sur le clavier de son ordinateur. Il blêmit en constatant que ces comptes-là aussi ne disposaient plus d’aucun avoir.
– Mikx, vide tous les comptes dont nous avons retrouvés la trace.
Oui, Kerdan.
Ainsi fut fait, sous le regard aussi impuissant qu’inquiet de Huff et de sa garde rapprochée. Huff accusa le coup en silence un certain temps, avant de demander :
– Et maintenant ?
– J’ai une équipe qui étudie attentivement toutes tes transactions financières. Nous n’avons pas fini de découvrir tes comptes et nous ferons un plaisir de les vider tous les uns après les autres. Quoi qu’il en soit, je sais de source sûre que tu dois trois cents millions de dataris au Soleil Noir et que la transaction doit se faire avant minuit. Je ne pense pas que tu sois en mesure d’honorer cette dette dans le délai qui t’es imparti. Et tu sais comme moi ce qu’implique d’avoir une dette envers le Soleil Noir… qu’on ne peut pas régler.
Corrigan Huff comprit qu’il avait perdu cette bataille, et qu’il risquait de perdre la guerre, à savoir son organisation et probablement sa propre vie, s’il s’obstinait. Huff avait l’habitude de vivre sur la corde raide, et à ce titre, il savait que s’opposer à quelqu’un d’aussi compétent et décidé que Kerdan Majoline ne pouvait que lui apporter la ruine. Il savait quand arrêter les frais.
– Qu’est-ce que tu veux de moi, Majoline ?
– Ton organisation et toi cessez toute activité sur Coruscant passé minuit. Dès demain, toi et les tiens quittez la capitale de la République. Accepte et je fais virer sur l’un de tes comptes la somme nécessaire à sauver ta peau face au Soleil Noir. Refuse et vous serez tous éliminés : je peux recommencer ce tour de passe-passe sur tes finances quand je le veux.
Au terme d’un nouveau long silence, Corrigan Huff exhala un long soupir. L’adversaire était trop fort pour lui. Si la pilule avait du mal à passer et qu’il lui faudrait des mois, peut-être même des années pour se remettre de cette cuisante défaite, il savait pourtant qu’il s’en sortait à bon compte. Aucun autre de ses ennemis n’aurait été aussi magnanime.
– J’accepte, marmonna-t-il.
Kerdan opina du chef, referma sa mallette, se mit debout, rajusta sa cravate et tourna les talons.

– Maître Yoda, nous avons retrouvé la trace de Kerdan Majoline. Il se trouve toujours sur Coruscant. Que devons-nous faire ?
– L’amener devant le Conseil Jedi vous allez. Trop dangereux il est pour être laissé libre de ses mouvements. Je compte sur vous, chevalier Tchoo-Nachril.
– À vos ordres, maître. Je le ramènerai.