Chapitre VII : Le calme avant la tempête

Était-ce une illusion née de ses propres espoirs ou la réalité ? Kerdan Majoline avait un doute car il manquait d’impartialité sur le sujet. Il avait néanmoins le sentiment de croiser plus de gens dans les rues. L’atmosphère maussade qui imprégnait les lieux lors de son arrivée était en train de se dissiper au profit de sourires et d’une bonne humeur contenue. Comme si l’espoir revenait mais que les habitants du quartier y goûtaient prudemment, de peur de le voir disparaître aussi sec.
Avec la disparition des Saigneurs Noirs et des Lunes Pourpres, les rues étaient devenues plus sûres. La nature avait horreur du vide : à la disparition des Saigneurs, les Lunes Pourpres avaient cru pouvoir étendre leur territoire. Si Kerdan l’avait empêché, une chose était certaine : le Soleil Noir suivrait à son tour cette même voie, et ne serait pas long à revendiquer le quartier.
Vaincre le Soleil Noir… De la folie pure et simple. Kerdan ne pourrait l’emporter sur l’organisation criminelle la plus puissante de la galaxie. Du moins pas sans s’investir pendant des décennies, voire plusieurs générations. Une telle action aurait été vaine, surtout de cette manière : s’attaquer au mal sans s’occuper de ses racines était perdu d’avance. Les progrès ne seraient forcément que de court terme. Seul le changement des mentalités via l’éducation pouvait s’avérer efficace. Hélas, les activités de Kerdan Majoline ne lui permettaient pas un tel investissement. Il avait d’autres priorités.
Il reconnaissait même que le Soleil Noir apportait une certaine stabilité : si celui-ci venait à disparaître, de multiples gangs plus petits feraient inévitablement leur apparition pour le remplacer, avec toutes les luttes de pouvoir qu’une telle situation engendrerait… et des dommages collatéraux au sein d’une population innocente.
Dans l’état actuel des choses, Kerdan se contenterait de ce qu’il avait décidé : donner une nouvelle chance au quartier, aider ses habitants à se débarrasser du joug des gangs. Son temps était compté. Jusque-là, il avait improvisé ses plans à la va-vite. Heureusement qu’il pouvait s’appuyer sur plusieurs réseaux de renseignement tous plus efficaces les uns que les autres, et sur ses capacités de synthèse.
Le temps allait lui manquer. Kerdan faisait surveiller en permanence tous ceux qui risquaient de lui mettre des bâtons dans les roues. Et voilà que l’Ordre Jedi était à ses trousses. Parmi tous ceux qui pouvaient lui barrer la route, l’Ordre était sans doute l’un des pires car très puissant.
Kerdan préférait faire preuve d’optimisme. Depuis sa conversation avec Corrigan Huff, deux jours auparavant, il avait continué à avancer ses pions. Il était presque prêt à s’occuper du Soleil Noir. Avec un peu de chance, quand les Jedi lui mettraient la main dessus, il aurait atteint son but en ces lieux.

Le jeune Jedi Whipid Tchoo-Nachril aurait pu être fier de lui. Ancien Padawan du célèbre maître Yoda lui-même, il venait de passer brillamment ses épreuves, ce qui lui avait permis d’être adoubé Chevalier. Mais il était un Jedi : la fierté comme l’orgueil lui étaient quasiment étrangers. Seul prédominait le poids des responsabilités qu’il devait désormais assumer.
Recevoir comme première mission en solo la capture de Kerdan Majoline l’avait étonné. Cet humain d’apparence malingre était une légende dans certains milieux et ne devait jamais être sous-estimé. On disait de lui que chacun des pièges qu’il ourdissait en cachait trois autres, qui eux-mêmes dissimulaient ses véritables intentions. Un homme aussi redoutable que dangereux.
Lancer Tchoo-Nachril sur sa piste était un grand honneur pour le Whipid, la reconnaissance de ses compétences. Si à première vue le gibier semblait trop gros, trop retors pour lui, Tchoo-Nahcril comptait bien être digne de la confiance placée en lui.
Personne ne savait quelle mouche avait piqué Kerdan Majoline quand il avait fait son apparition dans un quartier malfamé de Coruscant, mais le Conseil Jedi avait été très clair : l’humain devait être appréhendé dans les plus brefs délais. À cause de ses agissements, la guerre menaçait trois secteurs de la galaxie.

Remonter la piste de Majoline s’était annoncé plutôt compliqué : la localisation de ses connections à l’holonet ainsi que l’exploitation des caméras de sécurité avait donné à Tchoo-Nachril toutes les informations dont il avait besoin… une fois qu’il les avait étudiées attentivement.
Les connections à l’holonet ne s’étaient jamais faites directement mais par le biais de multiples satellites-relais, parfois de secteurs de la galaxie éloignés. Tchoo-Nachril avait dû faire le tri entre des centaines de fausses pistes avant de discerner la logique sous-jacente des déplacements électroniques de Majoline.
Le même problème s’était posé pour les caméras de sécurité : Majoline avait dû engager des sosies, peut-être même des métamorphes. Si on se fiait aux logiciels de reconnaissance faciale, il apparaissait simultanément à des centaines d’endroits différents sur Coruscant.
En couplant ces données, au terme de longues heures de travail et avec l’aide de dizaines d’analystes du Temple Jedi, Tchoo-Nachril savait désormais où trouver sa proie.

Kerdan bailla ostensiblement. Travaillant depuis presque trente-six heures d’affilée penché sur son ordinateur, la fatigue commençait à le rattraper. Il pouvait être satisfait de lui : le plan ourdi pour l’éradication du Soleil Noir dans le quartier était en place. Ne restait plus qu’à le mettre en branle.
Ses yeux balayèrent la pièce où il se trouvait. Comme il était étrange d’être dans un tel lieu : le salon d’un petit appartement rempli d’effets personnels et décoré avec goût, reflet de la personnalité de son occupante, sa cousine Nevella Majoline. Une pointe de regret le saisit. Lui n’avait jamais eu l’occasion de vivre dans un tel lieu, de se créer un foyer. Comme il aurait été doux de vivre aussi simplement et de n’avoir que de simples problèmes domestiques à gérer.
La voie qu’il suivait ne lui permettrait jamais de vivre ainsi.

Grâce à son ouïe fine, il entendit du bruit dans son dos. Quelqu’un marchait dans le couloir et s’arrêta devant la porte de l’appartement. Sûrement sa cousine qui revenait de son travail.

Tchoo-Nachril, face à la porte de l’appartement dans lequel il savait trouver Kerdan Majoline, inspira profondément. Il s’assura que son sabrelaser était prêt à être dégainé, même si Majoline n’était pas connu pour user de violence physique. Il appela la Force à lui, prêt à tout.

D’une pichenette télékinétique, il ouvrit la porte et s’engouffra à l’intérieur en annonçant :
– Kerdan Majoline, au nom du Conseil Jedi, tu es en état d’arrestation !