Le temps du changement

Ce matin-là, un matin comme un autre. L’alarme doit sonner longtemps avant que Minos ne daigne ouvrir les yeux sur la cage à poule mal rangée qui lui sert d’appartement.
Une fois qu’il a réussi à se dépêtrer des bras d’une Morphée insistante au possible – ce en quoi il se souvient que le célibat, c’est le bien : si la Morphée sortie de son esprit tordu avec laquelle il cohabite lui tient autant la grappe, il n’ose pas imaginer ce que donnerait une véritable femme à ses côtés –, la journée commence. Elle semble normale, de prime abord. Café-clope, le petit déjeuner des champions d’on ne sait pas quoi, mais Minos est persuadé que quelque part, il serait le champion du monde de quelque chose, car il a une haute opinion de lui-même. Reste à trouver où, et de quoi, mais il cherche toujours. Un jour, ô oui, un jour !
La matinée de taf s’égrène tranquillement, semblable aux milliers d’autres qui ont précédées au magasin. Occasion d’échanges d’une profondeur toujours renouvelée avec cette espèce à part qu’on nomme le client :
– Y’a pas de prix, c’est gratuit ?
– Jusqu’à la caisse, madame !

– Y’a pas de prix, c’est gratuit ?
– Jusqu’à la caisse, madame !

– Y’a pas de prix, c’est gratuit ?
– Jusqu’à la caisse, madame !

Heureusement, Minos est un bon garçon, sinon y’a des fois, il serait tenté de répondre avec sincérité à des questions telles que :
– Heu… tapis de table ?
– Putain mais t’as été à l’école, blaireau ? C’est compliqué de faire une phrase avec un sujet, verbe et complément ? Sans déconner, arrête TF1, ça te bouffe le peu de neurones que tu possèdes déjà à la base !

– Je cherche un truc, mais je ne sais pas comment ça s’appelle…
– Un cerveau ?

– Vous auriez des bleus de travail ?
– Non.
– Vous sauriez où je pourrais en trouver ?
– Tu crois quoi, ducon ? Que dès que je sors du magasin, je file voir ce que les autre font ? Que je fais des listes pour pouvoir répondre aux types comme toi ? Tu fais comme tout le monde, tu fais « vroum-vroum » avec ta voiture ou tu fais « bip-bip » avec ton téléphone et là, t’auras les réponses, espèce d’assisté !

– J’ai une tapisserie beige sur les murs, des meubles en acajou, et un parquet vert. Quelle couleur de tapis irait le mieux avec mon intérieur ?
– J’ai une gueule de décorateur d’intérieur ?

Bref, une matinée comme une autre, suivie d’un midi comme un autre. Minos rentre chez lui, se fait à manger, et retourne au taf. Et c’est là que tout bascule ! Enfin peut-être, car c’est pas sûr. Mais tout est possible, ça c’est sûr.
Tel Sébastien Loeb (au moins), Minos mène donc sa voiture, que dis-je son fier destrier, vers sa destinée (jolie rime)… Heu… Oui, il conduit pour aller au taf, c’est une autre manière de décrire le truc, même si nettement moins fun.
Et donc, comme je disais, c’est là que tout bascule ! Enfin peut-être, car c’est pas sûr. Car sur la route, une minuscule araignée rachitique se met à descendre du pare-soleil de la voiture, juste sous les yeux de Minos.
Elle aurait été plus grosse, Minos aurait fait un tête-à-queue, sorti son Magnum 357, déposé des cordons de C-4 reliés à un détonateur, bref toutes les manières rationnelles de se débarrasser d’une araignée. Car Minos a un défaut. Oui, avouons-le, tous les héros ont un défaut : en l’occurrence, Minos est arachnophobe.
Heureusement, l’infâme créature sortie tout droit de l’enfer est trop petite pour inquiéter notre vaillant héros, qui l’écrase alors entre deux doigts. Il pense alors, mais peut-être à tort, que ce geste est anodin. Homme-enfant ! Pauvre naïf ! Peut-être vient-il par ce geste de déclencher la colère des dieux ! Au moins !

Quoi qu’il en soit, l’après-midi de boulot se passe, notamment émaillée par LA question, celle que jamais il n’aurait imaginé entendre un jour :
– Excusez-moi, où sont les caisses ?
Et après, on va essayer de nous faire croire que Fringe est une série de SF originale. Pas du tout ! La science-fiction, c’est tous les jours au boulot !

Mais notre pauvre Minos n’est pas au bout de ses peines, loin de là. Car aujourd’hui au magasin, c’est LE jour. Le jour maudit, haï. La journée fatigante par excellence, de 9h30 à 12h puis de 14h à 23h. Oui, car c’est la journée de l’inventaire annuel. L’inventaire annuel… étrange que cette expression ne soit pas un gros mot.
11h30 de boulot dans la journée, quel scandale au pays des 35 heures ! Hein ? Quoi ? Y’a un siècle, les gens bossaient 14 heures par jour du lundi au samedi, même les enfants, et les congés payés n’existaient pas ? Ouaip, mais c’est pas pareil… Pardon ? En quoi ? Je sais pas mais c’est pas pareil, fais pas chier avec tes questions à la con !

Bref. Qui dit inventaire dit fermeture du magasin à 18 heures. Et inventaire avec des classes de lycéens de 18 heures à 23 heures. Et voilà le pauvre Minos condamné à faire sempiternellement le tour du magasin, à l’affût d’une faille dans l’assiduité des étudiants à compter les superbes et raffinés produits exposés à la vente dans le magasin.
C’est des jeunes, il faut les surveiller, ils sont forcément subversifs. On ne peut pas leur faire confiance : ils ont grandi avec les Pokemons voire avec Bob l’éponge et sont tous sur Facebook, c’est dire ! Aucun d’entre eux ne saura jamais à quel point le Golgoth13 était mortellement dangereux !
Aucune culture, ces jeunes. Enfin bref.

C’est véritablement au moment de manger que se produit l’événement qui fait basculer la situation ! Car comme chacun sait, Minos est un gros morfale qui s’empiffre d’au moins deux casse-dalles par repas. Et s’il ne pouvait manger que ça, il serait le plus heureux des hommes.
Le cruel destin ayant décidé de s’en mêler, Minos ne mangera pas ses deux casse-croûtes. Seulement deux bouchées.
Car c’est là que les gendarmes débarquent.
Car pendant que Minos faisait le garde-chiourme à l’intérieur du magasin pour surveiller une jeunesse dévoyée – expression qui a de tout temps été un pléonasme –, le drame s’est joué.
Inexorable. Impitoyable. À se donner envie de se taper la tête contre les murs pendant des heures, mais Minos n’en a pas envie, il l’a suffisamment fait dans sa jeunesse. Ceci pourrait d’ailleurs expliquer bien des choses sur son état, mais tel n’est pas le sujet.
Les gendarmes lui apprennent en effet que sa voiture vient d’être brûlée sur le parking du magasin. Pourquoi cela ne s’est-il pas produit plusieurs heures auparavant ? se lamente Minos. Parce que quand on y réfléchit bien, il y avait trois voitures alignées dans cette rangée du parking. Donc une chance sur trois d’être l’heureux vainqueur, ce qui n’est déjà pas évident, même si pas trop dur, à la limite, OK, je consens à l’admettre. Mais c’est l’inventaire, enfin quoi, merde ! LE truc qui se fait une fois par an. La seule fois de l’année où la voiture de Minos est garée aussi tard sur le parking. Il avait une chance sur 365 d’être choisi et pourtant, là encore, il a défié les probabilités pour en triompher avec honneur !
Mais comme on l’a dit, hélas, cela est survenu trop tard. Après 20 heures. Impossible de faire un loto, un keno ou une autre connerie du genre à cette heure-là. Malgré ce signe du destin indiquant clairement que la chance avait jeté son dévolu sur Minos, celui-ci ne pouvait surfer sur la vague pour gagner des milliards (au moins).
Il se contenta alors d’un très subtil :
– Putain, ma bagnole !
Et s’ensuivit un discours très intéressant avec les gendarmes :
– Avez-vous des ennemis ?
– Depuis quand les Bisounours en ont-ils ?
– On a surtout eu peur qu’il y ait eu quelqu’un dans la voiture quand elle a brûlée.
– Nan, c’est bon, j’ai tué l’araignée ce midi.
– Hein ?
– Heu… C’est pas grave, on va dire. Faites comme si je n’étais pas là. Quoique… J’ai tué une araignée ce midi dans la voiture. Peut-être que son esprit vengeur s’est incarné dans l’esprit d’un pyromane, dont il aurait pris possession, pour faire brûler la voiture par vengeance ?
– Heu… Disons que je n’ai rien entendu. Aviez-vous des choses de valeur dans la voiture ?
– Ô mon dieu, mes sacs Shopi pour faire les courses ! Et mes lunettes de soleil !
– On est en Bretagne, monsieur, les lunettes de soleil ne servent jamais.
– Ouf, voilà qui m’ôte un poids !
– Rien d’autre ?
– Ma carte d’identité ! Mon permis de conduire avec une photo me faisant ressembler à Christophe Dugarry du temps où il était joueur !
– Vous devriez vous remettre de cette perte très vite, rassurez-vous.
– Le duvet que môman m’avait prêté pour le premier de l’an et qui était resté dans ma voiture depuis !
– Voyez le bon côté des choses, ça fera ça de moins de lessive à faire pour elle.
– Vous avez raison. Elle en a assez fait au cours de sa vie, il est temps pour elle de goûter à un repos bien mérité !
– Vous disiez que vous n’avez pas d’ennemi. Vous en êtes sûr ? Personne ne vous en veut, pour quelque raison que ce soit ?
– J’ai lancé un débat sur un forum Star Trek sur la psychologie de Spock lors du 3ème épisode de la seconde saison, et j’ai eu des échanges virulents avec un autre internaute à ce sujet. Vous croyez qu’il aurait voulu se venger ?
– Il habite où ?
– À Bruxelles.
– Et vous en Bretagne. Vous le voyez traverser la France juste pour cramer votre bagnole suite à un « lol » mal placé ?
– Hum… maintenant que vous le dites…
– Des ex-maîtresses mécontentes ?
– Ah ! Ah ! Quelle plaisanterie ! Quand j’ai des maîtresses, elles en redemandent, encore et encore ! Elles ne se lassent jamais de moi, je leur offre des sensations que leurs maris ne leur procureront jamais !
– Parfait, ça, comme début de piste ! Qui est votre maîtresse actuelle ?
– Heu… À vrai dire, il n’y en a pas.
– Et à quand remonte la dernière ?
– Heu… Vous n’allez pas rire ?
– Meuh non, c’est pas mon genre ! Vous êtes une victime, jamais il ne me viendrait à l’esprit d’oser me moquer de votre détresse !
– Bon d’accord. Ma dernière, c’était en 2001.
– HEY, ROGER, T’AS ENTENDU ÇA ? 2001 !
– Lâche ce mégaphone, Jojo, je t’entends très bien.
– CELUI-LÀ, ON LE MET SUR FACEBOOK, HEIN ?
– Oui, mais arrête de coller ce mégaphone contre mon oreille, s’il-te-plaît.
– OK !
– Bon, il faut qu’on fasse évacuer le véhicule du parking, Jojo.
– On ne peut pas, Roger ! Nous sommes sur un parking privé !

Et c’est là que Minos comprit que son véritable ennemi était resté tapi dans l’ombre jusque-là : non pas le connard de simple d’esprit qui avait brûlé cinq voitures ce soir-là, genre « J’ai pas les moyens d’acheter une voiture donc je vais cramer la tienne, ça te fera les pieds, inconnu ! Bon, OK, t’as qu’une Clio de merde achetée d’occasion alors que j’aurais préféré cramer une BM ou une Mercedes, mais on fait avec ce qu’on a sous la main ! ». Mais l’ennemi implacable, redoutable, pas très sociable et plein d’autres synonymes en « able » : la bureaucratie.

Car même si tu ne t’en doutes pas, naïf lecteur, ce que tu as lu jusque-là n’est que la partie émergée d’un iceberg capable de couler un Titanic. Allez, pour la surenchère, disons deux Titanic. Au moins. Car la bureaucratie entre en scène dès le lendemain matin, après une bonne nuit de sommeil bien mérité pour notre héros.
Il en a vu de dures, mais comme il est d’un naturel content d’être heureux, il se dit : « Cool, je n’ai plus de voiture, je vais pouvoir foutre dans mon col ! ».
Mal lui en prend. Le lendemain, la bureaucratie à la française va l’attaquer de front, d’estoc, en travers, par-dessous et par derrière (même si notre héros, précisons-le, n’est pas gay ni rame).

Tout commence par le coup de fil à l’assurance. Minos est sûr de lui, il a tout préparé. Ça va aller vite, tout va bien se passer. L’agence ouvre à 9 heures. À 8h57, il appelle et récolte pour réponse :
« Veuillez appeler pendant nos heures d’ouverture, de telle heure à telle heure. »
OK. 8h58. Deuxième essai.
« Veuillez appeler pendant nos heures d’ouverture, de telle heure à telle heure. »
OK, pas de problème. 8h59. Troisième essai.
« Veuillez appeler pendant nos heures d’ouverture, de telle heure à telle heure. »
OK, les conseillers boivent un café avant d’attaquer la journée, normal. 9h01, quatrième essai.
« Toutes nos lignes sont occupées par nos conseillers, veuillez essayer ultérieurement. »
Rhaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa !

Enfin, Minos parvient à avoir un vrai interlocuteur en ligne, un qui parle avec des vrais mots et pas une voix enregistré qui ne sait dire que des paroles pour spectateurs de la Star’Ac :
– Pour Brian, tapez « un ».
– Pour Karima, tapez « deux.
– Pour Geoffroy-Marcel, tapez « trois ».
Et la vraie voix lui dit :
– Ouaip, c’est pour quoi ?
– Blablabla… voiture incendiée… blablabli… plus de papier – non, je ne parle pas des toilettes –… blabla…heu…blo ?… je fais quoi ?
Minos se trouve super malin à ce moment-là : il a trouvé le bon numéro de téléphone, a réussi à parler avec autre chose qu’un connard de bot. Bref, il voit le bout du tunnel. Ah ! Ah ! S’il savait, cet imbécile ! La réponse à ses questions fuse, cinglante :
– Voiture incendiée et donc inutilisable ? Il faut la faire évacuer par un dépanneur vers un garage.
– OK. Vous êtes l’assureur, vous vous en chargez ?
– Ah mais non, ce n’est pas dans la procédure ! Ici, vous parlez à votre agence locale, celle qui vous pousse à signer pour des offres d’assurance qui ne vous serviront jamais !
– Ah ? Et donc, je fais quoi ?
– Pour évacuer votre véhicule, il faut que vous appeliez notre numéro d’assistance, noté sur votre pare-brise.
– PUTAIN, MAIS T’ES CONNE OU QUOI ? LA VOITURE A CRAMÉ, Y’A PLUS DE PARE-BRISE ET ENCORE MOINS DE PUTAIN DE NUMÉRO DE TÉLÉPHONE D’ASSISTANCE DESSUS !
– Heu… vous avez de quoi noter ?
– Oui.
Un oui sec et péremptoire. Car Minos sait contrôler ses nerfs quand il le veut.
Elle lui donne le numéro, avant de rajouter :
– Ah, au fait, c’est trop simple si vous n’avez que deux interlocuteurs, donc il faudra appeler en plus à un troisième numéro : l’assurance sinistre.
Hum… l’assurance sinistre ? Ils font quoi, ceux-là, vu leur nom ? Ils pleurent avec vous ? Ils augmentent vos cotisations en cas de pépin ? Ils vous disent que vous ne toucherez rien, que vous êtes des moins-que-rien juste bons à payer tous les mois pour des services dont, de toute manière, vous ne bénéficierez pas ?
Et bien, non, en fait ce sont les types de l’assurance qui mandatent un expert pour évaluer le préjudice subi.

Mais nous n’en sommes pas là dans l’histoire. Il serait dommage de déjà éventer les futurs suspenses. Prenons les choses dans l’ordre. L’assistance.
– Vous avez quelle sorte d’assurance ?
– J’en sais quoi, moi ?
– Vous avez un numéro de dossier ?
– Ben voyons ! Bien sûr, je me promène toujours avec mon numéro de dossier ! Vous ne voulez pas non plus que je devine les chiffres gagnants du prochain loto, aussi, tant qu’à faire ? Ce serait limite plus facile…
– Nom, prénom et adresse ?
– Mais pourquoi est-ce que vous ne commencez jamais par ces questions-là ?
Enfin bref, notre pauvre Minos parvient à se dépatouiller avec ses paperasses d’assurance, et on lui dit :
– Hum… Je vois… Nous allons contacter un de nos dépanneurs agréés, qui va amener la voiture au garage Trucmuche. Enfin, si le garage veut bien le prendre : une bagnole cramée sur leur parking, ça pourrait leur faire du tort, donc il faut voir s’ils sont d’accord. Auquel cas il faudrait trouver un autre garage.
– MAIS PUTAIN QU’EST-CE QUE J’EN AI À CARRER ? C’EST TOI L’ASSUREUR, TU TE DÉMERDES POUR TROUVER UN GARAGE, ENFIN QUOI, MERDE !
Minos a toujours été quelqu’un de zen.
– Z’inquiétez pas, on s’occupe de tout, lui répond-on du tac-au-tac sans se laisser démonter.
Minos raccroche, déjà las. Mais les ennuis ne font que commencer, car il se trouve devant l’endroit que personne n’a envie de visiter, pire que la maison de l’horreur à la fête foraine. Oui, bien sûr, il s’agit de la gendarmerie.

Une fois dans le bureau du gendarme, Minos comprend vite que sa seule expérience de la police, via « Les experts » et « NCIS », ne sera pas à l’honneur. Là, on est dans la vraie vie. Et on se dit après coup qu’on préfère la télé.
Il semblerait qu’il y ait des problèmes de sous-effectifs dans les forces de l’ordre. Le gendarme qui prend la déposition gère en même temps l’interphone pour les gens qui veulent rentrer, une pseudo-alerte au gaz dont il n’a rien à carrer, et les collègues qui vont et viennent pour lui causer de choses diverses et variées.
À un moment, Minos en est sûr, le gendarme s’est demandé s’il allait lui falloir la journée pour enregistrer la plainte. Minos aussi, d’ailleurs. Il n’était que 9 heures du matin mais il commençait déjà à se demander s’il y avait un distributeur de sandwiches dans le coin.
Une fois la plainte déposée, Minos a la présence d’esprit de parler de l’autre problème : y’avait un petit peu son portefeuille dans la boîte à gants, genre avec des sous, la carte d’identité, le permis de conduire, la carte vitale, la carte de fidélité de la boulangerie pour les sandwiches du midi.
Car oui, Minos est sans papiers ! D’ici à ce qu’il se fasse expulser, il n’y a qu’un pas ! Mais heureusement, la bureaucratie à la française a du bon : elle conserve toujours des traces de vous, genre pire que Facebook. C’est rassurant dans ces cas-là. Pour les autres, je préfère me taire…
Donc Minos se retrouve dehors avec un papier disant qu’il n’a plus de papiers, ainsi qu’un numéro de téléphone d’aide aux victimes. Comme s’il allait appeler le psychologue de service spécialisé dans la perte de bagnole… (d’ailleurs, il se demande quel cursus ce type à a bien pu suivre, avant de se résoudre à ne pas l’appeler).

Donc Minos peut repartir, sa plainte déposée et son attestation comme quoi il n’a plus de papiers dans la poche. Ça, c’est fait !
Son téléphone ayant sonné entretemps, il écoute ses messages :
« Bonjour, dépanneur Machin, mandaté par votre assurance pour virer votre carcasse de bagnole du parking. Vous aviez donné rendez-vous à 11 heures, or ça m’arrangerait maintenant, en fait. »
‘Tain, encore un blaireau ! Tu permets que je porte plainte, ouaip ?
Puis vient un second message :
« Bon bah comme j’ai eu instruction de déposer ce qu’il reste de la bagnole dans le garage en face, je le fais, hein ? »
Fais ce que tu veux, moi j’ai rien dit, j’ai rien entendu !

Minos sorti de la gendarmerie, la journée de taf n’est pas finie pour autant : il faut retourner finir l’inventaire ! Il s’y attelle avec zèle, gueulant après les machines débiles qui font « bip-bip » pour scanner les produits, et dont les batteries flanchent toujours au moment où on en a besoin.

Enfin vient 15h30, l’heure de la débauche !
Minos est heureux, d’autant plus qu’il a une idée : aller acheter une nouvelle voiture. Là. Maintenant. Tout de suite. Donc il file au volant du fidèle destrier de ses parents, direction le lointain Finistère (beurk – oui, Minos est Morbihannais), où son couple de garagistes a déménagé moins d’un an auparavant.
Hop, il y arrive ! Kikoo salut ! Je cherche une bagnole ! Moins chère que jamais ! Y’a quoi en stock ? Xsara ou Clio ? Clio ! Essai ? OK !
Trois minutes plus tard, Minos revient de son essai et dit à son garagiste : « C’est bon, je la prends ! ». Car oui, mesdames, Minos en a tellement rien à foutre des bagnoles qu’il les achète en moins de temps qu’il ne vous en faut pour acheter un chemisier en période de soldes.
Bien sûr, faut préparer la bagnole, il reste des trucs à faire, donc Minos va se dépatouiller autrement, genre en piquant le trafic du taf au chef du magasin. Car le lendemain, il y a inventaire au magasin d’Auray.

Vient ensuite le passage à l’agence locale de l’assurance : on lui refile une double page de trucs à la con à remplir pour la plateforme sinistre, le truc qui fait pleurer vu son nom, et y’a même pas une photo de clown en filigrane dessus pour remonter le moral.

La nuit se passe, le jour se lève (ouaip, ça marche à tous les coups, c’est dingue), et hop, nouvel inventaire !
Déjà, la journée commence bien : jusque-là, quand Minos quittait ce magasin pour rejoindre la voie express, il lui fallait 1 mn top chrono. Mais il n’avait jamais su y arriver dans l’autre sens. Car pour ce qui est du sens de l’orientation, Minos est une tanche/femme (rayer la mention inutile). Et pour une fois, alléluia ! Il y arrive ! Forcément un signe du destin !
Minos a une super culture, il maîtrise Word comme pas deux (rappelons qu’il a créé un Monopoly à 6 côtés par ce biais, un jour, mais que les parties se sont avérées bien plus rapides que les parties classiques), donc ça a été l’occasion pour lui de répondre à quelques questions sur ce logiciel pour le compte de l’adjointe du magasin. Il pensait lui apprendre le B-A-BA, mais il s’est avéré que sur certains points, il aurait fallu des lettres avant le « A ». Bref…
Le temps de finir de discut… travailler, il est 15h30, Minos s’en reva (comment ça s’est pas français ?) vers chez lui pour entamer son bras de fer avec la paperasse. 16h30, mairie, on lui refile la liste des papiers qu’il faut pour refaire ses papiers, du moins sa carte d’identité. Hop, miracle, tout se passe bien ! Il a tout sous le coude, pour une fois, fait un saut chez lui, revient à la mairie et le dossier est bâché en 5 minutes. Dans 15 jours il aura une carte d’identité, alléluia again !

Le samedi, courrier de l’expert dans la boîte à lettres : « Je vais intervenir, ça va iech, blablabla ». « Il me faut des papiers, genre la carte grise ».
Ah ! Ah ! Ah ! T’es con ou t’es con ? La carte grise était dans la boîte à gants, histoire d’avoir toujours tous les papiers sous le coude au cas où ils m’auraient été demandés !!!
Minos ne se démonte pas et appelle l’expert, qui comme tout bon feignant qui se respecte, ne taffe pas le samedi. Rebelote le lundi, ou une humaine lui dit :
– Ah, mais monsieur Minos, il faut une copie de la carte grise, sinon il faut retourner à la gendarmerie pour obtenir un papier disant que vous n’avez plus le papier !
– PUTAIN MAIS VOUS POUVIEZ PAS ME DIRE ÇA AVANT, BANDE DE CONS ?

Donc retour à la gendarmerie, avec le regard suspicieux qui va bien de la part du gendarme :
– On s’est déjà vu, non ?
– Yep, ma bagnole a été cramée la semaine dernière.
Et le gendarme de faire la démonstration à son trop jeune collègue de comment marchait l’ordi (ou plutôt ne marchait pas : ce qui est marrant ou navrant, au choix, avec les gendarmes, c’est que comme ils exercent à la campagne, ils n’ont pas spécialement les trucs de la ville comme l’ADSL, donc ça rame à mort, leurs ordis. Gibbs en aurait déjà tué un ou deux, voire plus…). Pourquoi trop jeune ? Parce que quand on le voit vous accueillir, on a envie de lui dire « Ah ! Ah ! Lol, gamin ! T’as enfilé le costume de papa pour faire croire que t’es un vrai gendarme ? »
Et quand la réponse fuse, à savoir : « Heu, non, m’sieur, chuis un vrai gendarme », on se dit que décidément, on commence à vieillir…
Bref, revoilà Minos qui sort de là avec un nouveau papier disant qu’il n’a plus de papiers.

Minos, parmi les nombreux atouts naturels avec lesquels il est né (hum), dispose d’une santé de fer, mais il a quand même une carte Vitale. Enfin, avait. Oui, elle aussi était dans la boîte à gants. Donc nouveau coup de fil, cette fois-ci à la sécu :
– Bonjour, ma voiture a été brûlée, dont mon portefeuille avec ma carte Vitale dedans.
– D’accord, on va la refaire. Il me faut un double de votre carte d’identité.
– PUTAIN MAIS TES CONNE OU QUOI ? JE TE DIS QUE MES PAPIERS ONT BRÛLÉ !
– Euh… Ce n’est pas un souci. Dès que vous aurez récupéré une carte d’identité, vous remplissez le dossier de 18 pages que je vous envoie et vous recevrez une nouvelle carte Vitale. Dans deux mois.
– DEUX mois ??? Vous vous foutez de moi ? Vous les faites une à une, à la main, c’est pas possible ?
Tut… tut… tut…
– Allo ? Allo ?
Ça a raccroché. Elle a dû passer sous un tunnel, Minos ne voit pas d’autre explication logique et rationnelle.

Les choses commencent enfin à bouger une semaine plus tard, quand Minos reçoit un courrier de l’expert.
« Monsieur Minos… blablabla… estimation du coût des réparations… 16 000 euros. »
Là, déjà, si les anges existaient, y’en aurait un qui passerait dans un silence de plomb. Voire il s’en prendrait un, de plomb, s’il passait en voletant en période de chasse à la campagne.
Parce que bon, l’expert a les papiers sous le coude disant que la voiture a été achetée 4 000 euros un an plus tôt. Il fait quoi en se levant le matin ? Il se dit « Tiens, je vais estimer les coûts de réparation de la bagnole dont il ne reste qu’une carcasse sauf les roues qui sont intactes, alors que je sais très bien que lesdits coûts vont excéder de loin le prix d’achat. C’est de la perte de temps mais je m’en fous, c’est l’assurance qui me paye. Parfait, je fais comme ça. Top, chrono, je commence l’estimation et comme je suis payé à l’heure par l’assurance, après tout, je vais aller boire un canon chez Titine pour commencer. »
Une fois que ce surpayé a fini son verre, euh non, fait son boulot inutile, il s’attèle au vrai taf, à savoir l’estimation de la valeur de la bagnole, le seul qu’il aurait dû faire qui ait une réelle utilité dans le cas présent. Encore un prisonnier de la bureaucratie à la française, faut croire…

On avait dit à Minos que l’expert intervenait rapidement. Et sa bagnole a été cramée, donc il est piéton. Il s’était posé la question de savoir s’il devait acheter une nouvelle caisse sur-le-champ ou attendre d’avoir reçu une proposition d’indemnisation de l’assurance. Il avait finalement opté pour l’option numéro un. Définitivement sans regret. Car un mois, oui, un mois après l’incendie de sa voiture, le courrier de l’assurance arrive enfin. Et comme toute bonne histoire se doit de s’achever par une happy end, on lui propose une somme qui correspond presque à celle qu’il a mis dans la voiture un an plus tôt.

Entretemps, Minos a tout de même réussi à remporter une victoire. Une seule, certes, mais assez significative. Il en est fier. Bon, OK, j’avoue, sur ce coup-là c’est le roi des mesquins mais ça fait du bien.
Quand il a pris la livraison de sa nouvelle voiture chez son garagiste, il était 17h20. Et c’est à ce moment et seulement à ce moment qu’il a appelé son assurance.
– Bonjour, j’achète une voiture.
– D’accord, vous en disposerez quand ?
– Là, maintenant, tout de suite.
Car c’est là que réside toute la perfidie de Minos. Il sait très bien que son assurance ferme dix minutes plus tard, et qu’elle ne peut pas se permettre de le laisser rouler sans assurance à partir du moment où il l’a prévenu.
Ah ! Ah ! Ah ! Tremble, assureuse ! Lâche ce café que tu venais de te servir pour terminer tranquilou ta journée de taf, ferme la partie de solitaire à laquelle tu jouais sur ton ordi de boulot ! Tu as DIX minutes top chrono pour m’assurer, non mais oh !
À coup sûr vexée, elle tente de reprendre la main :
– J’ai besoin de connaître toutes les caractéristiques techniques du tas de boue.
– Aucun problème, rétorque Minos du tac au tac.
Si elle croit pouvoir le noyer avec ses demandes bureaucratiques, elle se trompe lourdement ! Minos est prêt, il est au taquet, elle ne le prendra pas en défaut.
Et là, gentil lecteur, tu te dis « Waouw ! Minos n’est là que depuis deux minutes et il a déjà eu le temps d’apprendre les caractéristiques de sa nouvelle voiture, y compris les vingt pages de maintenance qui s’y rapportent ? Quel homme ! Quel talent ! »
S’il y a du vrai dans ce que tu penses, surtout sur la fin, Minos procède autrement. Pour lui, une voiture c’est un truc en ferraille qui fait vroum vroum quand on tourne la clé de contact, et qui l’amène d’un point A à un point B. Rien de plus. Il ne connaît même jamais son numéro de plaque d’immatriculation.
Mais sa riposte est toute trouvée vis-à-vis de l’assureuse dont le café est en train de refroidir et qu’elle n’aura pas le temps de boire avant de devoir fermer son agence. Ah ! Ah ! Ah ! Quel winner, ce Minos. Bon, OK, c’est le winner des mesquins, mais c’est déjà ça de pris quand même.
Et il tend le combiné à sa garagiste.

Une fois toutes ces formalités (néanmoins chiantes) expédiées, Minos dispose à nouveau de toute la panoplie de papiers d’identité et a une voiture en règle.
Vient enfin la conclusion de cette histoire : le courrier de l’assurance indiquant la reprise de la carcasse et le remboursement quasi intégral de la valeur de la voiture. Bien entendu, point de chèque avec le courrier, ce serait trop facile. Juste une double page de paperasse à remplir, genre « Bonjour, nous sommes les assureurs, vous nous avez déjà envoyés tous les papiers mais comme on a la flemme de les relire et de reporter les infos qu’il y a dedans, on vous laisse de remplir à nouveau ce papelard. Ah, au fait, vous serez gentil de joindre la carte grise du véhicule incendié avec le dossier rempli. »

RHAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAA ! LA CARTE GRISE ÉTAIT AUSSI DANS LA BOÎTE A GANTS, PUTAIN, VOUS ÉCOUTEZ QUAND JE VOUS PARLE ???

Y’a des moments, Minos a envie de se pendre…