Épisode 4

 

 

    La prise de sang a été faite. OK. Coup de fil du labo peu de temps plus tard, qui annonce que les résultats ont été transmis à l’hôpital, « qui va vous contacter pour prendre rendez-vous ».

    Re-OK. Traduit en français, ça veut dire : « Les résultats ne sont pas bons mais on ne vous dira rien, voyez ça avec eux ». Le milieu hospitalier a tout compris à l’art du crescendo, aucun souci là-dessus : je pense que plus d’un dans ce milieu est mûr pour écrire des scénarios pour la TV.

    Coup de fil de l’hosto vingt-quatre heures plus tard, ce qui est au top niveau réactivité quand on considère que la personne de la veille a bien pris soin de nous inquiéter. Je pense que dans le cursus des milieux médicaux, en plus des matières « soins aux personnes », « empathie », « changement de pansement », y’a aussi « laisser parler le Satan qui est en soi » et « vous avez le pouvoir de les faire flipper, profitez-en, vous aurez l’impression d’avoir un grand pouvoir sur eux ! ».

    Le coup de fil de l’hosto, donc. La personne, toute fière, qui t’annonce que le rendez-vous sera tel jour à telle heure. Oui, sans même se préoccuper de la disponibilité des gens. Je pense qu’elle a à l’origine été formée par EDF, les rois de la prise de rendez-vous unilatérale et forcée, et où les mecs te disent « On passera lundi entre 8h et 20h, et je m’en branle si t’es pas dispo ce jour-là, t’as qu’à te démerder ».

    Du coup, top de la réactivité à nouveau (sic) quand on dit que nous, on n’est dispos ni ce jour-là ni à cette heure-là : en cherchant bien, elle arrive à nous dégotter un créneau qui colle avec notre planning. Mais pourquoi t’as pas commencé par là, stupide ??? C’est sûr que eux, ils s’en foutent, ils sont là tous les jours. Est-ce qu’ils n’ont pas bien compris que les patients ne vivent pas à l’hôpital, qu’ils ont une vie à côté ? Bande de cloportes !

    Et du coup on se retrouve en rendez-vous avec… une nouvelle toubib. Ça en fait désormais trois à notre collection, en quatre rendez-vous, sur deux sites hospitaliers (si je ne compte pas le labo d’analyses comme site). Qu’on se le dise : les mots « ordre », « rationalité », « organisation » et « cohérence » sont bannis dans les hôpitaux. Sans doute une vieille tradition auquel ce milieu tient plus que tout. Y’a sans doute une Gestapo Anti-Facilitateurs-De-Vie qui tourne dans les hôpitaux, à la recherche du personnel qui essaie de faire des choses simples. On n’a jamais revu le personnel en question une fois qu’il est tombé entre les griffes de ladite GAFDV…

 

    La nouvelle toubib, donc… Souvenez-vous, la première fois quand on débarquait dans le service, on avait le droit aux photos de bébés et de femmes enceintes sur les murs, histoire de donner le ton, dans le genre tout est beau tout est mignon, une merveilleuse aventure commence, les anges tapissent votre chemin de pétales roses tout en soufflant dans leurs trompettes célestes des airs apaisants. Vous allez donner naissance à une nouvelle existence, participer au grand cycle de la vie, un peu de vous survivra à travers le Barbatruc, à qui vous lèguerez un héritage (rêve, Barbatruc : je claquerai tout avant de caner et tu te démerderas, non mais oh !), un état d’esprit (le mien ? Pourquoi pas. Mouhahahaha !), etc.

 

    Et bah là, avec cette nouvelle toubib, on passe direct à l’envers du décor, dans le genre « Bam ! Prends ça dans ta gueule ! ».

    Ça commence par : vu l’âge de Madame, il y a des prédispositions certaines à la trisomie pour le Barbatruc. Ambiance. Ce toubib doit s’éclater aux soirées Halloween. Je me demande si elle ne cousine pas avec la Famille Adams.

    De là, trois solutions : soit les super tests poussés qui te diront si trisomie, mucoviscidose, zika, grippe aviaire, boutons d’acné, crête de branleur Tektonik, etc, bref le test des super-pouvoirs. Soit l’amniomachintruc au nom imprononçable mais qui passe quand même mieux que la réalité qui se cache derrière, à savoir la grosse aiguille de vingt centimètres dans le bide avec risque pour la santé du Barbatruc sinon c’est pas marrant. Okaaaay. Et enfin, le dernier test, tout beau tout chaud tout récent : une prise de sang toute conne de la mère, car dedans y’a aussi le sang de Barbatruc. De là, on chope le sang du parasite (sans doute avec une épuisette, je pense) et on regarde si tout va bien ; fiabilité 99%.

 

    Ouaip, on va faire ça, tiens ! Au fait, vous avez été gothique dans votre adolescence, docteur ?

 

    Ah et évidemment, tout ça c’est que des questions de statistiques et de probabilités. Une autre future mère avec les mêmes résultats de prise de sang n’aura aucune alerte de ce type, statistiquement parlant, si elle est plus jeune.

    Et moi qui croyais que les probabilités avaient fini de me faire chier la gueule en 1992, au repêche du bac de maths, où je me suis arraché pour obtenir 6 sur 20. Rigolez pas, ça m’a fait +50% par rapport à ma moyenne de maths pendant l’année, et permis d’obtenir mon bac avec la note magnifique de 10,04 sur 20.

    Oui, Barbatruc. Comme tu peux le voir, ton père est une tête. Par contre, le contenu de ladite tête en laisse plus d’un perplexe. Je pense qu’après ma mort, on étudiera mon cerveau, on le mettra dans du formol à côté de celui d’Einstein et on se posera la grande question : génie aussi, ou fin de race ?