Dernier épisode

 

 

    Toute épopée ayant une fin, il est temps de mettre un terme à celle de Barbatruc, qui n’est plus un Barbatruc depuis le vendredi 26 août à 3h35. Telle la chenille quittant sa chrysalide pour se transformer en papillon, le Barbatruc est désormais une petite crotte braillarde.

    Hein, quoi ? La justesse de mes analogies est discutable ? Euh… Y’a sans doute du vrai là-dedans, mais on ne se refait pas.

 

    Les événements se sont enclenchés sous le couvert du manteau enténébré d’un ciel sombre et de jais que n’aurait pas renié une lessive lavant plus noir que noir…

    Bref, il faisait nuit.

    Une heure du matin. Je ferme mon bouquin, j’enlève mes lentilles, je m’apprête à éteindre la lumière, quand soudain je reçois des coups de pied (ou presque), de madame pas encore couchée et qui tourne en rond. Elle me dit :

    – Il se passe un (Barba)truc. T’endors pas.

    OK. Je reprends mon bouquin, je remets mes lentilles. Je ne le sais pas encore, mais ma nuit de sommeil vient de s’achever. Vive les micro-siestes !

    On attend. Je tourne en rond, en carré, en rectangle et en triangle mais pas plus car la géométrie n’a jamais été mon fort puis, vers deux heures, le verdict tombe. Madame me fait :

    – Il faut qu’on y aille, je crois que ça commence.

    Branle-bas de combat ! Alerte rouge ! Ça va iech ! Coup de fil à une voisine, dont le fils bientôt adulte avait été préalablement recruté pour garder les grandes sœurs du Barbatruc au cas où les événements se seraient déroulées de nuit.

    Il arrive vers 2h30, avec son beau-père qui, perfide, décide de me faire souffrir :

    – Nan mais tu sais, ça va prendre des heures et des heures. Prends une bonne cargaison de clopes avec toi, sept bouquins et ton téléphone avec plein de jeux. Ton coupe-ongles, c’est pas la peine : le stress va faire que tu vas te bouffer les ongles, puis les doigts voire même jusqu’au coude, à la zombie, si les choses s’éternisent.

    Ne manquait plus que sa lampe de poche sous le menton pour faire une tête à faire peur.

    De mon côté, comme j’ai et aurai toujours un humour de merde, je dis au beau-fils :

    – C’est bon, tu peux dormir dans notre lit. Et rassure-toi, il est tout propre, madame n’a pas perdu les eaux dedans. Arf ! Arf ! Arf !

    Oui. Humour de merde. Vous étiez prévenus.

 

    2h45, on est prêt. La théorie dit que de notre campagne reculée, il faut une demi-heure pour rejoindre l’hôpital. OK. Sauf que là, on appelle ça un cas de force majeure et qu’à cette heure-là, niveau circulation, les conditions sont plutôt idéales pour bien rouler.

    Premier tronçon à travers la campagne : il est roulable à la bourrin, genre 100km/h sauf deux virages, mais… car il y a un « mais », c’est aussi l’heure des bébêtes en tous genres. Et vu qu’il serait dommage de se manger un Bambi en travers du pare-brise, je ne force pas l’allure.

    Tout au plus vois-je quelques gouttes de sueur apparaître sur mon front quand madame me dit :

    – Tu sais, tu peux rouler un peu plus vite.

    Ce que mon esprit traduit instantanément par :

    – NON MAIS TU VAS APPUYER SUR CE BORDEL DE CHAMPIGNON DE MERDE ET FAIRE CRISSER LES PNEUS DANS LES VIRAGES, OU TU COMPTES M’ACCOUCHER TOI-MÊME AU BORD DU PROCHAIN CHAMP ?

    Une fois le message subliminal décrypté par mes soins, je comprends qu’il y a urgence.

    Dès que le premier tronçon est dépassé, on passe à de belles routes que n’auraient pas reniées les Romains : larges et droites. Cerise sur le gâteau : désertes à cette heure.

    Y’a juste un point pouvant fâcher : un bon vieux radar fixe à un endroit limité à 90 comme le reste. Depuis une bonne dizaine de jours, il a été taggué et peinturluré par de quelconques révolutionnaires bretons donc j’hésite à ralentir. Finalement, au cas où le ménage ait été fait entretemps, je respecte la limitation de vitesse et on va dire que je fais bien car oui, le ménage a été fait. Rouler à 150 au lieu de 90, ça aurait pu légèrement piquer au niveau du permis de conduire… 

    Bilan quand je me gare devant les urgences obstétriques : la demi-heure de route s’est transformée en vingt minutes, record battu. En traversant la ville et ses feux tricolores, j’avais décidé qu’au cas où, de toute manière, je serais passé au rouge : au ralenti, certes, puisqu’il ne faut pas être trop con non plus, mais je serais passé. Ils étaient tous verts : bon, 90 à la place de 50, on va présumer qu’il peut y avoir pire.

    On a bien croisé nos amis policiers au rond-point suivant, mais vu qu’on prenait la première sortie, on roulait alors à 50km/h. Moi je dis bon timing.  Évidemment, on a quand même eu droit à des regards soupçonneux parce que c’est des flics et que des gens en voiture à 3h du mat, c’est forcément des suspects en puissance. Ils n’ont pas eu la mauvaise idée de vouloir nous arrêter pour contrôle, auquel cas on se serait lancé dans une course-poursuite parce que là, j’aurais eu autre chose à foutre que de m’arrêter.

 

    Étape Un, la route : check. Étape Deux : l’hôpital. Bien sûr, à cette heure, les portes sont fermées mais il y a une sonnette, sur laquelle j’appuie. Une voix retentit :

    – Bonjour, c’est pour quoi ?

    – T’es conne ou t’es conne ? Vu qu’on est aux urgences obstétriques, tu crois quoi ? Que je vais te demander un big mac, une grande frite et un coca ?

    Ça, c’est la réponse que j’aurais bien voulu lui balancer. La vraie s’est bornée à :

    – Euh… un accouchement ?

    La réponse était bonne, vu que la porte s’est ouverte.

    Madame me demande de lui dégotter un fauteuil roulant parce que là, ça va pas très fort. Bien entendu, il n’y en a pas. Juste des lits à roulettes : je ne prends pas le risque d’essayer d’y soulever madame. En plus, y’a personne. On lit les panneaux vu qu’on n’est pas pressés (sic), on prend un ascenseur, et on se retrouve devant une porte fermée avec une nouvelle sonnette qu’on voit à peine : je soupçonne le personnel d’avoir essayé de la planquer pour ne pas être dérangé.

    Là, enfin, une blouse blanche débarque, à deux à l’heure. C’est pas comme si dans son service, « urgences obstétriques », y’avait le mot « urgences ».

    Enfin madame obtient son siège à roulettes, et une sage-femme en disant qu’elle va examiner madame. Elle revient me voir une minute plus tard et me dit :

    – Monsieur, votre femme va accoucher.

    – Quoi ? Comment est-ce possible ? On ne me dit jamais rien à moi !

    Encore une fois, c’est la réponde que j’aurais aimé faire, mais je me contente d’un « OK » lapidaire, tout en songeant que la sage-femme a bien raison d’enfoncer les portes ouvertes, ça a toujours fait moins mal à l’épaule que les portes fermées. Et décidément, je n’aurais pas mon big mac, c’est quasi-officiel.

 

    En moins de cinq minutes, on est installé, une équipe médicale prend les choses en main, avec ses « c’est super ce que vous faites, madame », « continuez comme ça, madame ». Pour un peu, ils sortiraient les pom-pom girls pour chanter des slogans avec une chorégraphie qui va bien.

 

    Et pouf, abracadabra, à 3h35, le Barbatruc est né. Bon courage, gamin^^