Épisode 5

 

 

    Le temps file, inexorable, qui nous voit choper de nouvelles rides, de nouveaux cheveux blancs, accumuler de nouvelles fatigues. Nan, je déconne, c’est bon, le grabatarisme n’arrive pas encore. Et oui, le mot grabatarisme n’existe pas mais un, je trouve qu’il pète, et de deux, j’ai la flemme de vérifier s’il existe un autre mot. Du moment qu’on comprenne l’idée, ça me va.

 

    Bref, passé ce préambule sans queue ni tête, on en est où, un mois après le dernier épisode ? Ben… ça pousse, ça évolue super vite, c’est une période rigolote, on va dire. La bonne vieille période où il fait des trucs pour la première fois et où tous les parents, les yeux brillants de fierté, se disent « Waouw ! Ce bébé est exceptionnel tellement il apprend des nouveaux trucs ! ».

    Je vous arrête tout de suite, on se calme ! Ce n’est parce que bébé sait désormais s’asseoir et s’est levé pour la première fois de sa vie qu’il sera un prix Nobel : il y a quelques milliards de preuves qui traînent sur cette planète pour le confirmer.

    Alors oui, très vite il se met à frimer, genre : « Hey, vous avez vu, je tiens avec une seule main ! », ou « Hop, regardez comme je me laisse trop bien tomber prudemment quand je veux me rasseoir ! ». Je voudrais pas gâcher tes espoirs, le gnome, mais tout le monde sait faire ça, c’est la base.

    De toute manière, pour ce qui est de se lever pour la première fois, il a triché. La veille, ça faisait 24 heures qu’il était souffrant, fièvre, hurlements, tout ça. Hop, un saut chez SOS médecins, rhino-otite-blablabla et vlan, bourré de médocs. Et donc le lendemain, il se lève pour la première fois ? Moi j’appelle ça du dopage ! Mais que fait donc l’Agence Mondiale Antidopage ? Elle a un cas flagrant à gérer, là !

 

    Sa mère lui a appris à applaudir, aussi. Bon, il est pas encore tout à fait au point mais ça commence à venir. Ne me reste plus qu’à lui apprendre à m’applaudir quand il me voit, voire à se prosterner devant l’être supérieur que je suis, à savoir son père, mais on va attendre encore un peu pour ça.

 

    Bref, pour ce qui est des trucs physiques, il gère, le Barbatruc. Y’a un certain nombre de choses pour lesquelles il n’est bien sûr pas au point… même si je le soupçonne de faire exprès, ce petit sournois.

    Genre son prénom. La pédiatre nous demandait dès la visite des six mois s’il réagissait à son prénom. La réponse fut non. En même temps, il n’était pas aidé, affublé de plein de surnoms plus pourris les uns que les autres (mais c’est rigolo, hihi). Même question à la visite des neuf mois… pour la même réponse.

    Non mais cette fois c’est pas nous, juré ! On l’appelle par son prénom, sisi je vous jure m’sieur le juge !

    Et sa réaction à son nom est toujours de… détourner la tête, et surtout pas regarder les gens qu’on ils nous interpellent, non mais oh. Alors de deux choses l’une : soit ce petit con nous snobe, auquel cas c’est vraiment un petit con ; soit il trouve que son prénom est trop pourri alors il a décidé de le boycotter, ainsi que les gens qui l’utilisent.

 

    Et à part ça, son horizon s’élargit, il découvre le monde. On commence à lâcher la bête dans la maison pour qu’il voit autre chose que les barreaux de son parc. Oui, ça s’appelle une « autorisation de sortie » dans le monde des détenus et oui, ça s’en rapproche pas mal, d’autant plus que, comme tout détenu en liberté provisoire, s’il fait des bêtises une fois dehors, on le remet aussi derrière les barreaux. Et toc !

    Même de sortie hors de sa cage, il cultive le même esprit de contradiction qu’avec son prénom. Il a un bac de jouets et en prend la direction. Jusqu’ici, normal. Sauf qu’une fois qu’il l’atteint, il ne cherche pas à jouer avec le bazar qu’il y a dedans, non, non, non, ce serait trop facile. Il prend le bac et le fait aller d’avant en arrière. Tout ce qu’il y a dedans, à savoir ses jouets habituels, ne l’intéressent pas.

    C’est vachement plus rigolo de se mettre debout et d’attraper tous les objets de la table basse, et les livres de son père qui traînent. Je pourrais penser que tout comme le reste de la famille, ce sera un grand lecteur, mais ce serait faire preuve d’une grande naïveté. Tout comme dans Farenheit 451 (du génial Ray Bradbury, on ne le dira jamais assez) où on brûle des livres, Barbatruc essaye aussi de les détruire.

    Pas encore totalement fou, je ne lui ai pas encore prêté mon briquet, mais il n’en a de toute manière nul besoin : il a des doigts pour arracher les pages, ainsi qu’une bouche qui, bien qu’édentée, lui suffit pour faire de la charpie des couvertures cartonnées. Je lui aurai bien mis du E. L. James ou du Zemmour entre les mains, mais je ne possède rien de ces auteurs, ce qui est d’ailleurs un grand soulagement !

 

    Voici pour cette fois-ci. Pour conclure, on notera qu’il a multiplié le nombre de ses dents par deux. Et oui, ça ne rigole plus, là ! Il en a donc désormais… roulement de tambour… deux. Waouw !

    Ah oui, un dernier détail : Barbatruc est parfois distrait quand on lui file sa bouillie, genre il nous snobe de temps à autre quand on lui tend sa cuillère de bouillie pour qu’il ouvre la bouche. Du coup, dès qu’il l’ouvre, on se jette allègrement pour l’empiffrer. Mais parfois, c’est une erreur fatale !

    Tu te dis « Cool, il ouvre en grand, là, je fonce ! », et hop, bouillie dans la bouche… sauf que non, c’était pas pour avoir sa pitance qu’il ouvrait la bouche mais pour éternuer. Avec un résultat que je vous laisse imaginer. Et puis c’est trop bien de mettre les doigts dans la bouche quand on mange, ça permet d’en avoir partout, et de se frotter les yeux ensuite pour bien étaler. Le fun c’est aussi les doigts direct dans la bouillie, parce que la patouille, c’est le bien.

    Quand un bébé fait ça, ça s’appelle la patouille. Par contre, étrangement, ça porte un autre nom quand un adulte le fait : une « performance d’artiste ». Oui, le terme de « performance d’artiste », c’est du foutage de tronche. Mais ceci est un autre débat…