Épisode 3

 

 

    Six mois dimanche. Telle une inéluctable mauvaise herbe, le Barbatruc pousse. Enfin, il paraît : quand je montre des photos de manière épisodique aux gens, j’ai toujours droit au bon vieux « oh, il a changé ! ». Forcément, à la maison, le nez dessus tous les jours, ça se voit nettement moins.

 

    Là où il change physiquement, c’est que ses cheveux poussent. Tranquillement mais sûrement. Il a la même coupe de futur chauve que son père, mais en attendant ça pousse surtout sur le dessus. On va bientôt pouvoir lui faire une crête de punk et je pense que le premier mot que je vais lui apprendre, ce ne sera ni « papa » ni « maman » parce que c’est tellement bassement classique, mais plutôt « ANARCHY ! » voire « FUCK LE SYSTÈME ! ».

    Ceci dit, pas sûr que Madame adhère. Et même si je lui apprends ça en cachette, il est évident qu’il le ressortira au grand jour, me grillant par la même occasion tel un petit collabo avant l’heure. Oui, les problèmes d’un père sont légions, surtout dans sa tête…

 

    À six mois, les bébés affrontent vaillamment plusieurs objectifs : prendre leur rythme, parler, marcher, faire leurs dents, commencer à ingurgiter autre chose que du lait. Passons tout ça en revue.

 

    Prendre son rythme. Là, rien à dire, c’est du bon boulot : il fait décidément ses nuits, mieux que jamais avec un bon vieux 18h-6h des familles. C’est bien mon gars, je suis fier de toi et ça évite que le Hulk qui sommeille (oui, c’est le cas de le dire, surtout la nuit) en moi ne prenne le dessus. Encore plus fort, quand on y pense : dans un mois, c’est le changement d’heure, donc plutôt que de faire 18h-6h, il fera 19h-7h. Mouhahahaha, y’a des moments, j’adore ce gosse ! Hein ? Quoi ? Ça devrait être tout le temps ? Oui bah qu’on me laisse mon côté psychoto, quand même !

 

    Parler. C’est pour les faibles. Crier c’est vachement super mieux. Normalement, les gosses imitent leurs parents, sauf que ces temps-ci, le Barbatruc a décidé d’imiter un perroquet poussant des cris stridents. Et quand il veut grailler il pousse des espèces de cris en roulant les « r », telle une tourterelle énervée. Je pense que c’est aujourd’hui que naît sa future grande carrière d’ornithologue.

 

    Marcher. Bon, y’a encore du taf. Par contre, on peut lui mettre une bonne note dans la case « gigoter ». On va dire qu’il se démerde, à croire qu’il a des gènes de ver de terre. À un moment, il a été capable de basculer sur le dos : c’est bien mon gars ! Par contre, dans cette position, avec un bras coincé sous le corps et la tronche dans son tapis de sol, il s’est vite retrouvé avec la même problématique que la tortue sur le dos : comment faire pour se retourner à nouveau ?

    Sa première réponse fut de chouiner, genre « Aidez-moi au lieu de vous moquer, sales parents indignes ! ». Oui, Barbatruc, tes parents sont des enfoirés, surtout ton père quand : alors que tu galères et que tu aimerais bien qu’il t’aide, lui se contente de te filmer en ricanant intérieurement, tel le crétin de base qui filme un fait divers en cours plutôt que de secourir les gens.

    Sa deuxième réponse, une fois qu’il eut compris que dans la vie, il ne faut compter que sur soi-même, fut de réussir à débloquer son bras coincé et là, ça change tout : enfin on peut relever la tête et respirer à nouveau.

    En plus, le futur gymnaste champion olympique qui sommeille en lui a aussi compris qu’il peut bouger grâce aux barreaux de son lit-parc, que ce soit en s’accrochant avec les bras, ou en poussant avec les pieds. Ou alors il joue à Prison Break avant l’heure. Ce qui me fait penser à un truc sociétal (oui, je connais des super mots, je sais) : on se plaint de manquer en permanence de places dans les prisons, mais ça tient peut-être au fait qu’à force de mettre des bébés derrière des barreaux, ils aient envie d’y retourner une fois adultes ? Régression, quand tu nous tiens…

 

    Faire ses dents. Quand bébé a un problème, bébé pleurer. Après, faut juste découvrir pourquoi : il a joué au yogi et s’est coincé dans une position improbable ? Ça se voit donc ça va : on défait les nœuds qu’il a fait avec son corps et c’est reparti. Il a peut-être faim ? La technique du bib dans le groin apporte vite la réponse. Il est fatigué et s’énerve parce qu’il n’arrive pas à dormir (vu que dormir c’est pour les faibles) : il finira par s’écrouler une fois au lit.

    Par contre, quand il fait ses dents, genre ça dure et ça va durer des mois, rien à faire. Sauf à le mettre dans une pièce insonorisée, peut-être ? Pas de chance, on n’en a pas. Du coup on se rabat sur le plan B : lui faire bouffer Sophie la girafe, tel un futur carnivore voire futur amateur de safari en Afrique. En tout cas, ça commence à venir : il en a une. Plus que trente et une et on sera tranquilles. Dis comme ça, je sens que c’est pas gagné, cette histoire…

 

    Ingurgiter autre chose que du lait. C’est les tous débuts des balbutiements, on va dire, genre on lui met un tout petit peu de bouillies dans la bouche histoire qu’il ait le goût et qu’il apprenne à avaler. Il n’est pas encore tout à fait au point, du coup on en reste au lait, ces bons vieux bibs destinés à gonfler la petite barrique. Ce bon vieux lait qui pue quand, suite à un trop-plein, le Barbatruc s’en macule les fringues (bien sûr, le petit sournois attend d’avoir été changé et d’être tout beau trop propre pour dégurgiter un peu).

 

    Bref, bébé grandit et fait sa vie, tranquilou…