Épisode 6

 

 

    Barbatruc n’en finit plus de grandir, le bougre. Déjà quasiment treize mois. Et le bestiau évolue, on ne peut pas dire le contraire. Déjà, il a définitivement abandonné son costume de ver de terre. Il marche depuis ses un an. Un mois d’avance sur moi-même, donc, d’après ma mère. De là à dire qu’il est en avance sur moi, on va se calmer tout de suite : c’est pas dit du tout qu’il finisse aussi exceptionnel que moi. Subjectif, moi ? À peine. Vraiment.

    Donc, il marche, avec la grâce d’un pingouin, ou d’un manchot, ou d’un empereur. Au choix, car à vrai dire, j’avoue ignorer la différence entre ces bestioles. Mais il marche comme eux, le Barbatruc, ça c’est sûr. Je devrais peut-être envisager de le vendre à un zoo. Hum, oublions ça… Madame risque de ne pas être d’accord.

    Y’a un seul défaut à sa technique de marche : il regarde droit devant lui, or vu le champ de bataille qu’il crée en semant ses jouets partout, ça fait autant d’obstacles prêts à le faire tomber à tout instant. À moins que ce ne soit justement une volonté délibérée de ses jouets d’essayer de le faire tomber ? Hum… Sont pas sympas, ses jouets. Ceux de Toy Story avaient une meilleure mentalité.

 

    Il grandit, aussi. Fut une lointaine époque où il pouvait tenir debout sous la table, à bricoler les vis sous le plateau. Désormais, ce n’est plus possible : il se cogne à la table en se levant, parfois plusieurs fois d’affilée (on ne sait jamais, peut-être qu’à un moment ça passera, doit-il se demander ; ou alors il a un bug system), mais môssieur ne chouine ni ne pleure : un homme, un vrai, avec une grosse paire de… euh… cuisses… si, si… avec triples bourrelets dessus.

    Le cochon de lait grossit, aussi. Il sera fin prêt pour le réveillon de Noël. On n’a pas encore choisi la sauce avec laquelle on va le mang… euh non, c’est pas ça que je voulais dire. Raccrochez ce téléphone dont vous venez de composer le numéro des services sociaux, merci. Il grossit, disais-je, et il faut bien avouer que son bide va bientôt concurrencer celui de son père, grand buveur de bières devant l’éternel. Une seule explication logique s’impose : il se torche la gueule en douce, le gniard. C’est aussi fourbe que sournois, un bébé, méfiez-vous d’eux.

 

    Pourtant, il fait des efforts pour se débarrasser de son bidon. Genre y’a des jours, il faut changer quatre ou cinq fois sa couche pleine de caca. Ce qui lui vaut un nouveau super surnom, qui fait super-héros : Mitraillette Caca. Ça pète, hein ?

    Pour la bouffe, c’te feignasse fils de feignasse n’aime pas encore les morceaux, il faut mâcher or mâcher, c’est fatigant. Une seule exception : le pain, un régal à déchirer avec les dents, et un régal à patouiller comme à semer partout. Calme-toi, petit poucet…

    Son régime alimentaire varie, avec des vrais repas. Enfin, vrais… faut le dire vite. Un pot de trucs avec des légumes et autres plus un yaourt, ça fait son repas. Mais Mitraillette Caca n’aime pas forcément tous ses pots et dans ces cas-là, il en mange un peu avant de refuser d’ouvrir la bouche, de se frotter les yeux et de chouinasser. Mais comme il adore ses yaourts, madame a trouvé la parade, une ruse digne des Sioux : une cuillerée de yaourt, une cuillerée de son plat, le tout en alternance : là, il mange tout, à croire que ses trois neurones n’ont pas encore deviné notre technique redoutable. Profitons-en : m’est avis que ça ne va pas durer.

    Et pour répondre à l’interrogation d’une fidèle lectrice concernant le nombre de ses dents, il en a… euh… plein. Environ dix, genre cinq en haut et cinq en bas. Perso, j’en ai vu quelques-unes mais n’ai pas poussé le vice à les compter : on s’en fout, non ?

 

    On pourrait penser qu’il finira ingénieur à la NASA, quand on le voit tripatouiller les boutons de l’ordinateur, de la machine à laver ou du four, ou détruire méthodiquement un livre avec circuits électroniques faisant de la musique. Perso, je ne me fais pas d’illusion à ce sujet. S’il aime tant jouer avec des trucs qui font de la lumière et du bruit, il finira tout simplement gamer, faut pas se leurrer.

    À moins qu’il ne s’entraîne déjà pour une carrière de démonstrateur de volets roulants : c’est trop rigolo de faire comme les grands et de tourner la manivelle, car même sans plier les deux petits bouts du bout (logique), le volet descend quand même. Il est bien parti pour devenir un jour champion du monde de fermeture de volet roulant catégorie junior ++. Le record est en combien de secondes ?

 

    Comme déjà dit, dormir c’est pour les faibles, et Mitraillette Caca n’est pas foutu d’avoir un rythme régulier de siestes : il a bien ses heures pour les faire, mais il n’est pas rare qu’il en zappe. Pour embêter ses parents, aucun doute là-dessus. L’avantage c’est qu’il se retrouve obligé de se rattraper la nuit de temps en temps, avec des nuits de 20h à 9h voire 11h, actuel record mondial du monde de bébé. Même si évidemment, durant ce laps de temps, il lui faut quand même un bib pour survivre, à une heure aléatoire sinon c’est pas marrant, genre quelque part entre 3h et 8h.

    En journée, comment déterminer qu’un Mitraillette Caca est fatigué et doit aller faire une sieste ? Les études scientifiques menées sur le sujet sont formelles : c’est quand il marche, marche, marche, le plus vite possible, avec tétine à la bouche et doudou qui pue dans les bras. Vous avez un doute à ce niveau-là ? Attendez qu’il tombe, et vous aurez la preuve finale de sa fatigue. À ce moment, vous êtes sûr qu’il faut lui changer les piles, euh non, le coucher, pardon. Moi, monstrueux ? Pas du tout, d’autant que les couches, ça amortit les chocs, pas de souci.

 

    Pour finir, on va dire que l’exploration du monde par Mitraillette Caca se passe très très bien. Il faut dire que son monde, c’est le village des Bisounours, un village où il n’existe aucun danger et où tout peut être touché et mis en bouche. Ce qui donne des trucs du genre : « Cool, mon petit pot pas fini et jeté dans la poubelle, j’ai pu le récupérer et je peux faire de la peinture sur soi avec », ou « Génial, j’ai grandi, je peux presque atteindre les verres et les assiettes sur l’étagère », ou encore « Mais si, laissez-moi, je suis sûr qu’on peut descendre du canapé ou de l’escalier la tête la première ».

 

    Je devrais peut-être acheter une laisse en animalerie. Comment ça, c’est pas éthique ? Tu me remercieras plus tard, Mitraillette Caca… C’est pour ton bien !