Chapitre IV : Transformations

Le Piminomo s’était posé sur une pierre d’environ un mètre et de forme ovoïde. Il attendit que Seronn le rejoigne maladroitement. Celui-ci s’arrêta devant le roc et demanda :
– Et maintenant ?
– Maintenant, tu vas enlever cette pierre de là.
– Cette… ? Tu te moques de moi, poule ?
– Je ne suis pas une poule, imbécile d’humain chez qui la consanguinité semble avoir fait des ravages ! Je suis un Piminomo !
– Consanquoi ? Pinimo… ?
– Je suppose que ce n’est pas grave, rétorqua le volatile, fataliste. Et non, reprit-il d’un ton convaincu, je ne me moque pas de toi. Soulève cette maudite pierre, tu en as le pouvoir !
– Que je…il y a un rapport avec ta magie tellitruc, c’est ça ?
– C’est exactement cela. Vas-y, soulève, le temps presse !
Totalement dubitatif, et conscient de l’extrême faiblesse générale de son corps, Seronn se pencha sur la pierre, posa ses mains tremblantes de froid de part et d’autre, et fit mine de se relever. Il fut si ébahi de voir que la pierre ne semblait rien peser qu’il la relâcha aussitôt, avant de reculer de deux pas. L’air méfiant, il revint, reposa ses mains et se releva. Incroyable ! Le gros bloc de roche était aussi léger qu’une plume.
– Pose-là un peu plus loin, fit le Piminomo.
Seronn s’exécuta et regarda ses mains. Il bredouilla :
– Mais…mais…j’ai une force extraordinaire, c’est ça ? Je suis devenu l’homme le plus fort de Galéir ?
– Non, ça n’a rien à voir, s’irrita le Piminomo. C’est la roche qui est magique. En restant exposé plus d’un mois à son influence, tu as acquis certains dons, comme l’empathie avec tous les êtres vivants, que tu peux désormais comprendre. C’est grâce à cela que nous pouvons communiquer. En outre, tu as la même force physique qu’avant, mais désormais, grâce à la connexion qui s’est établie entre ce type de roche et toi, tu peux l’utiliser à loisir…et notamment la soulever sans effort.
– C’est extraordinaire ! Mais…qu’est-ce que tu entends par l’utiliser à loisir ? Pour quoi faire ?
– La réponse est là, répondit le Piminomo en montrant l’endroit que Seronn avait dégagé en enlevant la roche.
Le Lactengais se pencha mais ne vit rien de particulier. Quelques cailloux et de la terre gelée.
– Dégage une pierre du sol, assez petite pour tenir dans ta main. À partir de là, tu assisteras à un véritable miracle.
Alléché par la perspective et par les changements incroyables dans sa vie depuis quelques minutes, Seronn creusa avec enthousiasme et ne fut pas long à se retrouver avec une pierre dans la main.
– Bien, mon garçon, bien. Maintenant, tend la pierre vers moi, jusqu’à toucher l‘extrémité de mon aile (qu’il déploya vers l’humain), et une vie nouvelle va commencer pour toi.
Comme en état second, Seronn s’exécuta. Il crut entendre un bourdonnement dans sa tête quand le Piminomo et lui se retrouvèrent en quelque sorte connectés par l’intermédiaire de la pierre. Il sembla à l’humain qu’il recevait une gifle intérieure, puis sentit quelque chose le pousser hors de son corps. La pierre dans sa main, le Piminomo et lui-même ne furent plus qu’une seule entité. Il perçut la partie « Piminomo » investir la partie « pierre ». Un coin de son esprit enregistra le fait que le volatile avait désormais un regard voilé, comme vide.
Puis son être fut violemment poussé, comme si une présence cherchait à s’imposer en lui et à le chasser de son corps. De ce fait, l’esprit du Piminomo enveloppa l’âme de Seronn dans des mains virtuelles, avant de la repousser dans la pierre. Ceci fait, l’ex-Piminomo laissa tomber la pierre à terre et dit :
– Imbécile d’humain ! Tu l’as eu, ton miracle !

Il tendit une main vers un bouquet d’arbres de la clairière, et fit appel à ses pouvoirs de Maître du Vent Piminomo. Un tourbillon de neige prit naissance du néant devant ses yeux. Il sourit.
– Bien, malgré cette nouvelle apparence, ma magie est intacte. Et grâce à la pierre tendhil, me voilà plus fort que jamais. Mes ambitions vont enfin se réaliser !
Il se jeta sur son ancien corps et lui tordit le cou.
– Miam, ça me changera des vers de terre, conclut-il avant de quitter la clairière, son gibier à la main, et sans un regard en arrière pour une pierre anonyme contenant l’âme d’un être humain.