Épilogue

Jarl’Ol In-Der était assez fier de lui. Trois semaines auparavant, il avait accueilli en grande pompe Ver’Liu So-Ren et lui avait offert le trône sur un plateau. Il était considéré comme un héros par ses compatriotes et avait tout fait pour minimiser sa participation au gouvernement précédent. Il avait poussé le bouchon jusqu’à faire croire que secrètement, il travaillait en fait au bien-être des Skelors et s’opposait en douce à toutes les décisions iniques prises par l’occupant zabrak.
Il y avait même des moments où il arrivait presque à se convaincre que ses mensonges étaient vérité. Par contre, il trouvait le nouveau souverain de son peuple assez ingrat : le nombre de fois où il avait été reçu en audience depuis le retour du roi se comptait sur les doigts d’une main. Mais cela ne durerait pas : il comptait bien sur sa nouvelle popularité pour s’imposer durablement à un poste de prestige. Peut-être même deviendrait-il le représentant de Skelor I au Sénat de la République ? Car depuis sa prise de pouvoir, Ver’Liu avait décidé que Skelor I rejoindrait la République, malgré l’hostilité à peine masquée du Chancelier Saratama Canawasi.

In-Der se sentait injustement mis à l’écart, mais il ne doutait pas une seconde de pouvoir rebondir suite à cette période creuse. Quand la sonnerie de la porte de ses appartements privés au palais retentit de bon matin, il fut soulagé. Sûrement des nouvelles du souverain, qu’il inondait de messages afin de ne pas être oublié.
Il fut conforté dans ce sentiment en trouvant Go’Kar et deux de ses gardes à la porte.
– Pouvons-nous entrer, monsieur le ministre ? demanda le chef de la sécurité du palais. J’ai des nouvelles à vous communiquer.
– Mais bien sûr, je vous en prie, répondit In-Der, affable. Je vous écoute.
Go’Kar porta la main à son communicateur et dit :
– Corridors ouest et nord, au rapport.
Personne, répondit une voix.
Le corridor est dégagé, monsieur, fit une deuxième voix.
Sur un signe de Go’Kar, ses séides s’emparèrent de l’ancien vice-premier ministre.
– Mais que faites-vous ? s’inquiéta In-Der, incrédule.
– Monsieur le ministre, vous êtes un drogué, dit Go’Kar.
– Vous perdez la tête, ma parole !
– Pas le moins du monde, répondit le chef de la sécurité en portant à la vue d’In-Der la seringue hypodermique qu’il avait caché derrière son dos jusque-là. Ceci est une dose très concentrée de bâton de la mort, autant dire fatale. Je vais vous l’injecter, vous allez mourir, et l’enquête qui s’ensuivra démontrera à tous que vous n’en étiez pas à votre coup d’essai en la matière. Tous les témoins qui confirmeront votre addiction sont déjà prêts.
– Mais que… ? C’est un complot !
– En effet, monsieur le ministre. Notre roi connaît la vérité qui se cache derrière votre masque de héros. Pendant toutes les années de domination zabrak, vous n’avez eu de cesse de survivre, vous n’avez jamais aidé aucun autochtone. Au contraire, vous n’avez jamais rechigné à envoyer nos compatriotes à la mort.
– Vous vous trompez, je…
– Silence, vermine ! J’ai moi-même mené l’enquête sur vos agissements, je sais qui vous êtes réellement. Laissez-moi vous dire comment les choses vont se passer : suite à votre shoot, vous allez perdre la tête et tomber dans le grand escalier qui mène au hall. Les 732 marches que vous allez dévaler tête la première devraient avoir raison de votre misérable existence. Comme par enchantement, un dossier tout récemment fourni aux médias de la planète va être révélé au grand public, rappelant votre action contre les Skelors en tant que vice-premier ministre. Vous allez perdre la vie et le crédit que vous avez volé ces dernières semaines.
– Vous ne pouvez pas faire ça ! Je veux parler au roi !
Go’Kar sourit.
– Il a lui-même mis sur pied ce… plan de communication.
– C’est impossible, il est… il est un gentil garçon, au fond. Il ne pense qu’au bien de son peuple, jamais il ne cautionnerait un tel acte !
– Ver’Liu So-Ren est le roi de Skelor I, l’incarnation de Sweer, le Grand Reptilien. Et aujourd’hui, il règle ses comptes, conclut Go’Kar avec une grimace de satisfaction.
In-Der tenta vainement d’échapper à la poigne de fer des deux gardes. Quand il voulut crier, Go’Kar le bâillonna d’une main, tout en lui injectant directement dans la carotide le contenu de la seringue. Puis il reprit son communicateur.
– Corridors ouest et nord, au rapport.
Tout est clair, monsieur.
Rien à signaler, commandant.
Sur un signe de Go’Kar, les deux gardes emportèrent de corps d’In-Der, affaissé par la drogue. Tous quatre gagnèrent rapidement le haut du grand escalier.
– Jetez-moi cette vermine dans l’escalier.
Tel fut le bref éloge funèbre de Jarl’Ol In-Der.


Tol Guela n’osait pas bouger. Il était recroquevillé en position fœtale, à même le sol de son bureau. Depuis cinq minutes ? Le double ? Impossible à dire. Depuis que les mercenaires, furieux de n’avoir pas été payés, avaient débarqué dans son bureau pour le passer à tabac, il s’était protégé du mieux qu’il avait pu, en espérant survivre à la correction.
Quand la pluie de coups avait enfin cessé, il s’était attaché à ne pas crier, dans un effort dérisoire de ne plus attirer l’attention sur lui. Les gémissements qu’il n’avait pas été capable de contenir n’avait heureusement attiré personne.
Au bout d’une interminable attente, il n’y tint plus et jeta un œil autour de lui. Il était seul, au milieu de son bureau dévasté par ses bourreaux. Nul doute à ses yeux que les mercenaires avaient mis à sac tout le complexe gouvernemental d’Iridonia avant de partir.

Cette fois, c’était vraiment la fin. L’Hégémonie n’était même plus à genoux, elle n’existait plus. Ruinée, liquidée. Il eut une pensée amère pour le peuple skelorien, qui venait tout juste de quitter sa condition de misérable peuple en exil pour intégrer la République. Tous les dons qu’avait reçus Ver’Liu So-Ren avait permis au jeune souverain de lancer tout un programme d’investissements sur sa planète. Cet apport initial semblait à présent fructifier. Tout le contraire de l’Hégémonie des mondes zabraks, qui était en train de s’effondrer sur elle-même. Les Zabraks étaient bien partis pour remplacer les Skelors en tant que sous-peuple misérable.

Le corps de Tol Guela n’était plus qu’une vaste plaie. Il tenta vainement de se relever et s’aperçut que sa jambe gauche était tordue dans un angle anormal. Rien que de la regarder lui valut une nouvelle vague de souffrances. Comment était-il possible d’avoir aussi mal sans en mourir ?
Un mouvement fugace attira son regard. Ven’Mar Ar-Din, ancien président de la république de Skelor I, se tenait dans l’encadrement de la porte du bureau de Tol Guela, l’air paniqué.
Tol Guela ne dit rien. Parler était au-dessus de ses forces.
Ar-Din fut poussé dans le dos et s’affala à son tour sur le sol. Un mercenaire entra derrière lui. Enfermé lui aussi dans un mutisme de mauvais aloi, il sortit d’une de ses poches un holoprojecteur miniature et l’activa. La silhouette minuscule de Ver’Liu So-Ren apparut, et l’hologramme du roi de Skelor I prit la parole :
– Ven’Mar Ar-Din, pour vous être enrichi sur le dos des Skelors pendant des années et avoir contribué à laisser notre peuple dans la pauvreté la plus extrême, je vous condamne à mort. Tol Guela, pour avoir osé penser prendre la suite d’Ovelar Nantelek, vous êtes à mes yeux l’ennemi public numéro un. Vous aussi êtes condamné à mort. Bourreau, fais ton office.
Le mercenaire sortit un blaster de taille respectable du holster passé à sa ceinture et, ignorant les supplications d’Ar-Din, lui colla un rayon laser dans le front. Tol Guela resta silencieux. Il ne supplierait pas, ce n’était tout simplement pas dans son caractère. Il se sentit même serein. Il avait mené sa vie comme il l’entendait, s’appuyant sur ses valeurs. Il ne regrettait rien.
Sa dernière vision fut un flash sortant du blaster désormais dirigé sur lui.

– Mission accompli, chef, annonça le mercenaire à l’hologramme.
– J’ai vu ça, Gerfried. Je donne l’ordre de faire virer la somme convenue sur le compte que vous avez choisi.
– C’est un plaisir de faire affaire avec vous, votre altesse, fit le mercenaire avant de couper la communication.


Ver’Liu So-Ren éteignit la console de communication et se tourna vers Gok-Ar et Amo’Kar.
– Mes ennemis sont maintenant morts, annonça froidement Ver’Liu.
Ses deux vis-à-vis ne répondirent pas. Gok’Ar était le chef de la sécurité de Ver’Liu, il vénérait son roi et suivait aveuglément ses ordres. Tel était à ses yeux son devoir. Amo’Kar, le plus proche conseiller de Ver’Liu, avait lui plus de bouteille et n’avait pas peur d’aborder les sujets qui fâchaient :
– Sire, votre vengeance est accomplie et je ne remets pas en doute la justice qui se cache derrière. Mais qu’en est-il de ma fille Sionarel ? Vos espions ont-ils pu retrouver sa trace ?
– Non, répondit Ver’Liu en repoussant les émotions qui jaillirent en lui à l’évocation du sort de sa bien-aimée. Nul ne sait ce qui est passé par la tête de ce maudit Marton Karr quand il est venu l’enlever. Impossible de trouver la moindre piste menant à eux.
– Qu’allez-vous faire, sire ? insista Amo’Kar.
– Les recherches continuent, et elles continueront tant que nous n’aurons pas de réponse.
Amo’Kar acquiesça du chef. Comme Ver’Liu avait changé avec les derniers événements ! Oublié le jeune adulte idéaliste qui venait juste de quitter l’adolescence. Le conseiller faisait désormais face à un souverain implacable, ce qui ne manquait pas de l’inquiéter. Ver’Liu semblait décider à ne reculer devant rien dans certains domaines.


Tel’Ay Mi-Nag était content de lui. Il avait pris possession des ruines de Meros V, celles-là même qui avaient abrité la Confrérie de Maal Taniet pendant des décennies. À charge pour lui de rebâtir la Confrérie, ce qui était en bonne voie. La confrérie avait compté des dizaines de membres au firmament de sa puissance. Aujourd’hui, ne restait plus Tel’Ay, Marton Karr… et Sionarel.
Peu après l’explosion de la bombe qui avait visé Ver’Liu sur Velinia III, Tel’Ay s’était retrouvé face à la petite amie de son roi, inconsciente. Il s’était déjà rendu compte auparavant qu’elle était sensible à la Force, et s’était maintes fois posé la question de savoir si elle pourrait lui être utile en tant que tel. En la voyant à sa merci, il avait hésité avant de prendre une mesure draconienne : la placer en stase, que tout le monde assimilerait à un coma, en attendant de se l’approprier.
Avant de partir affronter Dark Omberius, il avait donné pour instruction à Marton Karr d’enlever Sionarel, mission dont s’était parfaitement acquitté son apprenti. Tel’Ay ne doutait pas de réussir à manipuler suffisamment Sionarel pour qu’elle finisse à terme par adhérer aux croyances de la confrérie. Il envisageait même de lui faire un enfant : vu que tous deux étaient Skelors et possédaient une affinité avec la Force, les lois de l’hérédité donnaient de bonnes chances à un éventuel enfant issu d’une telle union d’être pourvu de la Force.
Le quatrième membre de la nouvelle confrérie était Anaria, la seule qui ne soit pas sensible à la Force. Mais outre les liens certains qui unissaient la Wookiee à Tel’Ay, à force d’aventures en commun, le Skelor l’appréciait pour le point de vue qu’elle apportait, aux antipodes d’utilisateurs de la Force concentrés sur leur tâche. Ne restait qu’une chose à savoir. Quel était donc le rôle de la Confrérie de Maal Taniet ?

Tel’Ay s’était rendu compte au cours de ses récentes pérégrinations qu’il ne savait rien des buts et objectifs de la confrérie à laquelle il appartenait depuis sa plus tendre enfance. Maintenant qu’il avait accompli la mission que lui avait confié son défunt maître, à savoir éradiquer les Sith concurrents issus de la mouvance initiée par Dark Bane, il comptait bien en avoir le cœur net.

Il s’isola de ses compagnons et demanda à haute voix : – Maître ?
La silhouette fantomatique de Maal Gami apparut.
– Je suis satisfait de tes actions, Tel’Ay. Tu as détruit notre ennemi Sith et tu as posé les fondements de la résurrection de notre Ordre.
– Merci, mon maître. Puis-je enfin vous poser une question qui me taraude depuis quelque temps ?
– Fais donc, apprenti.
– Quelle est la finalité de la Confrérie de Maal Taniet ? Nous nous présentons comme étant des Sith, mais nous conservons notre libre arbitre. Nous ne nous laissons jamais submerger par le Côté Obscur, nous le maîtrisons et en faisons notre outil, malléable entre nos mains, contrairement aux anciens Sith, qui se sont entre-déchirés jusqu’à leur destruction, à l’exception de quelques-uns qui ont su évoluer. Les Jedi, quant à eux, sont des intégristes de la Lumière. Quelle est notre place là-dedans ?
L’apparition spectrale laissa percer un mince sourire.
– Je sais que le Jedi Yoda t’a parlé d’Even Peltuis, un ancien Jedi censé avoir créé la Confrérie. Tout cela est vrai. Notre Ordre est issu de la mouvance des Clairs-Obscurs, ces utilisateurs de la Force qui ne sont ni Sith ni Jedi.
– Mais concrètement, qu’est-ce que cela veut dire, maître ?
– Nous ne sommes ni Sith ni Jedi. Even Peltuis, quand il a créé notre Confrérie sous le nom de Maal Taniet, a voulu en faire un centre du savoir lié à la Force, indépendamment des structures existantes.
– Alors que sommes-nous, maître ?
– Nous sommes les gardiens du savoir ! Notre mission, telle que définie par Maal Taniet, est de collecter le plus possible de pouvoirs liés à la Force, qu’ils soient de mouvance Sith ou de mouvance Jedi. Nous sommes les gardiens de l’équilibre entre le Côté Lumineux et le Côté Obscur.
– Je ne comprends pas, maître. Sommes-nous des Sith ou des Jedi ?
– Ni l’un ni l’autre. Nous restons neutres. Les pouvoirs que nous nous approprions sont soigneusement conservés dans nos archives. Les conflits entre les diverses écoles de la Force sont si violents qu’ils nécessitent un intermédiaire, afin que leurs enseignements respectifs ne se perdent pas. Nous sommes les serviteurs de la Force, pas l’inverse !
Tel’Ay digéra l’information, tranquillement. Voilà qui semblait si logique après coup ! Nul complot pour faire passer la galaxie sous une quelconque influence, bonne ou mauvaise. Les Tanietiens n’existaient que pour que les savoirs des différentes mouvances ne se perdent pas.
Voilà qui ouvrait des perspectives plus qu’intéressantes à ses yeux…