Chapitre III

Tel’Ay ne resta pas inactif en attendant que la Wookiee retrouve sa mobilité. Il explora consciencieusement les poches des Weequays et du Ho’Din, et fit un tas de toutes leurs possessions : datacarte, quatre blasters, deux fusils-blasters, deux dagues, quelques crédits et la mallette du docteur Ho’Din.
Il trouva des barres énergétiques dans cette dernière et en avala deux sur le champ. Elles ne feraient que masquer la fatigue qui l’écrasait, mais seraient indispensables tant qu’il n’aurait pas recouvré quelques forces. Elle contenait également des pansements de bacta et de l’antiseptique en quantités non négligeables. Tout cela servirait, mais Tel’Ay n’y toucha pas : il verrait avec la Wookiee pour se partager les médicaments, en privilégiant les lésions et blessures les plus graves.
Il se débarrassa également de ses guenilles informes au profit de l’une des combinaisons des Weequays. Elle était en cuir mat et de couleur marron, et commençait à être singulièrement usée aux articulations. Mais quand il l’enfila, il eut l’impression de revivre, malgré l’odeur entêtante de sueur du précédent propriétaire.

Il se pencha ensuite sur son problème avec la Force. Très étrange, en vérité. Il la percevait et vit qu’il pouvait l’utiliser d’une manière passive. Il étendit ses perceptions autour de lui et put identifier toutes les êtres vivants sur cent mètres à la ronde. Au premier plan prédominait la terreur de la Wookiee, presque tangible, ce qui ne manqua pas de l’interloquer : cette espèce impressionnante était pourtant réputée pour être dotée d’un caractère fort, d’une vitalité à toute épreuve et du plus grand des courages. D’un autre côté, si cette femelle traînait à ce niveau des bas-fonds de Nar Shaddaa, c’est qu’il y avait bien une raison. Quel qu’ait été le traumatisme dont elle avait souffert, il avait visiblement été suffisant pour la transformer en loque, comme lui.
Avisant l’un des blasters, il tenta de le faire léviter jusqu’à sa main. Ses efforts restants vains après cinq tentatives, il renonça, perplexe. Il haussa les épaules, résigné. Si la Force le rejetait, il s’en passerait, voilà tout. Ça ne l’empêcherait pas de quitter cette planète et de comparaître devant son Maître. La tâche ne serait qu’un peu plus ardue, mais Tel’Ay s’en moquait éperdument : il ferait face à ses responsabilités, quoiqu’il arrive.

La Wookiee finit par sortir de sa paralysie. Elle tremblait de tous ses membres, ce que Tel’Ay interpréta d’abord comme une conséquence du choc. Il se rendit compte par la suite que les tremblements ne cessaient pas, et en conclut qu’ils étaient la manifestation physique de la peur dans laquelle elle semblait vivre en permanence.
Tel’Ay s’aperçut également qu’il comprenait les grognements émis par sa compagne, grâce à sa maîtrise désormais passive et erratique de la Force. Il la comprenait d’autant mieux qu’elle ne s’exprimait pas par phrases, mais plus par une suite de mots, comme si elle n’était pas capable de s’exprimer correctement. Il ne savait pas si ce phénomène était le fruit d’une déficience momentanée ou d’un handicap plus profond, et s’en moquait. Il sortirait de là cette Naveromanaria, s’il avait bien compris son nom. Trop peu pratique pour être utilisé, Tel’Ay avait décidé de le transformer en Anaria, ce qui n’avait pas eu l’air de déranger la Wookiee.

Le Skelor répartit entre Anaria et lui les armes et les diverses affaires collectées, et donna le signal de départ. Il refusait de rester une seconde de plus en ces lieux sordides. Ils attendraient d’être dans des niveaux supérieurs pour se soigner : Tel’Ay estima en effet que vue l’insalubrité régnante, traiter une plaie ne servirait sans doute à rien, même à l’aide de bacta. Anaria le suivit docilement, un pâle sourire aux lèvres, même si Tel’Ay n’était pas convaincu qu’elle ait compris les explications qu’il lui avait donné.
Ils marchèrent des heures, lentement : leur condition physique ne valant rien ou prou, ils étaient obligés de faire des pauses fréquemment. De plus, comme ils montaient, ils étaient parfois obligés de s’en remettre à des échelles métalliques sans âge. Les barreaux rouillés étaient parfois branlants, et souvent glissants. Tel’Ay craignit plus d’une fois que le poids d’Anaria fasse céder les barreaux corrodés, mais ils tinrent bon.

Ils débouchèrent enfin à un niveau habité par la lie de la société hutt. Mais à côté de l’endroit d’où ils venaient, le lieu pouvait aisément passer pour un centre rayonnant de civilisation. Leurs armes bien en évidence, et Anaria étant une Wookiee, nul ne vint leur chercher noise. Tel’Ay troqua deux de leurs armes contre quelques crédits supplémentaires, qu’ils investirent dans un repas gargantuesque, acheté à un Humain tenant une petite échoppe ambulante.
Ils négocièrent également d’autres médicaments et se trouvèrent une chambre crasseuse dans un hôtel miteux. Malgré les quelques blattes et cafards qui y régnaient, l’endroit était luxueux à côté des égouts dont ils venaient. Tel’Ay eut le sentiment de vraiment revenir à la vie quand il fut sous la douche sonique. Il la quitta à regret au bout d’une longue heure de bonheur et laissa la place à Anaria. Ils passèrent le reste de la soirée à panser leurs multiples blessures. Tel’Ay en silence, et Anaria monologuant doucement, tel un enfant vivant dans un monde imaginaire. Il remarqua une plaie profonde et infectée à l’arrière du crâne de la Wookiee. Peut-être était-elle responsable de son délabrement mental apparent ?
Tel’Ay s’en préoccuperait le lendemain. Pour l’heure, il était épuisé par leur périple : il se laissa tomber sur le lit le plus proche et sombra dans un néant salvateur, exempt de tout rêve, cauchemar ou autre vision. Le calme ultime. Avant la tempête.


***

Dès que son transporteur sortit de l’hyperespace au large de Nar Shaddaa, Séis lança ses sens dans la Force. Le Gant de Vèntorqis l’aida à faire le tri parmi la multitude de formes de vie qu’il détecta. Il se concentra plus avant et une présence familière s’imposa à son esprit. Il reconnut l’aura de Tel’Ay Mi-Nag. Une fois de plus, son maître avait vu juste.
Séis n’éprouvait pas la moindre inquiétude à l’idée d’affronter son ancien condisciple. Un an plus tôt, il se serait fait battre par lui, sans nul doute. Mais depuis, Séis avait découvert de nouvelles arcanes de la Force. Et le Gant de Vèntorqis lui assurait un avantage déterminant, en tant que focalisateur de Force.
Un sourire carnassier déforma les traits dévaroniens de Séis : il allait écraser le Skelor. Le sentiment d’infériorité qu’il avait longtemps eu à son égard n’était plus qu’un lointain souvenir, et il connaissait tous les pouvoirs possédés par Tel’Ay. Le dernier disciple de Maal Gami ne serait bientôt plus.


***

Ver’Liu obtint facilement un rendez-vous avec le commandant du Carolusia. Il fut étonné et heureux de voir que ce personnage, responsable d’une Station Spatiale Itinérante comptant quelques vingt mille âmes à son bord, trouvait encore le temps de recevoir les doléances des « habitants ».
Il se prépara soigneusement, et se fit faire une tenue sur mesure par un tailleur, copie presque conforme de la tenue militaire des souverains de la planète : Grâce aux quelques holos que sa mère avait pu sauver en fuyant Skelor I, il savait à quoi ressemblait la tenue d’apparat arborée par ses ancêtres rois en tant que généraux en chef des armées. Son uniforme, élaboré en à peine deux jours par un tailleur local, était de couleur noire, mais bien moins ostentatoire que la tenue originelle. Les deux seuls signes distinctifs que Ver’Liu s’était autorisé à conserver étaient une représentation stylisée du Dieu-Serpent, en fils d’argent, au niveau de son biceps gauche, ainsi qu’un petit écusson représentant les Armes de la famille royale, au milieu de sa poitrine.
Il amena également avec lui tous les éléments pouvant prouver son identité : identoplaques familiales, dont la sienne, holos de la famille royale, et quelques symboles de son pouvoir, sceptre, fine couronne d’or et dague de cérémonie. Suivant une inspiration de dernière minute, il avait fait remplir un document par Amo’Kar, Seleniel et Lar’Jon, dans lequel ils attestaient la légitimité de Ver’Liu, en se basant sur la tache de naissance qui couvrait son front.
Arrivé une demi-heure en avance à son rendez-vous, la secrétaire avenante le fit asseoir sur un sofa cossu en attendant que le commandant soit disponible pour le recevoir. Il s’installa et patienta, image de calme et de sérieux. Mais intérieurement, il bouillait : son destin allait se jouer ici.
A l’heure du rendez-vous, l’interphone bipa sur le bureau de la secrétaire : elle eut une courte conversation et désigna à Ver’Liu la porte du bureau du commandant, qui s’ouvrit sur ces entrefaits. Le jeune Skelor se leva, ajusta machinalement sa tenue, dans laquelle il ne se sentait guère à l’aise. Il prit son attaché-case, porteur des éléments qui devraient attester son identité, et entra.

Veckmar Talorin, commandant de la Station Spatiale Itinérante Carolusia, était Calamarien. Ses expressions faciales étaient indéchiffrables pour Ver’Liu. Néanmoins, il crut lire de la fatigue dans les yeux globuleux de l’être. La climatisation du bureau étaient réglée pour distiller une fine brume fraîche, sûrement calquée sur les conditions de vie de la planète aquatique dont était originaire le commandant Veckmar. Ver’Liu fut tout de suite à l’aise : d’après ses informations, Skelor I baignait dans une atmosphère similaire.
Le Calamarien obèse, après les présentations d’usage énoncées d’une voix rocailleuse, croisa ses mains palmées sur sa vaste bedaine, et écouta le plaidoyer de Ver’Liu.

Deux heures plus tard, Veckmar donna son congé à Ver’Liu, après lui avoir assuré que sa demande d’aide serait transmise aux services diplomatiques de la République. Le commandant avait été très sceptique au départ, se demandant s’il n’avait pas tout simplement affaire à un escroc ou un fou. A la fin de l’entretien, il était convaincu de la légitimité de son interlocuteur.
Il avait connecté son terminal informatique sur celui de sa secrétaire, et activé les micros de son bureau, afin que sa secrétaire puisse entendre la conversation. Il avait pris soin de pianoter un bref message à son intention, mais elle avait très bien compris où il voulait en venir : elle devait contrôler en direct toutes les assertions du jeune reptilien, pour déterminer son niveau de crédibilité.
Ce n’était pas la première fois qu’ils procédaient ainsi : Veckmar avait derrière lui un long passé d’enquêteur policier. Il s’était livré à un interrogatoire subtil mais pointu, et n’avait jamais réussi à surprendre Ver’Liu en flagrant délit de mensonge.
En tant que commandant du Carolusia, Veckmar était le dirigeant d’une micro-entité politique indépendante, forte de vingt-mille âmes. La station était néanmoins traditionnellement alliée à la République, avec qui elle collaborait de temps à autre, surtout en tant que lieu d’escale pour des navires républicains. C’est en se basant sur ces liens de longue date qu’il décida de transmettre la demande d’aide de Ver’Liu. Au pire, cela ne changerait rien pour le Carolusia. Au mieux, il y gagnerait un surcroît d’influence.
Lui et sa secrétaire mirent une heure à élaborer le dossier appuyant la requête de Ver’Liu So-Ren, et le transmirent aussitôt en direction de Coruscant, via les systèmes-relais qui parsemaient l’espace.


***

Après sa première longue nuit de repos, Tel’Ay Mi-Nag se réveilla l’esprit alerte, et définit ses priorités : faire soigner Anaria, si c’était possible, puis rallier Meros V pour comparaître devant son maître.
Concernant la Wookiee, il fut vite convaincu qu’elle avait de sérieux problèmes mentaux : plusieurs fois dans la matinée, elle passa sans crier gare de la douceur d’une enfant, sifflotant et babillant, à des crises de désespoir, et à des explosions de colère. Ces dernières auraient pu être dévastatrices mais le Skelor trouva vite la parade pour endiguer ce flot d’extériorisation violente : il lui parlait calmement et s’interposait entre elle et le maigre mobilier de leur chambre, pour éviter qu’elle ne le détruise. Et de ce fait, elle n’insistait pas, comme si elle avait peur de lui faire mal…ou qu’il lui en fasse, peut-être.
Plus ou moins privé de la Force comme il l’était, il devait s’en remettre à des moyens plus traditionnels pour atteindre ses buts : il lui fallait donc de l’argent.
A tout hasard et sans y croire, il alla jusqu’à un terminal bancaire et activa les codes qui lui donnaient autrefois l’accès aux comptes de la Confrérie de Maal Taniet. Ces comptes, disséminés dans la galaxie, servaient aux membres de la Confrérie pendant leurs missions, en cas de besoin. Chose étonnante, son accréditation était toujours valide, et le compte était garni de plusieurs dizaines de milliers de crédits, bien plus qu’il n’en fallait pour ses besoins.
Les poches emplies d’une somme substantielle, et accompagné d’Anaria, qu’il n’osait pas laisser seule pour lui éviter des ennuis, ils remontèrent vers les quartiers huppés, à pied car nul taxi-speeder ne descendait dans les niveaux inférieurs de la cité tentaculaire.
Ils marchaient depuis une heure quand une pointe de douleur assaillit la tête de Tel’Ay…une sorte de sonde inquisitrice, activée via la Force. L’image de Séis flotta dans son esprit : le Dévaronien n’était pas loin, sans nul doute à ses trousses. Fataliste, Tel’Ay continua sa route : il semblait bien que finalement, il n’aurait pas besoin de se rendre sur Meros V, et que Maal Gami avait envoyé Séis sur ses traces. Il fut étonné de ce choix, car le Dévaronien avait toujours été inférieur à Tel’Ay quant à la maîtrise de la Force. Avait-il fait des progrès suffisamment sérieux en un an, au point de pouvoir rivaliser avec lui et le vaincre ?
Tel’Ay devait-il même chercher à lutter, lui qui était presque privé de la Force ? Si Séis était là, ce ne pouvait être que sur les ordres de Maal Gami, or Tel’Ay était décidé à comparaître devant lui pour subir le châtiment de sa folie. Son ancien maître le jugeait-il indigne de se présenter devant lui ?
Il abandonna ces questions : les réponses viendraient bien assez tôt. Après ce court contact mental, la présence de Séis avait disparu, et Tel’Ay n’était pas capable de la percevoir à nouveau : soit Séis se dissimulait dans la Force, soit les pouvoirs de Tel’Ay étaient trop lacunaires et erratiques pour être efficaces. Le Skelor se doutait que ces deux éléments étaient en cause.

Quelques heures plus tard, au détour de la rue déserte d’une ancienne zone industrielle, Tel’Ay et Anaria stoppèrent net. Face à eux se dressait une haute silhouette encapuchonnée. Le Skelor sentit la puissance familière qui en émanait. Séis. Mais ce qui le frappa surtout fut la noirceur de son aura. Ce n’était pas un aura de Tanietien, mais plutôt d’ancien Sith, estima Tel’Ay. A ses côtés, Anaria se mit à irradier de peur à peine contrôlée, et poussa un faible gémissement. Le Dévaronien sortit une main des replis de sa cape, rabattit sa capuche sur ses épaules, et prit la parole.
– Tel’Ay…ça faisait longtemps.
– Tu as changé, Séis. Et de beaucoup. Tu es plus puissant, je le sens.
– En effet, nul doute là-dessus, acquiesça Séis. Bien plus puissant que tu ne le seras jamais…Je suis ici sur ordre de mon maître, et ma mission consiste à te tuer.
– Hum…je m’en doute. Comment se fait-il que Maal Gami ait attendu tout ce temps avant de t’envoyer à mes trousses ?
– Maal Gami ? s’esclaffa Séis. Pauvre abruti, Maal Gami est mort depuis plus d’un an, avec tous ses élèves !
– C’est impossible ! fit Tel’Ay, abasourdi par une telle nouvelle. Qu’est-il arrivé ?
– Nous ne sommes pas les seuls Sith, Tel’Ay, répondit le Dévaronien, un fin sourire aux lèvres. Il y a un autre Ordre Sith, qui vit dans l’ombre de l’ombre. Dark Omberius est le nom de leur maître. Et je me suis rallié à sa cause quand j’ai compris que je perdais mon temps auprès de Maal Gami ! La première mission qu’il m’a confié, après m’avoir enseigné de nouveaux pouvoirs, fut de détruire la Confrérie de Maal Taniet, et je l’ai accomplie avec brio ! Tous sont morts, y compris Maal Gami. Toi et moi sommes les derniers êtres issus de cette école désormais disparue, et dans quelques instants, je serais le dernier !
Ceci dit, il exhiba sa main droite, ceinte du Gant de Vèntorqis, symbole du pouvoir de leur défunte Confrérie. Dans la gauche, un sabrolaser que Tel’Ay ne lui connaissait pas. Quand le Dévaronien l’activa, une lame rouge sang en jaillit dans un grésillement sourd.


***

Spender Lia Rogden, superviseur des communications extra-planétaires au sein des services diplomatiques de la République, s’ennuyait ferme. Sa fonction consistait à valider ou non les messages émanant de personnes autorisées, et à les transmettre à qui de droit. Rôle ingrat mais essentiel : les communications étaient ce qui assuraient le liant au sein de la République. Fonctionnaire important, il avait une trentaine d’êtres sous ses ordres.
Quand Rogden avait intégré le Corps Diplomatique, deux décennies auparavant, il avait rêvé d’une carrière glorieuse, son rêve secret étant de se lancer un jour dans la politique. Il avait vite déchanté, car n’avait pas l’envergure nécessaire pour sortir de son rôle étriqué. Il le savait depuis longtemps, sans oser se l’avouer. Rendu aigri par des années stériles de bons et loyaux services, il avait du revoir ses ambitions à la baisse. Abandonnant une gloire hypothétique qu’il n’atteindrait jamais, il s’était rabattu sur un plan B : s’enrichir sur un plan personnel.
Son rôle lui permettant d’avoir accès à toutes les informations intéressantes qui circulaient à travers l’espace, notamment via le tout récent holonet, il avait trouvé un excellent moyen de mettre du beurre dans les épinards : la revente des copies de certains messages.
Rogden n’étant pas fou et tenant à son train de vie, il ne vendait pas n’importe quelle information à n’importe qui. Ses premiers « clients » avaient été triés sur le volet, et les contenus des messages transférés n’avaient rien de sensibles, sauf sur un plan personnel. Le temps passant, il s’était constitué une véritable clientèle, capable d’exploiter des données importantes sans en dévoiler la source : hors de question de tuer la poule aux œufs d’or.
Parmi ses contacts fiables figurait un conseiller proche d’Ovelar Nantelek, notamment maître du système de Skelor. Depuis des années, il lui transmettait une copie de tous les dossiers concernant Nantelek et la région de l’espace qu’il contrôlait.

Ce jour-là, un de ses subordonnés attira son attention sur un message provenant de la station spatiale itinérante Carolusia. Dès qu’il l’eut lu, son cœur se mit à battre plus fort : le conseiller de Nantelek allait lui payer une fortune pour avoir accès à ce dossier !
Il ordonna à son employé de transmettre le dossier aux services de la Chancellerie de la République et, selon les protocoles en vigueur, en fit déposer une copie pour les archives du Corps Diplomatique. Un peu plus tard, installé à sa propre console, il en fit une nouvelle copie, qu’il envoya sur-le-champ vers le système Skelor. Suivant son habitude, il effaça ensuite soigneusement les traces informatiques de son acte, et retourna vaquer à ses activités normales, comme si de rien n’était.


***

La vue de la lame énergétique du sabrolaser de Séis provoqua une réaction immédiate d’Anaria. Elle poussa un hurlement, mélange de haine et de terreur. Une image très brève, issue de son esprit, s’imposa dans celui de Tel’Ay : par les yeux de la Wookiee, il vit un sabrolaser, de la même couleur que celui de Séis, s’abattre sur elle. La silhouette qui l’avait à la main était indistincte, encapuchonnée, mais Tel’Ay vit quelques tresses blondes en dépasser. Le Skelor n’eut pas le temps de s’appesantir sur ce souvenir vécu par la Wookiee : malgré son défaut dans la Force, il vacilla, affecté par la violence des émotions charriées par sa compagne.
Ce fut pire pour Séis, totalement ouvert à la Force comme il l’était. Le temps de lever un bouclier mental pour se protéger de la déferlante émotionnelle, Anaria fut sur lui et le balaya d’un revers du bras ravageur. Le Dévaronien fut violemment projeté en arrière et absorba le choc comme il put.
Sans plus se préoccuper de lui, Anaria s’empara de Tel’Ay par la taille, le glissa sous son bras et s’enfuit, comme si elle avait tous les diables de l’univers à ses trousses. Tel’Ay, dans la position aussi inconfortable qu’humiliante qui était la sienne, tenta vainement de la raisonner. Mais l’esprit atrophié de la Wookiee était imperméable à toute pensée cohérente, et animé d’une seule compulsion : mettre le plus de distance possible entre leur agresseur et eux.
Tel’Ay, sans la Force à son service, ne pouvait pas rivaliser avec la force physique d’Anaria. Impuissant, il ne pouvait qu’essayer de la calmer, en espérant réussir avant que Séis ne soit sur eux.

A grandes enjambées, Anaria arriva aux abords de la zone industrielle, et se jeta vers une rue plus passante. A force de se contorsionner, Tel’Ay vit que Séis les poursuivait, mais n’aurait pas su estimer s’il gagnait du terrain. La Wookiee déboula sur la voie sans se préoccuper des lanspeeders qui y circulaient, et l’un d’eux les percuta à faible vitesse. Le choc fut suffisant pour les envoyer valdinguer à terre tels des pantins désarticulés. Pendant que Tel’Ay tentait de reprendre son souffle, enfin libéré de la poigne de fer d’Aanaria, celle-ci s’était déjà remise debout et se précipitait vers le conducteur du landspeeder, descendu de son véhicule en tremblant, pour prendre des nouvelles.
Anaria le repoussa violemment, sauta aux commandes du landspeeder et cria à Tel’Ay de la rejoindre. Il le fit en clopinant du mieux qu’il le pouvait, encore ankylosé par sa chute.
La Force daigna l’avertir d’un danger imminent, mais avant qu’il ait le temps de réagir, Séis sauta sur l’arrière du landspeeder et s’apprêta à les faucher d’un coup de sabrolaser. Anaria mit brutalement les gaz à ce moment et le Dévaronien, surpris et déséquilibré, retomba sur la route derrière eux.
– Accélère, il ne va pas en rester là ! cria Tel’Ay.
Il se mit à réfléchir furieusement. Il fallait absolument qu’il trouve une solution pour se débarrasser de son ancien condisciple. Si encore il avait pu se fier à la Force, tout aurait été différent : que Séis ait des nouveaux pouvoirs ou non, Tel’Ay ne doutait pas d’être capable d’en venir à bout. Mais là…son esprit restait désespérément vierge de toute inspiration.


***

Marcus Valorum, assis devant son luxueux bureau, se frotta les tempes, dans un geste vain pour lutter contre sa migraine grandissante. La séance exceptionnelle du Sénat, qu’il venait de présider en tant que Chancelier de la République, avait été pour le moins houleuse. Une bonne partie des sénateurs l’avait pris à partie à cause de l’attentat qui avait tué le sénateur bothan Jeroed’Erfey et trente-quatre autres personnes.
Très remontés, les sénateurs l’avaient quasiment rendu responsable de ce crime, en stigmatisant les lacunes des services de sécurité. Comme s’il y pouvait quelque chose ! Il fallait qu’il inverse la tendance rapidement : ses ennemis politiques se multipliaient ces derniers mois. La République était en pleine période d’expansion, et son influence n’avait jamais été aussi importante. Du coup, certains des sénateurs les moins scrupuleux tentaient d’affaiblir Valorum. Il voyait clair dans leur jeu : à force de le discréditer, ils espéraient provoquer de nouvelles élections et en profiter pour renforcer leurs propres positions et leur influence.
Marcus Valorum était souvent dégoûté par une telle attitude, lui qui était issu d’une vieille famille patricienne. En tant que tel, il prenait très à cœur ses devoirs de Chancelier : il n’était pas le premier de sa lignée à assumer un tel rôle, et l’honneur et la justice avaient toujours été son fil conducteur. Pour lui, le bien commun passait avant tout, et il avait bien du mal à comprendre la mentalité de ces sénateurs qui ne voulaient le pouvoir que pour se sentir importants et s’en servir à des fins personnelles.

La séance avait duré de longues heures et n’avait été pour ses adversaires qu’un prétexte pour le haranguer. Valorum avait finalement réussi à faire passer une motion, non sans mal, car peu de sénateurs avaient envie de l’écouter, trop occupés à déverser leur bile sur lui. Mais la raison avait fini par l’emporter, et la motion chargeant l’Ordre Jedi de mener une enquête sur ses événements avait été acceptée.
Sa console de communication bipa, et il ouvrit un canal quand il vit que la demande émanait du Temple Jedi. Un hologramme bleuâtre et haut d’une trentaine de centimètres apparut. Valorum eut la satisfaction de reconnaître le visage du Nikto Maddeus Oran Lijeril, le Maître le plus important de l’Ordre. La collaboration entre les deux hommes, teintée de respect dès le départ, s’était au fil du temps transformée en amitié, dont le socle commun était la prospérité de la République.
– Salutations, Marcus. La journée a été rude ?
– C’est le moins qu’on puisse dire, mon vieil ami. J’espère que vous avez de bonnes nouvelles à m’apprendre, de nature à calmer le Sénat ?
Lijeril acquiesça de la tête avant de répondre :
– En effet. Le Conseil Jedi vient de délibérer et a désigné un enquêteur pour retrouver le meurtrier du sénateur bothan : le Chevalier Tchoo-Nachril.
– Ah ? fit Valorum, légèrement déçu. Euh…ne serait-il pas possible de nommer un Jedi…hum…comment dire…plus connu ? Cela aurait plus d’impact auprès du Sénat.
– Impossible, Marcus. Nous nous refusons à nommer un enquêteur pour des raisons politiques. Mais soyez rassurés, Tchoo-Nachril a toutes les compétences requises pour mener à bien cette mission.
– Oui, bien sûr. Pardonnez-moi, Maddeus. Je pense trop en tant que politicien, ces derniers temps. Je n’ai jamais entendu parler de ce Chevalier, pourriez-vous m’en dire plus sur lui ?
– Bien sûr : c’est un Whiphid, et assez expérimenté pour prendre un Padawan, ce qu’il fera certainement à l’issue de cette mission. C’est un enquêteur de premier ordre, extrêmement tenace.
– Parfait. Je vous laisse, je vais en aviser le Sénat sur-le-champ, ça devrait alléger l’atmosphère. Quand commence-t-il son enquête ?
– Elle est déjà bien entamée, Marcus, sourit Maddeus. Je vous tiens au courant.
Marcus Valorum acquiesça et coupa la communication.


***

Tel’Ay n’en menait pas large : à la base, il détestait cordialement les machines, landspeeder inclus. Et Anaria, aux commandes, n’arrangeait pas son malaise. Il était assez sidéré de voir que, même avec son esprit dérangé, la Wookiee était une virtuose du pilotage. Elle semblait ne faire qu’un avec le landspeeder, qu’elle lançait sans la moindre hésitation à travers des couloirs de circulation encombrés. Tel’Ay crut plus d’une fois sa dernière heure arrivée, et du vite des rendre à l’évidence : malgré dans son état, Anaria pilotait bien mieux que lui ne le ferait jamais, même avec l’aide de la Force.
Ce défi était en revanche relevé par Séis : il n’avait pas fallu plus de trois minutes au Dévaronien pour surgir derrière eux, aux commandes d’une moto-speeder. Tel’Ay, qui avait commencé à espérer qu’ils pourraient le semer, avait vite déchanté : aussi douée soit-elle, Anaria ne pouvait pas distancer une moto-speeder, surtout pilotée à l’aide de la Force. La confrontation semblait inéluctable.
Anaria fonça vers un couloir aérien et entreprit de passer entre deux camions-speeders qui allaient se croiser. Tel’Ay serra les dents, persuadé qu’ils ne passeraient pas. Au moment où la collision semblait inéluctable, Anaria fit se cabrer brusquement le speeder et passa juste en dessous du camion. Le Skelor aurait pu le toucher en tendant la main vers le haut. Il constata, dépité, que Séis était lui aussi passé, mais par-dessus : il toucha légèrement un véhicule. Pas de quoi le désarçonner ni l’arrêter, mais il perdit un peu de terrain.
La Wookiee jeta un coup d’œil rapide derrière elle, grogna de dépit en voyant que leur poursuivant était toujours là. Elle maltraita les commandes et le speeder tomba comme une pierre, en direction d’une série de gratte-ciel surplombés de dômes pointus. Elle virevolta autour, et Tel’Ay ne put que louer son bon sens : Séis les rattraperait immanquablement en vitesse pure, mais leur véhicule était plus maniable que sa moto-speeder. L’obliger à zigzaguer ne pouvait que le ralentir.
Il dut lui aussi le comprendre, car Tel’Ay le vit allumer puis lancer son sabrolaser dans leur direction.
– Attention ! cria-t-il.
Anaria réagit à la vitesse de l’éclair et jeta le speeder en contrebas. Le sabrolaser, guidé par la Force, suivit en virevoltant et déchira l’arrière de leur véhicule, avant de retourner vers son maître. Des étincelles crépitèrent à l’arrière de leur speeder, et une fumée noirâtre apparut après une pétarade de mauvais augure. Grognant sa frustration, Anaria lutta contre les commandes, mais rien n’y fit : la trajectoire de leur speeder se fit erratique, et ils perdirent de l’altitude.
Séis n’eut dès lors aucun mal à fondre sur eux, tel un chauve-faucon sur sa proie. Il les dépassa et tenta de décapiter Tel’Ay au passage, d’un coup de sabrolaser rageur. Le Skelor se baissa prestement et sentit la lame d’énergie le frôler.
Séis faisait demi-tour pour un nouvel assaut, quand une explosion retentit à l’arrière du speeder d’Anaria et Tel’Ay. Ses répulseurs se coupèrent et il tomba comme une pierre, en manquant de percuter une tour. Totalement impuissant, Tel’Ay regarda le sol se rapprocher d’eux à une vitesse alarmante, quelques dizaines de mètres plus bas. C’est donc ainsi que tout se termine, pensa-t-il, avec un goût amer dans la bouche.
C’est alors qu’il envisagea une mince planche de salut. Il cria pour se faire entendre dans le vent furieux qui lui fouettait le visage.
– Anaria, suis-moi !
Et il se jeta dans le vide. Si Anaria avait pris le temps de réfléchir, elle se serait recroquevillée de terreur et aurait attendu la fin. Mais elle se contenta de sauter à la suite de Tel’Ay, instinctivement. La tête en bas, Tel’Ay tombait parallèlement à la tour. Moins de deux mètres l’en séparait. Il s’assura que sa chute l’amenait là où il le voulait, et se prépara au choc.
Les étages inférieurs de la tour étaient garnis d’auvents de tissu, qui annonçaient autant d’antiques enseignes commerciales. Juste avant que Tel’Ay ne percute la première, il avisa un grand chiffre huttais peint sur la tour, et qui correspondait au chiffre « sept » en basique. Soit les étages qui le séparaient du sol.
Lancé comme un missile, il traversa le premier auvent comme s’il n’existait pas. Le second était bien plus solide : il s’enfonça dedans dans un grincement, avant qu’un bruit de déchirure ne se fasse entendre. Il passa à travers au moment où Anaria allait l’écraser. Il commença à se rassurer : sa chute avait été stoppée net par ce solide auvent, et sa vitesse n’était plus mortelle. Les cinq derniers étaient de la même facture médiocre que le premier. Il les traversa facilement, mais fut encore un peu plus ralenti à chaque fois. Il entendit les cris des passants, tout en bas, qui avaient remarqué l’événement et le commentaient.
Le rude contact avec le sol le laissa sonné et désorienté quelques instants. Anaria s’affala à ses côtés comme un sac à patates vigeriennes, et se mit à gémir de douleur.
– Qu’est-ce qu’on s’amuse, vieux ! ironisa Séis.
Le Devaronien venait d’atterrir souplement devant Tel’Ay, et sa moto-speeder, en perdition, alla s’écraser un peu plus loin. Ce fut le signal de la fuite pour les badauds, surtout quand Séis alluma son sabrolaser.
– Dans une prochaine vie, pense à te reconvertir dans un cirque ! continua Séis, hilare.
Il s’approcha d’un pas déterminé de Tel’Ay qui, le regard absent, ne semblait pas être décidé ou capable de se relever.
Séis abattit son sabrolaser vers la tête de son ancien condisciple.


***

Ovelar Nantelek, alias Dark Omberius, quitta à regret la méditation dans laquelle il se plaisait à ourdir les complots et les machinations qui allaient faire de lui l’être le plus puissant de la galaxie. Sa console de communication bipait, lui indiquant qu’un fichier venait d’arriver à son intention. Ce dossier, transmis par une myriade de relais hyperspatiaux, portait la signature de Spender Lia Rogden, membre des services diplomatiques de Coruscant.
Il le parcourut longuement, et apprit avec surprise l’existence d’un héritier au trône de Skelor I. Ce jeune impudent n’aurait pas pu choisir un pire moment pour réclamer son héritage : Omberius était presque prêt à déclencher les événements qui lui donneraient le pouvoir. Et voilà qu’un jeune imbécile du nom de Ver’Liu So-Ren entendait se dresser sur sa route, sans le savoir !
Le seigneur noir des Sith ne tergiversa pas longtemps, et ouvrit un canal de communication avec le navire de son apprenti, Dark Seid. Il s’irrita de voir que le Devaronien ne répondait pas, et lui laissa un message : dès qu’il en aurait fini avec Tel’Ay Mi-Nag, il devrait se rendre sur la station spatiale itinérante Carolusia et débarrasser la galaxie d’un autre Skelor : Ver’Liu So-Ren.