Chapitre XIII

La console de communications lança un trille dans le silence sépulcral du bureau de Dark Omberius. Celui-ci, voyant que la fréquence utilisée correspondait à celle de son apprenti, bascula l’interrupteur d’un geste négligent.
La silhouette imposante du Jaabimien apparut, un air de jubilation à peine contenu sur le visage.
– Salutations, mon maître, fit-il en s’agenouillant.
– J’ose espérer que vous m’apportez de bonnes nouvelles, Lord Glaro ? demanda froidement le Seigneur Noir des Sith.
– Oui, mon maître. Suite à la mort de Tchoo-Nachril, il y a une semaine, nous avons testé l’Égalitaire sur un autre cobaye pourvu d’un taux de midi-chloriens significatif, pour un résultat identique : sa connexion avec la Force l’a quitté, et il est mort peu après. D’après les Ho’Din, le virus est désormais stable… suffisamment pour être utilisé à plus grande échelle. Monseigneur, nous sommes désormais prêts à éradiquer les Jedi. L’Ordre Sith va à nouveau régner en maître sur la galaxie !
– Bien. Six cents ans de travail dans l’ombre vont enfin payer ! Nous allons pouvoir agir au grand jour. Quittez Moltok avec l’Égalitaire et rejoignez-moi sur Skelor I. Notre flotte est quasiment opérationnelle : le chantier naval de Skelor I a bien travaillé durant toutes ces années, et nous disposons de trois croiseurs, et nos droïdes usinés sur Clereian se révèlent assez compétents pour servir d’équipage. Quant à mes relations privilégiées avec certains groupes de pirates, elles nous permettront de compléter nos effectifs avec dix-huit navires de soutien, d’escorte et de reconnaissance, de type corvettes.
– Toujours pas de solution quant à la présence d’éventuels chasseurs, maître ?
– Non. Nous nous en passerons. De toute manière, la Marine Républicaine est inexistante, ou presque. Nous écraserons aisément son ersatz de flotte, si elle ose se montrer. Elle n’aura rien de plus gros à nous opposer que des corvettes.
– Coruscant tombera sans coup férir, maître ! s’enthousiasma Glaro.
– Nous ferons d’abord un crochet par Velinia III. Nous allons anéantir Ver’Liu So-Ren et Tel’Ay Mi-Nag, et ne laisser que ruines et débris de leur misérable colonie. Ensuite, nous irons mettre la République à genoux ! Entre-temps, nos activistes du Sénat auront semé troubles et confusion. Nous ne pouvons pas échouer, Dark Glaro ! Plus que jamais, la Force est notre servante !
– Qu’elle le soit à jamais, mon maître, sourit Glaro avant de couper la communication.


***

Tol Guela, sénateur représentant l’Hégémonie des Cinq Mondes Zabraks au sein du Sénat Galactique, s’admira dans une psyché et ajusta soigneusement les plis délicats de sa toge en précieux tissu. Il fit signe à son assistante de passer un dernier coup de brosse dans ses longs cheveux, et s’assura que sa manucure était irréprochable.
Parfait ! Tout cela était parfait ! Il incarnait à merveille la dignité d’un grand homme politique, ce qu’il allait devenir d’ici quelques minutes, le temps de quitter son bureau particulier et d’entrer dans la grande salle du Sénat Galactique. Ses discours récents l’avaient mis en vue, ce qui lui plaisait énormément, mais ce n’était rien à côté de la bombe qu’il allait lâcher à la face de la République ! Il se délecta à l’avance de l’expression qu’arborerait Marcus Valorum, inepte chancelier à ses yeux.

Quand le grand moment arriva, un peu plus tard, il était prêt. Valorum le dévorait des yeux quand il annonça :
– Sénateurs, la parole est à Tol Guera, sénateur représentant les mondes de l’Hégémonie Zabrak.
Tol Guera se leva lentement, solennellement. Il laissa ses yeux balayer tranquillement le vaste amphithéâtre, avant de prendre la parole le plus calmement du monde.
– Mes chers amis, l’heure est grave. Bien plus que certains ne le pensent. Je crains que la corruption ne se soit installée au sein des plus hautes instances de la République. Mon cœur ne peut s’empêcher de saigner quand je songe aux meurtres des sénateurs Jeroed’Erfey et Aar Gamonn. Il est extrêmement rare que des sénateurs soient assassinés, comme vous le savez tous, mes chers amis. Mais que devons-nous penser quand deux meurtres ont lieu dans un laps de temps aussi court ? Que devons-nous penser en nous souvenant que nos défunts et estimés collègues étaient des piliers de l’opposition à la politique menée par le chancelier Marcus Valorum et ses soutiens ? Et que devons-nous croire en constatant que ces deux disparitions coïncident avec l’approche des élections à la chancellerie ?
Ce fut à peine si Tol Guela put poser ses deux dernières questions dans l’explosion d’applaudissements et d’indignations qui eut aussitôt lieu. Imperturbable, il joignit les mains devant lui et attendit que le brouhaha décroisse. Il sourit intérieurement : la situation était déjà très tendue… et les choses n’allaient pas s’arranger, loin de là, quand il aurait terminé son discours.
Enfin, Marcus Valorum parvint à ramener un calme relatif. Il assigna Guela à comparaître ultérieurement devant la commission d’éthique du Sénat, ce qui lui valut quelques huées. Celles-ci redoublèrent quand le chancelier menaça de censurer Tol Guera si ses paroles suivantes relevaient également du domaine de la diffamation. Le Zabrak ne dit rien, mais hocha la tête, un masque de contrition sur le visage. Valorum sembla hésiter, puis lui fit signe de reprendre.
– Je crains qu’il n’y ait désormais une fracture profonde au sein de cette assemblée, et je ne pense pas qu’elle soit réparable. Partout où je tourne les yeux, je vois des murs se matérialiser devant moi, je vois des obstacles se dresser pour empêcher certains d’entre nous d’accomplir notre tâche, qui est de défendre les intérêts de nos peuples respectifs.
La République est une grande et belle entité… ou du moins le fut-elle jadis. Mais aujourd’hui, il s’y produit des événements aberrants, des indignités, des illégalités ! La noble association des mondes de la République doit permettre de dégager bonheur et prospérité pour tous, mais je me dois de constater, à mon corps défendant, que certains en profitent plus que d’autres.
Récemment, les mondes zabraks ont été montrés du doigt, voire cloués au pilori, à cause de la soi-disant crise skelorienne, qui n’est qu’un complot, un prétexte pour s’en prendre à mon peuple !
Mais, reprit Guela en haussant le ton pour se faire entendre parmi les exclamations qui recommençaient à fuser, le peuple zabrak refuse de servir de bouc émissaire à l’incompétence des dirigeants de la République ! C’est pourquoi je vous annonce solennellement que l’Hégémonie des Cinq Mondes Zabrak a décidé de dissocier son avenir de celui de la République Galactique !

Sachant que le chaos qu’il avait lui-même provoqué n’était pas prêt de retomber, Tol Guela tourna les talons et quitta sa capsule sénatoriale. Ovelar Nantelek, président de l’Hégémonie, et connu dans un cercle très restreint sous le nom de Dark Omberius, serait ravi de savoir que ses instructions avaient été suivies à la lettre. Ne restait plus aux alliés politiques que Guela avait inlassablement travaillé qu’à se déclarer à leur tour en faveur d’une scission avec la République, et l’institution galactique serait suffisamment paralysée pour que la flotte d’Ovelar Nantelek ait le champ libre pour imposer l’indépendance des Zabraks.


***

Toutes les forces de sécurité de Coruscant furent mises sur le qui-vive peu de temps après, afin de garantir le maintien de l’ordre. Les conséquences de la décision zabrak eurent des répercussions immédiates, au moins politiques : plusieurs mondes affichèrent ouvertement leur volonté de quitter la République à leur tour, pour former une alliance avec l’Hégémonie Zabrak. La crise était partout. La présence de dizaines d’ambassadeurs Jedi fut requise au Sénat pour calmer les esprits, et Valorum, ses alliés et ses conseillers entamèrent un long marathon de consultations auprès des sénateurs.


***

Il ne fallut que quinze jours à Ver’Liu So-Ren pour mettre sur pied une flotte pour attaquer Skelor I. Il était à la tête d’une fortune conséquente, fruit de dons généreux pour la cause skelorienne, mais il n’avait ni les connaissances ni les appuis nécessaires pour monter un tel projet, ce qui n’était pas le cas de bien du monde dans la colonie de Velinia III.
Tel’Ay n’était pas le dernier à connaître des mercenaires aux forces intéressantes et, en prospectant discrètement auprès des colons Rodiens, il repéra puis approcha des anciens pirates. La colonie n’était pas seulement peuplée d’êtres ruinés et désireux de recommencer leur vie ; d’autres n’étaient là que pour se faire oublier suite à des activités illégales qui avaient mal tournées. Se les adjoindre fut un jeu d’enfant pour Tel’Ay, qui se contenta de menacer de les dénoncer.
Un seul, remarié et récent père, eut la mauvaise idée de vouloir résister. Tel’Ay fit enlever le fils de l’ancien pirate et menaça de le faire tuer si le père ne faisait pas jouer ses contacts. Dès que cette histoire eut été propagée dans les milieux louches de Velinia III, il se ne se trouva plus grand monde pour oser tenir tête à Tel’Ay. Le gamin fut enlevé par deux des soldats de sécurité placés sous les ordres de Tel’Ay, et celui-ci les envoya à quelques centaines de kilomètres de là, dans un avant-poste reculé… après leur avoir spécifiés qu’ils répondraient de la vie de l’enfant sur la leur.
En cas de nécessité, Tel’Ay n’hésiterait pas à tuer qui que ce soit pour parvenir à ses fins. Mais il refusait de tuer aveuglément un innocent… du moins pas sans raison sérieuse. Raison que dans ce cas précis, il n’avait pas.

Le Sith se dépensa sans compter au cours de ces quinze jours, au fur et à mesure que des groupuscules armés arrivaient pour leur prêter main-forte, après avoir été grassement payés.
Son plan était simple : faire en sorte que la flotte de Ver’Liu soit la plus puissante possible, afin d’occuper efficacement les défenses de Skelor I. Pendant ce temps, il se glisserait discrètement à terre et partirait à la recherche de Dark Omberius. Et dès qu’il l’aurait trouvé, il vengerait son maître et prouverait la supériorité des héritiers de Maal Taniet sur ceux de Dark Bane.

Tel’Ay se trouvait à bord du Malashli, une corvette appartenant à un mercenaire Rodien et qui leur servait de quartier général, quand il reçut par comlink le dernier rapport général qu’il attendait. Il ne put s’empêcher de sourire, avant de détourner les yeux de la baie panoramique de la passerelle, par laquelle il voyait la flottille disparate manœuvrer, parfois laborieusement, en orbite de Velinia III. Il rejoignit Ver’Liu et le capitaine du bâtiment, un Rodien de petite taille répondant au nom de Diro.
– Votre majesté ?
– Oui, Tel’Ay ?
– Je vous annonce que notre flotte est prête à partir, sire. Nous n’attendons plus que votre signal.
– Bien, Tel’Ay. Quels sont les effectifs, en fin de compte ?
– Nous avons trois corvettes, quinze transports légers, ainsi que quarante-deux chasseurs, regroupés en quatre escadrilles d’une dizaine d’éléments chacun.
– Parfait, jubila Ver’Liu ! Nul n’a vu une pareille flotte depuis des centaines d’années ! Rien ne pourra s’opposer à nous !
– En effet, sire, répondit Tel’Ay sur un ton neutre.
Le Sith ne s’était pas encore fait à l’évolution radicale de Ver’Liu. Le jeune idéaliste qui voulait sauver son peuple s’était mu en un despote implacable, qui ne rêvait que de faire couler le sang. S’il avait eu la Force, il aurait fait un bon Sith. En attendant, Tel’Ay avait hâte de s’esquiver : ce jeune chien fou allait bientôt récolter les conséquences de sa folie vengeresse, et Tel’Ay, les devinant funestes, ne tenait pas à être à ses côtés quand elles s’abattraient sur lui.

Ver’Liu, enfoncé dans un confortable fauteuil installé récemment près de celui du commandant de bord, ne s’était jamais senti aussi oppressé. Une petite voix intérieure ne cessait de tenter de le raisonner depuis quinze jours, mais il l’ignorait consciencieusement. Le temps des gamineries était révolu. Celui de frapper durement, et de récupérer son dû, était venu.
Il ouvrait la bouche pour ordonner le départ, quand l’officier assigné aux senseurs cria :
– Commandant, un vaisseau vient de sortir de l’hyperespace. Et en voilà un autre ! Et encore un !
– Par les enfers pourpres, s’exclama Diro, c’est une véritable flotte ! Il en arrive encore et encore ! Levez les boucliers et préparez-vous à tirer ! Officier comm, ordonnez à nos bâtiments de se regrouper autour de nous.
– Qui sont ces gens ? demanda calmement Tel’Ay au commandant.
– Je ne sais pas, monsieur, répondit Diro, penché sur une console crachant en permanence des données actualisées. Je détecte trois croiseurs et dix-huit corvettes.
– Nos trois corvettes, quinze transports légers et quarante-deux chasseurs feront-ils le poids ?
Le Rodien se tourna vers Tel’Ay mais ne répondit pas. Son teint verdâtre virant clairement au livide, et la peur qui se lisait dans ses yeux suffirent à Tel’Ay pour se faire une idée de la situation…et de savoir qu’il était temps pour lui de quitter les lieux.

Tel’Ay s’engouffra dans les coursives de l’appareil, en direction de sa cabine. Puisqu’en fin de compte cette flotte ne servirait pas son but, il fallait qu’il l’abandonne, et qu’il retourne à la surface de Velinia. Il avait des personnes à y récupérer. Marton et Anaria étaient toujours en convalescence, et recommençaient à peine à marcher. Dans sa cabine, il prit le sabrolaser de Séis, qu’il accrocha à sa ceinture, et l’écrin qui contenait le Gant de Vèntorqis. Il se dirigea ensuite vers les hangars du vaisseau, indifférent aux alarmes tonitruantes qui mugissaient à tout va comme aux impacts de tirs ennemis sur la coque, qui faisaient trembler le Malashli. Son plan initial consistant à débarquer discrètement sur Skelor I, il avait quelques jours plus tôt fait le tour des navettes de transport de fret contenues dans le hangar principal. Après avoir jeté son dévolu sur une navette courtaude LP108, et s’être assuré que même un pilote aussi médiocre que lui s’en sortirait avec les commandes, il avait procédé à quelques essais avec, pour ne pas être pris au dépourvu le moment venu.
Il déverrouilla l’écoutille de la navette et leva le pied pour y entrer, quand une étrange sensation l’arrêta. Quelque chose ne collait pas… ou plus précisément, le dérangeait. Mais quoi ? Il étendit ses perceptions de Sith, et sut qu’il y avait effectivement quelque chose, quelque part, aux lisières de la portée de son pouvoir. Il ne savait quoi, mais sentait que c’était important. Ses yeux tombèrent sur l’écrin qu’il avait à la main, et il se morigéna de ne pas y avoir pensé plus tôt. Le Gant de Vèntorqis pourrait peut-être lui permettre d’exacerber son pouvoir.
Il ouvrit l’écrin et regarda l’artefact. Celui-ci avait beau être le symbole de son Ordre, Tel’Ay ne s’en méfiait pas moins, car un jour, il avait paru doté d’une volonté propre. Et si les Sith de mouvance tanieitenne avaient un leitmotiv, c’était bien celui de toujours garder le contrôle, en toutes circonstances. Ne jamais céder au Côté Obscur de la Force… ni au pouvoir de ses artefacts et autres avatars.
Tel’Ay savait pertinemment que le Gant, qu’il utilisait comme un outil, était en fait source de bien plus de puissance, mais il n’avait pas les compétences nécessaires pour affiner cette certitude.
Il enfila le Gant et se plongea dans la Force. Une vision surgit aussitôt. Un être encapuchonné lui faisait face. Il sut instinctivement que cet être était la cause du malaise qui l’avait assailli un peu plus tôt. Et qu’il s’agissait d’un Sith de l’école de Bane. Maître ou élève, peu importait à Tel’Ay. Il était en guerre contre ces Sith là. Sa résolution prise, il pénétra dans la navette, mit les circuits en marche, et décolla. Non pas en direction de Velinia III, mais du vaisseau-amiral ennemi, où il savait pouvoir trouver son adversaire.

Comme il se savait mauvais pilote, il garda le Gant de Vèntorqis. Juste au cas où il se manifesterait d’une manière ou d’une autre, en vue de l’aider. Il franchit le champ de rétention d’atmosphère du hangar, couplé aux boucliers du vaisseau.
Une explosion de lumière l’aveugla aussitôt, et il se demanda brièvement s’il venait de se faire abattre. Comme sa tête tournait, il en déduisit qu’il était encore en vie, et se risqua à ouvrir un œil. L’espace au-delà du cockpit était devenu fou, et virevoltait dans tous les sens. Les alarmes de contrôle de l’assiette de la navette hurlèrent leurs avertissements dans les oreilles de Tel’Ay, qui grogna et s’arc-bouta sur les commandes. Petit à petit, il parvint à stabiliser l’appareil, et put enfin s’occuper de son environnement.

La situation n’était guère brillante. L’un des croiseurs ennemis n’était plus qu’un amas informe de duracier, et dérivait lentement en se consumant dans les couches de la haute atmosphère vers Velinia III. Si le tiers des vaisseaux les plus importants de l’adversaire avait été détruit, les défenseurs Skelors payaient le prix fort en échange : seule la corvette de Ver’Liu, de laquelle Tel’Ay arrivait, était encore intacte, ainsi qu’une dizaine de transporteurs.
Ce n’était pas une bataille. Mais un massacre.

Tel’Ay se sentit plus sûr de lui aux commandes, et mit le cap sur le croiseur abritant son ennemi Sith. Quand une pluie de tirs de laser s’abattit autour de lui, et que l’un d’eux déchiqueta son aile bâbord, il se demanda un peu tard s’il n’avait pas été présomptueux dans sa manœuvre. Avisant une corvette adverse, il incurva sa trajectoire pour aller se cacher derrière. Tel’Ay estima que cet appareil allait encore se rapprocher du croiseur, ce qui lui permettrait de rester en sécurité pendant son approche.
Quand les turbolasers de la corvette l’abreuvèrent d’un tir nourri, il se maudit. Tout à son idée de se cacher, Tel’Ay avait tout simplement oublié que cet appareil aussi était un ennemi, qui ferait tout pour l’abattre.
Il reprit sa trajectoire initiale, non sans effectuer quelques manœuvres d’esquive, dans une tentative maladroite pour être une cible moins facile à détruire. La Force lui lança un avertissement juste avant que les alarmes de collision ne se mettent à hurler, et il fit partir brusquement sa navette en vrille. Un morceau de coque en fusion déchira le ciel, à l’endroit même où il se tenait un instant plus tôt.
Tel’Ay parvint à reprendre la contrôle, à son grand étonnement. Se pouvait-il qu’il commençât enfin à améliorer ses compétences de pilote ? Un tir qu’il n’avait pas anticipé et qui racla tout le côté tribord de la navette, emportant des plaques de duracier au passage, lui apprit que non.
Il trouva tout de même un angle d’approche vers le croiseur, où la zone de feu paraissait moins importante qu’ailleurs. C’est à ce moment qu’une nouvelle question vint le tarauder : comment allait-il franchir les boucliers du croiseur, s’il parvenait à s’en rapprocher assez ? Et par où allait-il aborder le vaisseau capital ?

Il manqua d’entrer en collision avec un chasseur allié, avant que celui-ci ne soit pas touché par un tir provenant d’une corvette, jusque-là cachée derrière une épave qui brûlait et vomissait des corps par les brèches multiples qui zébraient sa coque.
Je hais le pilotage, se dit Tel’Ay en serrant les dents. Quatre tirs simultanés s’abattirent sur le croiseur, dont les boucliers tinrent bon. Pourtant, le Skelor sut instinctivement qu’ils avaient été affaiblis l’espace d’un instant. Suffisamment pour qu’en cas de récidive, lui puisse passer à travers ?
Il se dirigea d’instinct vers un point précis, tout près des boucliers du bâtiment, tout en slalomant pour éviter les tirs rageurs destinés à se débarrasser de lui. Il eut l’impression qu’il allait écraser son manche à balai, tellement sa main se crispait dessus. Mais l’événement qu’il attendait se produisit : pas moins de cinq tirs, autant de coups de boutoir, tentèrent de percer les boucliers du croiseur et, s’ils échouèrent, Tel’Ay sut qu’un coup de plus les aurait mis hors service. Il accéléra au maximum, en pestant contre le fait qu’il ignorait comment redistribuer encore plus de puissance vers ses réacteurs et, à l’issue d’un choc sonore qui le laissa sourd quelques instants, il franchit les boucliers.
Son tableau de bord devint fou : des dizaines de diodes y clignotèrent frénétiquement. Des étincelles jaillirent de certains équipements, et de la fumée fit son apparition dans le cockpit. Pourtant, ces vapeurs se dissipèrent vite… trop vite au goût de Tel’Ay. Elles furent aspirées vers le bord du cockpit, accompagnées d’un sifflement de mauvais augure.
Une fuite. J’aurais peut-être dû mettre un scaphandre ? D’un autre côté, je suis à peu près certain que si j’en avais mis un, il n’y aurait pas eu de fuite.
Il se concentra à nouveau. Ce n’était pas le moment de divaguer. Il s’acharna sur son manche à balai pour faire prendre à la navette la direction du hangar le plus proche, en contrebas sur sa droite. Les commandes avaient énormément de mal à répondre, mais au moins, on ne lui tirait plus dessus.
Un écran bleuté courait tout le long de l’ouverture du hangar. Était-ce un simple champ de contention destiné à retenir l’atmosphère, ou était-il doublé d’un nouveau bouclier ? Tel’Ay l’ignorait et, arrivé à ce stade où il n’avait qu’une hâte, à savoir quitter ce cercueil volant, il décida qu’il s’en moquait éperdument et fonça. De toute manière, il n’avait pas la moindre arme à bord de sa navette. Et la Force le préviendrait s’il filait vers la mort. En principe.

La navette franchit sans mal le champ de contention, et Tel’Ay la fit s’écraser au sol, après avoir oublié de sortir les trains d’atterrissage. Le cockpit refusa de s’ouvrir, aussi l’aida-t-il à grands coups de sabrolaser. Quand ses jambes flageolantes touchèrent enfin le sol, elles refusèrent de le soutenir et il chancela. Il eut un haut-le-cœur, et se remit debout dès qu’il eut fini de vomir.
Un coup d’œil autour de lui lui apprit qu’il était en parfaite sécurité dans le hangar. Seuls des droïdes s’y trouvaient et ne faisaient pas attention à lui, trop occupés à réparer une barge-speeder. Il se focalisa sur la Force et, à sa grande surprise, ne sentit qu’une seule présence organique à bord. Puissante dans la Force, de surcroît. Son ennemi, quel qu’il soit.
Sourire de prédateur aux lèvres, il s’engouffra dans la première coursive venue.


***

Ver’Liu était horrifié par la situation : son orgueil et sa soif de vengeance allaient-ils donc les condamner à la mort ? Il s’était laissé griser par son pouvoir et n’avait pas hésité à engager son peuple dans une guerre qu’il avait cru pouvoir gagner à l’issue d’un seul fait d’armes. Non seulement il n’avait pas pu porté l’estocade le premier, mais l’ennemi avait anticipé son projet, et l’avait contrecarré de manière imparable. Une plus grande flotte, une plus grande puissance de feu.
Ver’Liu sentit la honte lui brûler les joues. Il aurait voulu mourir à cet instant précis. Il n’était sorti de son trou à rats de la Station Carolusia que pour faire mourir son peuple à cet endroit, après qu’il l’eut suivi aveuglément. Il se dégoûtait. Ver’Liu le Boucher !…Voilà comment l’Histoire allait le juger, se dit-il.
Autour de lui, les hommes du capitaine Diro accomplissaient leur devoir, rapidement et avec efficacité. Le capitaine lui-même semblait calme, bien que tendu, tandis qu’il donnait ses instructions à ses subordonnés, tout en gardant un œil vers la représentation tridimensionnelle de la bataille, afin d’assurer un semblant de cohésion au reste de leur flotte, qui s’amenuisait minute après minute.
Mais que pouvait faire Ver’Liu, désormais ? Ordonner la retraite ? Et pour aller où ? Une telle décision aurait condamné la colonie, son peuple comme celui de Seperno, qui l’avait accueilli… et Sionarel, également, toujours plongée dans un profond coma, qu’aucun médecin n’avait été capable de guérir ni même d’expliquer. Qu’est-ce qu’il lui restait à faire ? Prendre le masque de l’impassibilité, pour montrer à quel point il aurait été digne jusqu’au bout ? Quelle farce. Une vaste farce macabre, dont il était à l’origine…
Il fut tiré de son abattement par l’officier en charge des senseurs, qui s’écria par-dessus les alarmes :
– Capitaine Diro, des vaisseaux viennent de sortir de l’hyperespace. Deux croiseurs et deux corvettes.
– Allons bon, bougonna Diro sans quitter la bataille des yeux. Amis ou ennemis ?
– Ils envoient un message sur toutes les fréquences, capitaine, fit l’officier des communications.
– Sur écran.
Un Ithorien en uniforme de la Marine Républicaine apparut, et dit :
– Ici le capitaine Ael Tamaï. Sur ordre du Chancelier Marcus Valorum, je suis ici pour protéger Velinia III, monde républicain. Flotte étrangère, cessez le feu sur-le-champ et préparez-vous à être abordés.

L’espoir venait subitement de changer de camp.


***

Dark Glaro écrasa de rage la commande des communications. Pour qui se prenait ce maudit capitaine républicain, et d’où est-ce qu’il sortait ?
– Demande***instructions***monseigneur*** fit le droïde qui commandait le croiseur.
– Nous ne gagnerons pas, crétin ! Nous sommes désormais en infériorité numérique !
Il réfléchit en faisant les cent pas, avant de reprendre la parole :
– Nous avons des navettes de transport. Fais-les bourrer de droïdes armés, et qu’ils atterrissent ou s’écrasent sur le croiseur principal ennemi. Deux cibles : tuer Ver’Liu So-Ren et Tel’Ay Mi-Nag. Que tous nos vaisseaux disponibles convergent vers le croiseur et ouvrent le feu ! Au mieux, nous le détruirons. Au pire, ça couvrira l’approche de nos droïdes. Exécution !
– Reçu***monseigneur***.

Dark Glaro sentit ses entrailles se nouer. Depuis quand la République disposait-elle de croiseurs militaires en état de marche ? Le démantèlement des anciennes flottes était terminé depuis des centaines d’années, et seuls des vaisseaux civils croisaient, désormais. La République se contentait de faire la police entre les mondes, dépêchant au besoin des corvettes, leurs plus gros vaisseaux connus. Comment l’existence de croiseurs républicains avait-elle pu échapper à Dark Omberius ?
Le Seigneur Noir des Sith avait toujours affirmé que si les Sith montaient une flotte de guerre, ils ne trouveraient personne pour s’opposer à eux. Il s’était lourdement trompé ! Pire, leur propre flotte risquait d’être détruite à son premier engagement, ce qui impliquait qu’ils ne pourraient ni défendre l’indépendance de leurs mondes indépendants nouvellement constitués, et encore moins prendre Coruscant pour établir un nouvel empire Sith, but ultime d’Omberius.
Glaro était anéanti : Omberius prévoyait toujours tout, toute sa vie n’avait été que manipulations élaborées pour asseoir sa domination sur la galaxie. Et il avait échoué. Et lui, Glaro, avait toujours placé Omberius sur un piédestal, le jugeant plus malin à lui seul que tous les Jedi et politiciens de Coruscant réunis. Comme il s’était bercé d’illusions ! Alors qu’ils s’étaient crus tout près de dominer la République, voilà que les Sith étaient à nouveau menacés d’extinction !

Glaro n’eut pas le temps de pousser plus avant ses funestes réflexions. Il ressentit la présence d’un être organique à bord… puissant dans la Force, qui plus est. Un Jedi téméraire ? Parfait, Glaro allait pouvoir passer ses nerfs sur lui. Et se servir de l’Égalitaire pour lui arracher ses pouvoirs, et sa vie.


***

L’éternelle quiétude de l’espace fut dérangée quand un chasseur surgit de nulle part et se matérialisa non loin de Skelor I. Le cockpit, minuscule, avait été adapté à la morphologie de l’être qui le pilotait. Le teint vert, une longue chevelure brune qui lui tombait dans le dos, de grandes oreilles pointues, soixante-six centimètres et des mains tridactyles. Un air déterminé, également. Ainsi que la Force.
Sans perdre de temps, Yoda ouvrit les évents d’aération et calcula la trajectoire la plus directe pour la planète-mère des Skelors. Senseurs à longue portée en route, tournés vers la planète, il commença à enregistrer les données quand sa console de communications bipa.
– Ici Yoda.
– Ici Maître Lijeril. Il y a du changement, et pas des moindres. Je viens d’apprendre que Ver’Liu So-Ren, qui a rassemblé une flotte de mercenaires au large de Velinia III, vient d’être attaqué par une autre flotte…qui semble provenir de Skelor I, d’après nos estimations. La flotte de réserve de la République est elle aussi en route.
– En rien, cela ne concerne ma mission.
– Certes, mais comme vous n’êtes pas loin, j’aimerais que vous y alliez, Maître Yoda. Nous avons besoin d’un Jedi expérimenté là-bas, pour tenter de ramener tout le monde à la raison, et de minimiser les pertes.
– Contrariante, cette nouvelle est. Un bain de sang, la présence d’un Jedi pourrait en effet éviter. Dix secondes pour rentrer les nouvelles coordonnées et réinitialiser le moteur hyperdrive, et en route je serai, Maître.
Yoda fit ses préparatifs en soupirant lentement. Il était frustrant de devoir faire demi-tour si près du but. Il jeta un dernier coup d’œil à Skelor I, avant de faire virer son chasseur.