I/ L’attaque

Les quatre cent colons de Velinia III avaient débarqué sur la planète plus d’un an auparavant pour s’y installer définitivement, dans le cadre d’une opération financée en grande partie par la République.
Ils étaient tous des exilés et s’étaient rencontrés sur Coruscant. En ces temps d’expansion de la République, celle-ci mettait sur pied beaucoup d’opérations de colonisation un peu partout dans la bordure médiane, avec même quelques tentatives dans la bordure extérieure. Des appels en direction des esprits aventureux avaient été lancés dans tout l’espace républicain, et ces quatre cent là y avaient notamment répondu.
Les colons de Velinia III étaient en majorité Rodiens car les guerres esclavagistes battaient alors leur plein sur Rodia, leur planète-mère, contraignant beaucoup d’entre eux à fuir les combats. Les autorités républicaines s’arrangeaient pour regrouper ensemble les membres de mêmes espèces, estimant que c’était un gage important pour la réussite des expéditions.
Ils avaient été déposés sur la planète par un vaisseau-cargo de classe Porteur, avec tout le matériel et les vivres nécessaires pour survivre le temps d’accéder à l’auto-suffisance. Pour faire face aux impondérables, Ils disposaient d’un système de communication spatiale pour contacter la République en cas de catastrophe ou de problème insurmontable. Cela leur permettait également de demander éventuellement du matériel supplémentaire, sachant que les vaisseaux-cargos revenaient tous les six mois rendre visite aux colonies pour évaluer leurs progrès.
Velinia III était une rude planète essentiellement aride, aux journées chaudes et aux nuits glaciales la moitié de l’année ; l’hiver, les températures restaient douces mais une fois la nuit tombée elles dégringolaient jusqu’à –50 degrés. En à peine un an, les colons s’étaient bâtis un village sur un flanc de montagne, et avaient entrepris d’ensemencer les terres à son pied. Ils disposaient de collecteurs d’humidité pour arracher à l’atmosphère sèche les indispensables molécules d’eau nécessaires à leur survie et à l’irrigation de leurs pauvres terres. Ils avaient pu alors semer les plants et les graines que leur avait donné le Corps Agricole républicain, génétiquement modifiés pour s’adapter aux conditions de la planète.



Ce jour-là, les travaux des champs battaient leur plein : ils avaient laissé la saison froide derrière eux depuis quelques jours seulement, et s’étaient dès lors attaqués à agrandir la surface de leurs terres cultivées. Heureusement, la plupart de leurs plants avaient bien résisté aux températures extrêmes auxquelles elles avaient été soumises, aussi les colons avaient-ils décidé de mettre en terre les plants qu’ils avaient gardé en réserve, bien à l’abri dans une maison du village qu’ils avaient pris soin d’isoler du mieux possible par sécurité.
Ils ne disposaient que de quatre engins agricoles motorisés lors de leur arrivée, mais l’hiver en avait mis trois hors service. Même si l’ingénieur de la colonie ne désespérait pas de pouvoir en remettre une deuxième en état de marche, en prélevant des pièces sur les autres, les colons n’avaient pas attendu pour improviser une solution. Ils avaient bricolé des araires rudimentaires à partir du matériel dont ils disposaient : à l’arrière, un colon s’appuyait sur les mangerons afin que le sep pénètre dans la terre tandis qu’un autre était relié à l’araire par un joug grossier et avançait en ligne droite. Un troisième colon les suivait et lançait les graines dans les sillons ainsi créés, et deux autres enfin venaient ensuite recouvrir les graines avec la terre sablonneuse, avec l’aide d’outils eux aussi bricolés à partir de tout et n’importe quoi.
La matinée était bien avancée quand des grondements se firent entendre du ciel, au grand étonnement des colons : ils n’avaient jamais connu d’orages sur Velinia III. Les météorologues qui les avaient briefés avant leur départ de Coruscant leur avait assuré que c’était chose impossible d’après leurs études et projections du climat.
Si certains crurent en que ces bruits qui semblaient se rapprocher étaient bien des orages et que les météorologues s’étaient trompés, d’autres en revanche eurent peur de voir surgir des prédateurs aériens qui avaient échappé aux investigations républicaines. D’autres enfin identifièrent les grondements pour ce qu’ils étaient, à savoir les moteurs atmosphériques de vaisseaux, ce qui ne manqua là encore pas de les surprendre : le vaisseau-cargo républicain qui était venu leur rendre visite était reparti depuis deux bons mois et il s’en passerait encore quatre avant qu’il ne revienne, selon le planning établi.
Tel’Ay Mi-Nag avait comme tout le monde levé ses yeux entièrement noirs vers le ciel, son joug toujours passé autour de son cou et posé sur ses larges épaules, mais l’étonnement qu’il ressentait, comme tout le monde, se mua très rapidement en inquiétude, tandis qu’un sentiment d’urgence, de danger, envahissait tout son être reptilien. Il connaissait très bien cette sensation et savait qu’il ne fallait jamais la négliger : elle lui avait sauvé la vie plus d’une fois par le passé.
Il se débarrassa rapidement de son joug et se mit à courir vers le flanc de la montagne proche où ils avaient construit leurs abris. Les premiers tirs de laser se firent entendre alors qu’il arrivait au pied de l’échelle métallique qui menait au premier niveau des habitations. Il ne se retourna même pas : peu lui importait à ce moment précis l’identité de ceux qui attaquaient la colonie. Le seul objectif qu’il avait en tête était de rallier le deuxième niveau du village, où se trouvaient sa compagne et leur premier-né Ro’Lay, né trois semaines auparavant, afin de les mettre à l’abri si cela était possible.
Les vaisseaux étaient au nombre de trois. Ils étaient de forme sphérique et équipés sur le devant d’un cockpit en transparacier. Sous celui-ci, il y avait une sorte de bec triangulaire composé de trois tubes métalliques, et un canon-laser prolongeait le point où ils se rejoignaient.
Ils ouvrirent le feu sans avertissement et concentrèrent leurs tirs sur le village. L’apocalypse se déchaîna autour de Tel’Ay Mi-Nag sans qu’il ralentisse sa progression, indifférent aux explosions assourdissantes qui vaporisaient et faisaient fondre des tonnes de roches autour de lui. Il ne fit pas plus cas des éclats de pierre qui fusaient de partout, autant de projectiles mortels chauffés à blanc. Chance incroyable, pas un ne l’atteignit. Dès qu’il eut atteint le premier niveau, et malgré les nuages de poussière qui se soulevaient de partout, il se précipita sur l’échelle qui le mènerait au deuxième, vers sa famille, et commença à la gravir. Il y arrivait presque quand les chasseurs revinrent pour un deuxième passage : l’un des tirs pulvérisa une maison au-dessus de sa tête. Quand il releva la tête pour voir les dégâts, il vit des tonnes de pierres fuser sur lui. Un roc aussi gros que son torse percuta violemment sa tête et il lâcha prise en grognant. Les yeux tournés vers le haut, il serra les dents. Il s’écrasa au sol après avoir chuté de près de dix mètres, et fut enseveli moins d’une seconde plus tard par les gravats qui le suivaient de près.
Pendant ce temps, les trois chasseurs stellaires atterrirent entre le village et les champs, et les pilotes en sortirent blaster au poing, engoncés dans leurs combinaisons spatiales et portant encore leurs casques. Un vaisseau de transport léger ne tarda pas à les rejoindre et une vingtaine d’immenses Togoriens armés jusqu’aux dents jaillit dès que la soute eut baissé sa rampe. Ils rassemblèrent les colons survivants au milieu des champs. Ceux-ci n’émirent pas de résistance, encore sous le choc d’un tel déchaînement de violence.
– Au rapport, fit l’un des Togoriens, haut d’au moins deux mètres cinquantaine, le chef à en juger par le ton autoritaire qu’il employa.
– Ils sont à peu près trois cent cinquante, chef. Comme prévu, la plupart étaient dans les champs, prêts à être cueillis.
– Parfait. Appelle la barge de transport, qu’elle atterrisse et embarque tout ce bétail. Assure-toi que leur système de communication soit détruit : si des survivants ont eu le temps de se cacher, il ne pourront pas appeler d’aide et resteront livrés à eux-mêmes jusqu’au retour du vaisseau de ravitaillement, dans quatre mois. Et ne traîne pas : on a encore trois colonies à visiter avant de livrer notre cargaison aux Hutts.
Ainsi fut fait : les colons furent embarqués, impuissants. Ceux qui voulurent résister ne furent pas tués mais simplement paralysés : hors de question d’abîmer la marchandise. Les plus gravement blessés furent abandonnés sur place, et les Togoriens firent le tour des ruines du village à la recherche d’éventuels survivants. Ils en trouvèrent une petite dizaine, miraculeusement épargnés par les tirs. Parmi eux se trouvait une femelle Skelor, aux yeux intégralement noirs, à la silhouette trapue et au corps recouvert d’écailles blanches. Elle serrait dans ses bras une couverture, dans laquelle son tout jeune fils criait de colère, tiré de son sommeil par l’attaque.
Une heure après le début de l’attaque, les pirates redécollaient, laissant derrière eux les ruines de l’ex-colonie de Velinia III. Ne restaient que quatre colons Rodiens indemnes, qui avaient réussi à se cacher des Togoriens, et six autres grièvement blessés. Parmi ces derniers se trouvait Tel’Ay Mi-Nag, enseveli sous des tonnes de rochers.




Dès que la pierre l’avait violemment heurté et fait tomber de son échelle, il avait vu la suite des événements. Faisant fi de la douleur qui lui vrillait le crâne, il n’avait pas hésité une seconde quand à la marche à suivre. Pour la première fois depuis trois ans, il s’était ouvert à la Force, faisant de son corps un réceptacle pour cette énergie presque mystique mais tellement puissante. La sensation qu’il avait éprouvé lorsqu’il l’avait touché et qu’il l’avait laissé l’envelopper avait été incroyable, et il s’était demandé comment il avait réussi à vivre tant de temps en la reniant comme il l’avait fait. A ce moment, il fut un aveugle recouvrant subitement la vue, un sourd qui se remettait à entendre, un mort qui revenait à la vie. Tout cela et plus encore.
La Force était là, elle était partout, en lui, dans l’air à travers lequel il tombait, dans les rochers qui lui tombaient dessus. Alors qu’il chutait vers la mort, il avait été à nouveau lui-même, entier, et ses perceptions s’étaient étendues bien au-delà du champ normal de ses cinq sens. Tout son être avait été envahi de joie, pure et sauvage. La porte de la prison dans laquelle il s’était enfermé de lui-même était à nouveau ouverte. Et elle n’est pas prête de se refermer ! avait-il décrété farouchement.
Ce déferlement de sensations n’avait duré qu’une fraction de seconde, et il s’était aussitôt attelé à assurer sa survie, si cela s’avérait possible. Il avait érigé un champ de protection autour de son corps et avait tenté de créer une bulle de Force, d’un champ d’action de plusieurs mètres et dont il occupait le centre. Poussant avec son esprit, il avait tenté de freiner par télékinésie tout ce qui se trouvait dedans. Dès qu’il avait violemment percuté le sol, sa concentration avait été brièvement brisée. Le temps qu’il renforce dans un dernier réflexe instinctif son champ de protection, les rochers s’étaient abattus sur lui. Certains avaient glissé sur sa protection invisible, mais les plus gros avaient balayé ses défenses et l’avaient cloués au sol, lui occasionnant de multiples blessures superficielles et écrasant son bras gauche.
Contre toute attente, il avait survécu ! En plus de son bras écrasé, il souffrait d’un traumatisme crânien sévère, et des ondes de souffrance terrible traversaient son corps par vagues atroces qui menaçaient de l’emporter dans un océan de douleur. Il réussit à faire légèrement refluer la douleur par le truchement de la Force, et se mit à réfléchir furieusement.
Il refusa de repenser à l’attaque, et ne s’attarda même pas sur le sort de sa compagne et de leur premier-né. De toute manière, ils avaient survécu à l’attaque : il l’aurait su sinon. Penser à eux en ce moment précis ne pouvait être qu’une distraction, qu’il ne pouvait pas se permettre. Son premier devoir était de se sortir de là. Ensuite et ensuite seulement, il pourrait se préoccuper d’eux.
Sa situation n’était pas brillante : s’il avait été indemne, il aurait peut-être réussi à déplacer tous ces rochers au-dessus de sa tête, par la force de son esprit, mais il ne l’était pas, loin de là. De toute manière il aurait risqué, en déplaçant un rocher, d’en voir un autre prendre l’espace vacant dans la foulée et peut-être l’écraser. Non, cela n’était pas la solution.
Il décida de lancer un appel au secours dans la Force, de telle manière à ce que les colons qui avaient survécu à l’attaque sachent qu’il était là. Si tant est qu’il ne croient pas être victimes d’hallucinations : après tout, aucun d’entre eux, à l’exception de sa compagne, ne connaissait ses affinités avec la Force. Mais quand il élargit son champ de perception dans la Force, des émotions contradictoires jaillirent dans son esprit : il perçut de la peur, de la douleur, de la colère, mais aussi une froide détermination, l’excitation du chasseur, et la satisfaction du devoir accompli. Il toucha l’esprit d’un des êtres qui éprouvaient ces émotions déplacées, et comprit que les assaillants ne s’étaient pas contentés de mitrailler la colonie mais s’étaient posés.
Bien qu’il sentit ses forces commencer à décliner, il attendit d’en savoir plus avant d’agir. Il tendit son esprit pour continuer à lutter contre la douleur et pour percevoir ce qui se passait au-delà de son tombeau de pierres. Au bout d’une heure, alors qu’il maintenait ses efforts harassants, il sentit que tous, colons comme assaillants, s’éloignaient. Les vrombissements des vaisseaux parvenaient jusqu’à lui et il comprit que les colons avaient été évacués…ou plutôt enlevés. Il avait même perçu la présence de Dibidel et de Ro’Lay, mais ne s’était pas attardé dessus. La distraction pouvait avoir raison de lui. Il se permit juste de retenir le fait que sa femme et son fils étaient indemnes.
Mais la donne avait changé, désormais. Les colons restés sur place, et il sentait effectivement quelques présences quelque part autour de lui, pourraient certes le libérer, mais ils n’avaient aucun moyen de quitter la planète. Le vaisseau-cargo qui les ravitaillait ne serait pas de retour avant des mois et leur système de communication avait sûrement été détruit. Ne lui restait qu’une seule solution, qui ne lui plaisait guère mais il n’avait pas le choix.
Il monopolisa toutes ses forces pour lancer un appel au secours dans la Force, en direction d’esprits bien précis. Ils avaient le pouvoir de le sauver, aucun doute là-dessus, mais la question qui se posait était : le voudraient-ils ? Après tout, il les avait abandonné depuis trois ans, et ils n’avaient pas à se sentir obligés de le secourir, surtout qu’il était parti en les reniant presque. Il lança tout de même son appel, car ils étaient les plus à même de l’aider. S’ils ne répondaient pas, il en serait quitte pour contacter les derniers colons et pourrait se soigner en attendant le vaisseau-cargo. Cela lui ferait certes perdre des mois précieux avant qu’il ne puisse se lancer à la recherche de sa famille, mais cette solution avait le mérite d’exister.
Dès qu’il aurait un moyen de quitter Velinia III, il se mettrait en chasse. Pas de chance pour les ravisseurs, il avait survécu. Il allait les retrouver un à un et leur faire connaître mille tourments avant de les achever…à moins qu’il ne les achève pas, justement, et qu’il les laisse plongés dans les affres de la douleur jusqu’à la fin de leur vie.
Ensuite, il remettrait la main sur les siens, et ils recommenceraient leur vie ailleurs. Etrangement, il se promit à ce moment de sauver également les autres colons enlevés. Il avait vécu un an parmi eux et certains étaient même devenus des amis. Oui, c’était dit, il allait les sauver tous et traquer tous leurs ravisseurs.
Il se prépara à entrer dans une transe Jedi : dans sa position claustrophobique, il risquait de manquer d’air à plus ou moins long terme, et se devait de l’économiser, et la transe était le moyen le plus commode pour cela. Puis il attendit. Il lui fallait la réponse à l’appel au secours qu’il avait lancé avant de se plonger dans la transe ; si elle était positive, il s’y plongerait, si elle était négative il contacterait les colons au-dessus de sa tête.
Il sentit un picotement dans son cerveau au bout d’un temps plus court que ce qu’il avait espéré : une présence cherchait à entrer en contact avec lui. L’impression mentale qui s’en dégageait, traduite par des mots, aurait donné quelque chose comme : nous arrivons. Pleinement satisfait, Tel’Ay Mi-Nag plongea dans sa transe Jedi. Ses dernières pensées furent pour les ravisseurs des colons et de sa famille : les fous ! Ils avaient osé s’attaquer à lui mais contre toute attente, il avait survécu. Ils allaient vite comprendre à qui ils avaient affaire et là, ils regretteraient amèrement de s’en être pris à un Seigneur Sith !