Chapitre III : préparations

Tel’Ay Mi-Nag décréta qu’il n’avait pas de temps à perdre. Puisqu’il avait l’accord de son maître, il voulut partir le plus vite possible, ce qui fut fait une heure plus tard, le temps de réveiller Kuun et de le mettre au fait des décisions qui avaient été prises.
Ensuite et ensuite seulement, il se préoccupa de l’état de son bras gauche. Une attelle métallique avait été bricolée autour, et fermement accrochée à son torse afin que ce poids mort ne l’empêche pas de bouger. Ses bandages dégageaient de fortes effluves de bacta. Il avait sifflé de dépit en visualisant dans la Force les centaines de fragments d’os brisés. Voilà qui dépassait de loin ses pouvoirs de guérison, mais il était hors de question de remplacer son membre mort par un bras cybernétique. Les Skelors se méfiaient de la technologie, et apprendre à vivre avec ses tares et ses faiblesses faisait partie de leurs traditions ancestrales.
Il aurait mieux valu l’amputer, ce qui n’aurait pas dérangé outre mesure Tel’Ay : qu’était la perte d’un bras à côté de la maîtrise de la Force ? Mais il préféra différer ce choix : grâce au bacta, cette blessure pourrait rester en l’état un certain temps. Sans oublier que si il parvenait, ou plutôt quand il parviendrait à mettre la main sur un holocron Jedi, celui-ci lui indiquerait peut-être un moyen de se soigner.

A peine réveillé, Kuun avait retrouvé leur complicité d’antan, quand ils étaient tous deux les meilleurs apprentis de Maal Gami. Nulle jalousie entre eux, juste le désir d’être les meilleurs. De ce fait, ils avaient été les meilleurs amis du monde jusqu’au départ de Tel’Ay.
Ce dernier fut ravi de voir que Kuun était resté le même que dans son souvenir, malgré quelques changements, surtout physiques. Le Corellien mesurait un bon mètre quatre-vingt-dix, mais sa musculature s’était bien étoffée en trois ans. Adieu son visage poupin encadré de longues boucles rousses : aujourd’hui, il avait les cheveux très courts et ses traits avaient mûris. Ses yeux d’un bleu presque transparent étaient toujours aussi rieurs et il n’avait pas perdu son affabilité habituelle. Tel’Ay avait de tout temps eu l’impression qu’il existait deux Kuun : l’ami, prompt à sourire, et le disciple Sith, très sérieux, et perfectionniste.
Dès qu’il fut mis au courant de la situation, il lança à Tel’Ay :
– Tu pilotes ?
La grimace du Skelor, allergique à tout ce qui touchait à la technologie, le fit ricaner d’aise, et il s’installa au poste de pilotage.
Quant à Maal Gami, il conserva un visage fermé jusqu’à ce que ses deux apprentis soient partis. Ça y est, songea-t-il, les événements qui changeront à jamais notre Confrérie ont commencé.
Il éprouva un pincement au cœur quand Kuun Hadgard entra dans le transporteur. La Force lui appris que c’était la dernière fois qu’il le voyait. Mais pour quelle funeste raison ? se demanda-t-il. Qui de lui ou de moi va mourir ? Il n’avait pas la réponse à cette question, et cela l’inquiétait énormément. Kuun Hadgard et Tel’Ay Mi-Nag étaient ses deux seuls apprentis dignes de lui succéder, et le temps où il passerait la main se rapprochait à grands pas. Après tout, n’avait-il pas vécu déjà cent vingt-trois ans ?

– Tel’Ay, qu’est-ce qui se passe ? Toi et le maître êtes en froid ?
Kuun posa cette question peu après leur décollage, avec aussi peu de tact que dans le souvenir de Tel’Ay.%% – En effet, mon ami, répondit le Skelor en arborant un mince sourire. La soi-disant mission dont m’a chargé Maal Gami il y a trois ans n’en étais pas une. J’ai rencontré l’amour et décidé de quitter la Confrérie.
– L’amour ? Quitter la Confrérie ? Qu’est-ce que c’est que ces salades ?
– C’est quelque chose que tu ne comprendras jamais tant que tu ne l’auras pas expérimenté, répondit simplement Tel’Ay.
– Mouais, rétorqua Kuun sur un ton dubitatif. N’empêche que tu as beau faire le malin, le maître a eu raison de m’ordonner de t’accompagner : tu sembles plus mort que vif.
– Je suis assez vivant pour te mettre une raclée, au sabrolaser ou à mains nues.
– C’est ça, fit Kuun après avoir éclaté de rire. Dans tes rêves, reptile !

Dès qu’ils eurent quitté l’atmosphère de Velinia III, le Corellien s’enquit de la direction à suivre.
– J’y ai réfléchi, répondit posément Tel’Ay. En voulant m’assurer que ma famille était sauve, je me suis rendu compte que nos assaillants étaient des Togoriens, ça ne te dit rien ?
– Hum…il n’y a pas eu une histoire de Togoriens bannis de leur planète pour avoir vendu certains de leurs congénères à des esclavagistes Hutt, où quelque chose comme ça ?
– Exactement. Ils étaient une centaine, et cela s’est passé il y a dix ans à peu près. Beaucoup sont morts depuis, mais aux dernières nouvelles, ceux qui restent exercent toujours cette activité.
– Et tu sais où les trouver ?
– Essayons TiionSee. Cette boule de fange se trouve entre les territoires Hutt et Kessel, où le besoin d’esclaves est toujours criant. Il s’y trouve un marché d’esclaves florissant.
– Et comment on procède, si les tiens sont là ? On se la joue subtil ou violent ?
– Je veux récupérer tous les membres de la colonie.
– Tous ? Et combien ils étaient ? Quatre cent, c’est ça ? Hum. J’ai ma réponse, alors. Ce sera violent.

Le trajet en hyperespace dura une semaine, pendant laquelle ils passèrent beaucoup de temps à essayer de soigner le bras de Tel’Ay. Exercice harassant s’il en fut : ils s’aperçurent qu’ils étaient capables, via la Force, de réassembler les os, mais ils comprirent rapidement que cela leur demanderait énormément de temps. C’était comme de faire un puzzle en 3D composé de milliers de pièces. Au bout d’une semaine d’efforts, ils étaient incapables d’estimer leurs progrès même si, du point de vue de Tel’Ay, il y en avait.

Ils ne négligèrent pas pour autant leur entraînement, et s’affrontèrent plus d’une fois au sabrolaser. Kuun remporta leur premier combat, de justesse, et s’exclama :
– Et bien, mon vieux, joli combat ! Et avec une seule main, qui plus est. Heureusement que tu es droitier.
– Désolé, vieux, fit Tel’Ay avec son mince sourire habituel au coin des lèvres, mais je suis gaucher.
La réponse vexa profondément Kuun, qui ne revint jamais sur le sujet.

Quand ils arrivèrent en vue de TiionSee, petite planète blanc-bleue suspendue telle une lanterne dans la voûte étoilée, ils se sentaient prêts à tout. L’entraînement avait aiguisé leurs réflexes comme jamais, ils n’avaient pas négligé de se reposer pour autant, et ils avaient acquis la certitude de pouvoir guérir le bras de Tel’Ay, même si cela allait leur prendre des mois.

TiionSee était une planète qui se voulait neutre. De fait, la planète était un carrefour de trafics en tous genres, plaque tournante de tous les crimes possibles et imaginables. Les autorités prélevaient une dîme sur tout navire se posant, ainsi qu’une taxe par tête. La milice locale se contentait de veiller sur le siège gouvernemental, également centre des impôts. Tant que l’impôt rentrait, la milice se moquait éperdument des questions de maintien de l’ordre. Si la situation dégénérait trop – règlements de comptes à grande échelle entre gangs, ou véritables batailles rangées dans les rues de Kil’lian, la milice sortait ses vieux canons-laser Arton-Blaydex MSP-2 et se contentait de tirer dans le tas. Les esprits ainsi calmés, les activités reprenaient progressivement…jusqu’aux troubles suivants.



Après avoir obtenu un cap d’atterrissage auprès des autorités, Kuun dirigea le transporteur vers l’un des minables astroports de Kil’lian, la capitale. Ils attachèrent peu d’importance au paysage qu’ils survolaient, ils n’étaient pas là pour faire du tourisme. Tout au plus notèrent-ils du coin de l’œil qu’il devait y faire froid, au vu des banquises qui recouvraient les deux pôles et remontaient jusqu’au tiers de chaque hémisphère. Entre les deux s’étendait un continent unique, ceinturé d’un océan bleu. Le relief était assez plat, parfois parcouru par des collines boisées.
Quant à Kil’lian, son architecture simpliste semblait suivre la géographie : pas ou peu de bâtiments hauts. Elle s’étirait surtout en longueur et se composait essentiellement d’immeubles à un voire deux étages, en permabéton grisâtre. L’ensemble, terne, était coupé par de longues rues rectilignes en simple terre battue de couleur ocre. Rues poussiéreuses par temps sec, bourbier dès que la neige et la pluie se mettaient à tomber.
Ils suivirent les coordonnées de la balise d’atterrissage et ils se posèrent dans ce qui n’était rien d’autre qu’un petit cercle de terre battue délimité par quelques lumières clignotantes, en périphérie de la ville. Une bonne moitié de ces cercles, composant l’astroport, étaient occupés par des navires. Les quatre plus grands d’entre eux, de deux cent mètres de diamètre, étaient présentement vides.

Ils s’encapuchonnèrent soigneusement et, sabrolaser à la ceinture, et mirent le pied sur TiionSee.
– J’ai un mauvais pressentiment, murmura Tel’Ay.
– Je le partage, vieux. Je sens de la violence et la mort qui rôde. Le tout en rapport direct avec nous.
– Tu as toujours été plus doué que moi pour sentir ce genre de choses, admit Tel’Ay. La mort, tu la vois pour nous ou pour d’autres ?
– Pour d’autres, fit Kuun en souriant. Mais ce n’est pas une raison pour faire preuve d’imprudence ou d’arrogance. Soyons discrets le plus longtemps possible.
Ils verrouillèrent le navire et se dirigèrent à pied vers les faubourgs, drapés dans le Côté Obscur de la Force.