Chapitre V : TiionSee

Il se mit à neiger quand Tel’Ay et Kuun dépassèrent les faubourgs. Plus ils se rapprochaient du centre, plus ils croisaient de landspeeders et de camions sur répulseurs. Remplis d’esclaves, dont la peur était presque palpable, leur apprit la Force.
Ils finirent par déboucher sur une place immense, cercle de plusieurs centaines de mètres de diamètre. Un capharnaüm monstrueux y régnait. Des centaines de cages grillagées et pleines d’esclaves la parsemaient, chacune reliée par un tunnel grillagé à une estrade protégée par un champ de force. Ces podiums permettaient d’exhiber la marchandise, comme le constatèrent les deux Sith.
Les bonimenteurs étaient légions et criaient à qui mieux mieux pour attirer le client, vantant le mérite et la robustesse de leurs esclaves. Les tractations allaient bon train, sous l’œil aiguisé de gardes de corps, prêts à en découdre en cas de souci.
Dans leurs cages, les esclaves étaient parfois recroquevillés, mais il était difficile de dire si c’était de peur ou de froid.
Les Sith fermèrent leur esprit, face à toutes les émotions contradictoires qui saturaient la Force : peur, excitation, appât du gain, misère, tristesse. Par ailleurs, ils mirent le Côté Obscur de la Force à contribution pour ne pas être importunés. Il irradiait de leurs corps, provoquant une sensation de malaise lancinant chez qui les regardait avec trop d’insistance, et dissuadait les importuns de les aborder.

Tel’Ay dut presque crier à l’oreille de Kuun pour se faire entendre, tellement le brouhaha était important. – La colonie de Velinia III était surtout composée de Rodiens, mais impossible d’en repérer dans ce bazar. Séparons-nous.
Kuun acquiesça d’un signe de tête. Quand ils se retrouvèrent, une demi-heure plus tard, leurs recherches n’avaient rien donné : ils n’avaient vu ni Togorien ni Rodien. La neige, qui n’avait pas cessée de tomber, commençait à transformer la place de terre battue en bourbier. La température continuait à chuter mais cela ne les dérangeait pas outre mesure : il leur suffisait de réguler leur propre chaleur corporelle pour ne pas souffrir du froid.
A plusieurs reprises, ils virent des promeneurs isolés être pris à parti, sans raison apparente. Une fois réunis, Kuun montra à Tel’Ay les bâtiments bordant la place : la plupart arboraient une enseigne lumineuse indiquant des débits de boisson. Après s’être consultés du regard, ils entrèrent dans le plus imposant.

La cantina était imposante mais miteuse, et noire d’une foule hétéroclite issue des quatre coins de la Galaxie. Ils prirent vite la mesure de la mentalité locale quand Kuun fut pris à partie.
– Tu m’as regardé, fils de chienne, tu as un problème ? l’agressa un Trandoshéen à la peau cuivrée qui le dépassait d’une bonne tête.
Sa tenue le désignait comme étant un chasseur de primes, et pendant qu’il parlait, ses mains s’étaient aussitôt rapprochées de son blaster et de sa vibro-lame, tous deux accrochés à sa ceinture.
– Je ne t’ai pas regardé, répondit placidement Kuun, le regardant droit dans les yeux pendant qu’il agissait sur la Force pour apaiser son interlocuteur.
– Et en plus tu oses de parler ? Je vais te faire la peau, crevure ! explosa l’être reptilien en s’emparant de ses armes.
Tout se passa ensuite très vite. Tel’Ay fit un pas en arrière afin de ne pas gêner son condisciple et profiter du spectacle. Kuun empoigna son adversaire au niveau des poignets, bien que la différence de gabarit entre les deux tournait nettement en faveur du Trandoshéen. Celui-ci arbora une expression incrédule quand il se rendit compte que, malgré ses efforts, il ne parvenait pas à relever ses mains armées vers Kuun. Il se pencha brusquement en arrière et lança sa jambe droite vers Kuun, pour lui porter un coup aussi vicieux que puissant au bas-ventre. Le Sith fut surpris et ne parvint pas à éviter totalement l’attaque. Violemment soulevé du sol, il lâcha les mains du Trandoshéen et effectua une pirouette par-dessus le Trandoshéen. L’œil acéré de Tel’Ay n’en perdit pas une miette. Les clients proches, qui s’étaient éloignés pour ne pas prendre de mauvais coup, ne virent qu’une tache floue trop rapide pour être suivie des yeux. Le Trandoshéen avait de bons réflexes : à peine Kuun avait-il touché le sol qu’il l’eut dans la ligne de mire de son blaster. Il n’eut pas le temps de tirer. Le poing fermé de Kuun jaillit et s’abattit violemment entre les deux yeux du chasseur de primes, accompagné d’un craquement de mauvais augure pour le Trandoshéen. Ses yeux se voilèrent, il tituba puis s’écroula.



Tel’Ay rejoignit Kuun en silence, et tous deux retournèrent à leurs investigations. Les conversations, qui s’étaient tues pendant l’altercation, reprirent comme si rien ne s’était passé. Deux serveurs corpulents s’emparèrent du corps flasque et le jetèrent sans ménagement hors de l’établissement.
– Joli coup, commenta Tel’Ay. Je ne connaissais pas cette technique pour renforcer son poing avec la Force.
– J’aime assez, approuva Kuun. C’est plus discret que des éclairs de Force ou qu’un coup de sabrolaser. As-tu senti son horreur quand la dernière étincelle de vie a quitté son corps ?
– Je la savoure encore, répondit Tel’Ay en hochant la tête. Mais à l’avenir, sois plus attentif : il a réussi à te surprendre et cela lui a permis de te porter un coup.
– Tu as raison, j’étais trop sûr de moi, j’ai fait preuve d’arrogance, soupira Kuun. Cela n’arrivera plus, comptes-y. Bon, si nous retournions à nos moutons ? Il y a énormément de monde, ça ne va pas être facile de repérer nos proies.
– Tu crois ça ? rétorqua Tel’Ay en lui désignant le comptoir de l’établissement. Un gigantesque Togorien, à la fourrure noire striée de bandes blanches, s’en éloignait lentement. Bien que la cantina déborda de monde, le chemin qui le menait à sa table s’ouvrait comme par enchantement. Nul ne semblait vouloir chercher noise à cette imposante créature féline haute de deux mètres cinquante.
Les deux Sith le suivirent tranquillement : au vu de sa taille, ils ne risquaient pas de le perdre de vue. Il s’installa à une table où cinq autres Togoriens étaient déjà assis. Tous étaient bardés d’armes, de la simple vibro-dague au canon-blaster lourd.
– Sacrés bestiaux, commenta Kuun, quelque peu impressionné par le groupe.
– Ouais, bah j’ai deux mots à leur dire, répondit sèchement Tel’Ay en se dirigeant résolument vers eux.
Kuun lui emboîta le pas après avoir pris soin de vérifier que son sabrolaser était à portée de main.

La table des Togoriens se trouvait près d’un mur, et nul ne prenait le risque de s’en approcher à moins de deux mètres. Dès qu’ils virent Tel’Ay, suivi de près par Kuun, se porter vers eux sans hésitation, leurs miaulements, cris et rires cessèrent brusquement, et ils dégainèrent leurs blasters à l’unisson vers les deux importuns. Toute trace de détente avait déserté leurs yeux aux pupilles fendues, remplacée par une expression de mauvais augure. Les Sith s’arrêtèrent à un mètre de la table, et Tel’Ay prit la parole.
– Salutations, messieurs.
Il n’y eut pas de réponse. Que du silence et des expressions faciales tendues.
– Je suis à la recherche d’esclaves qui ont été mis récemment sur le marché. Des Rodiens. Cela vous dit quelque chose ?
Oui, songèrent les Sith dans le silence pesant, au vu du frémissement dans leurs esprits, perceptible dans la Force.
De son bras valide, Tel’Ay ouvrit lentement son long manteau, offrant à la vue des Togoriens son sabrolaser. S’il espérait les impressionner et les amener à coopérer, il en fut pour ses frais. Il sentit leur excitation, le défi et l’instinct de la chasse prendre le pas sur tout autre considération. Les Togoriens ouvrirent le feu. L’enfer se déchaîna.

Les deux Sith surent que les Togoriens allaient tirer une seconde avant qu’ils ne le fassent. Tout parut ralentir autour d’eux. Quand les doigts griffus et poilus des dangereux félins pressèrent la gâchette de leurs armes, Kuun et Tel’Ay étaient prêts, sabrolaser déjà allumés dans la main. Leurs lames irradièrent une lumière intense d’une chaude couleur orange vif.
Leurs lames se mirent à virevolter en tous sens pour parer les tirs de blaster, à une vitesse si rapide qu’elles ne furent rapidement plus que des taches floues dansant devant eux et semblant douées d’une vie propre. Les Sith ne furent guère impressionnés par le déluge de feu déversé sur eux : les Togoriens ne prenaient même pas la peine de les viser, se contentant de tirer dans leur direction. De ce fait, Kuun et Tel’Ay, parfaitement campés sur leurs pieds, n’avaient pas à parer tous les tirs et ignoraient ceux qui ne représentaient pas une menace pour eux.
En revanche, vu la densité de la foule dans la cantina, beaucoup de ces tirs perdus s’abattirent sur la clientèle derrière eux, semant mort, destruction et panique, mais ce n’était pas leur problème. Seuls leurs cibles comptaient.
Au bout de trente secondes sur la défensive, Tel’Ay murmura d’un ton froid :
– Je veux le grand rouquin vivant. On se débarrasse des autres.
– Comme tu veux, répondit Kuun, tendu et concentré.

Ils contre-attaquèrent au même moment : via la Force, Tel’Ay projeta violemment la table des Togoriens sur leurs adversaires, tandis que Kuun renvoyait désormais les traits de blaster sur la tête des tireurs. Trois tombèrent en moins de deux secondes, après quoi le Corellien éteignit son sabrolaser.
Tel’Ay bondit, tel un cobra attaquant ses proies, et abattit d’un double et gracieux moulinet deux autres Togoriens qui s’extirpaient des débris de la table.
Le dernier Togorien, à la fourrure rousse tachetée de noir, et qui allait tirer sur Tel’Ay avec ses blasters, vit avec stupéfaction ses deux armes lui être arrachées des mains par une pression invisible. Les blasters se posèrent aux pieds de Kuun, impassible.
Tel’Ay, par le truchement de la Force, balaya violemment le Togorien, qui alla s’écraser lourdement contre le mur derrière lui. Il s’écroula, le souffle coupé. Tel’Ay s’accroupit sur son adversaire et lui murmura froidement :
– Je réitère ma question : où sont les colons Rodiens de Velinia III ?
– Je…je ne vois pas de quoi tu parles, siffla le Togorien d’une voix rauque.
– Ça, c’est dommage, rétorqua Tel’Ay, en abattant son sabrolaser d’un geste sec sur l’épaule droite du Togorien.
Celui-ci ne cria pas mais écarquilla les yeux en voyant son bras se détacher de son corps. Sa terreur était parfaitement palpable dans la Force.
– On peut continuer à jouer longtemps à ce petit jeu, boule de poils : il te reste un bras, deux jambes, deux yeux et j’en passe. La Force me dit que tu mens, et parmi les crânes que tu arbores en décoration à ta ceinture, il y en a deux qui appartiennent clairement à des Rodiens. Qui plus est, ils sont trop propres pour être anciens. Alors, soit tu parles et tu restes en vie, soit je te découpe en tranches avant de te liquéfier le cerveau.
– Les Jedi n’agissent pas ainsi, miaula piteusement le Togorien, toute trace de bravade évanouie.
– Qui te dit que j’en suis un, crétin ? répliqua Tel’Ay avec un mince sourire torve.
La peur atteignit un nouveau palier dans les yeux du Togorien, et il répondit d’une traite.
– Ils ont été livrés aux Hutts qui les ont envoyés sur la planète Geddino pour extraire l’épice gélium. Leurs yeux à facettes sont très utiles pour traquer cette épice.
– Je vois ce que tu veux dire, fit Tel’Ay en se souvenant brièvement de ce qu’il savait sur l’épice gélium. Il y avait aussi quelques non-Rodiens parmi les colons. Ont-ils été envoyés au même endroit ?
– Non. Arbella la Hutt les a gardé pour son usage personnel.
– Et on peut la trouver où, la limace ?
– Sur Nal Hutta, je pense.
– Parfait. Tu as quelque chose a ajouter avant de mourir ?
– Mais tu avais dit que…
– J’ai menti, coupa Tel’Ay en posant sa main sur le front du Togorien.
Il lança une violente décharge de Force sur la présence psychique du Togorien, et il la regarda se dissoudre. Il se reput de ses dernières pensées, habitées par une terreur sans nom.
– Quel merveilleux spectacle, fit Kuun en souriant largement. On ne s’en lasse jamais…et nos traces sont couvertes.
Tel’Ay se contenta d’opiner du chef.

Nul n’osa s’interposer face à eux quand ils quittèrent les lieux. La pitoyable milice locale attendait sagement dehors et détourna le regard quand ils sortirent. Ce n’est que quand ils furent sûrs qu’ils ne reviendraient pas qu’ils investirent la cantina pour ramasser les morceaux et jouer les bravaches à contretemps.
Ils restèrent silencieux pendant qu’ils rejoignaient l’astroport, et Kuun sentait la fureur qui habitait Tel’Ay. Le Skelor finit par la transformer en énergie pour restaurer ses forces. Toujours domestiquer le Côté Obscur, ne jamais se laisser contrôler par lui. Telle était l’essence des enseignements de la confrérie de Maal Taniet. Ils furent arrêtés à l’entrée de l’astroport par une troupe dépareillée qui se donnait pompeusement le nom de « douaniers ». Les deux Sith n’avaient pas eu affaire à eux à l’aller car la philosophie locale était de laisser les visiteurs libres mais de les intercepter avant qu’ils ne repartent.
Il arrivait en effet que quelques visiteurs aient les moyens de payer la taxe de l’astroport en arrivant, mais que les circonstances de leur séjour fassent qu’ils soient entièrement ratissés au moment où ils voulaient repartir. Et qui n’était pas capable de payer la taxe était réduit en esclavage sur-le-champ.

A vrai dire, ni Kuun ni Tel’Ay n’étaient au fait de cette charmante coutume, et seul Kuun avait un peu d’argent. Quand les douaniers annoncèrent la somme extravagante qu’ils réclamaient aux deux Sith, ceux-ci échangèrent un regard plus ennuyé qu’autre chose. Ils mirent à contribution le Côté Obscur pour exercer leur spécialité, à savoir la manipulation des esprits faibles.
Les quatre douaniers furent persuadés d’avoir touché leur argent et laissèrent passer les deux amis. Quelques minutes plus tard, alors que les Sith décollaient, les souvenirs de l’heure écoulée s’évanouirent de l’esprit des miliciens.

– Alors, mon frère, demanda Kuun à Tel’Ay, Geddino ou Nal Hutta ?
– Ma famille a plus de chance de se trouver sur Nal Hutta, mon choix est donc déjà fait.
– Hum…
– Quoi, hum ? C’est un problème ?
– On peut être sur Geddino demain, mais il nous faudra pas loin d’une semaine pour rallier Nal Hutta. Si on va chercher ta famille en premier, nous laissons tes amis Rodiens dans les mines d’épice gélium au moins quinze jours. Tu connais comme moi les conditions de vie dans ces mines : à ton avis, combien seront encore en vie quand nous arriverons ?
Tel’Ay resta longtemps silencieux. Il s’était juré de sauver tous ses compagnons, et il ne faisait jamais de promesses vaines. Maal Gami, en même temps qu’il les avait éduqué sur la voie du Côté Obscur, leur avait inculqué le sens de l’honneur. Tel’Ay soupira bruyamment, comme vaincu par le poids de ses propres pensées. Kuun avait raison : ils devaient d’abord essayer de sauver le plus grand nombre.
– Geddino, dit-il simplement.
– Très bien, Tel-Ay. Je programme le cap.
– Envoie un message sur un canal officiel de la République et annonce que les colons de Velinia III se trouvent sur Geddino. Dès que nous les aurons libérés, nous pourrons repartir l’esprit libre, ils seront pris en charge.
– D’accord. Au fait, tu t’es pas mal débrouillé en bas, avec un seul bras.
– Peuh ! Il aurait pu me manquer mes deux jambes que ça n’en aurait pas été beaucoup plus difficile ! Tous ces minables, aussi nombreux soient-ils, ne peuvent pas rivaliser avec nous, car nous avons la Force.
– Oui, tu as raison. Les seuls qui peuvent éventuellement nous valoir sont les Jedi, mais nous faire connaître d’eux risquerait de sonner le glas de notre Ordre.
– Aussi devons-nous continuer à agir dans l’ombre. TiionSee est très éloigné des frontières de la République, il y a donc peu de chances pour que les Jedi apprennent ce qui s’est passé ici. Et de toute manière, ils n’ont aucune autorité ni prérogative en-dehors de la République.
– C’est vrai. Bon, on se le fait, notre deuxième round au sabrolaser ?
– Puisque tu es si impatient de mordre la poussière à nouveau, je ne vais pas te faire attendre plus longtemps !