Chapitre 6 : l’assaut

Tel’Ay et Kuun abandonnèrent le camion-speeder peu avant le coucher du soleil, après que Kuun ait affirmé qu’ils ne se trouvaient plus qu’à dix kilomètres de la mine, d’après les senseurs. Tel’Ay fut bien obligé de croire son ami sur parole, le senseur ne révélant à ses yeux que des jolies petites lumières se promenant sur des taches colorées.
Echaudés par leur arrivée en orbite autour de Geddino, ils avaient décidé d’un commun accord de faire une entrée discrète dans la mine, si cela s’avérait possible. Si leurs pouvoirs leur permettaient en effet de se fondre dans les ombres et de se dérober aux regards d’êtres vivants, ils n’avaient en revanche aucune incidence sur les détecteurs, radars et autres senseurs.
Ils commençaient à comprendre ce qu’avait voulu dire leur maître, Maal Gami, quand il avait pointé du doigt les lacunes de la Confrérie en matière de pouvoirs liés à la technologie. Comme d’habitude, il avait raison : les Sith devaient s’adapter pour survivre.

Ils s’approchèrent lentement, aux aguets. Sous leurs pieds, le sol montait tranquillement en pente douce, jusqu’à ce qu’au détour d’une saillie rocheuse, ils se retrouvent au pied d’un cratère mauve, escarpé et déchiqueté, et dont le sommet était coiffé par une coupole immatérielle bleuâtre. Ils virent en outre quelques tourelles cylindriques disséminées à intervalles réguliers sur la crête, toutes équipées d’un canon-blaster de taille assez respectable pour tenir la dragée haute à des croiseurs d’assaut.
– Il y a un champ de force, grimaça Kuun.
– Je vois cela. Tu as une idée de comment le désactiver ou le rendre momentanément inopérant, le temps qu’on le franchisse ? demanda Tel’Ay.
– Pas la moindre, reconnut le Corellien. On pourrait peut-être creuser un passage dessous ?
– Trop long, décréta Tel’Ay, pensif.
Il claqua soudain des doigts et dit :
– Nous sommes des imbéciles ! Jamais un camion-speeder ne pourrait franchir une telle crête, il y a forcément une entrée au niveau du sol ! Et il doit y avoir quelque chose comme une piste devant.
Ils mirent plus de deux heures à la trouver. Ce n’était pas tant l’obscurité qui les en avait empêché, car leurs pouvoirs leur permettaient d’adapter leur vision à différentes luminosités, mais elle était tout simplement très bien dissimulée.
A vrai dire, ce fut la Force qui la leur désigna. Tendus dans la recherche de leur objectif, ils sentirent la Force les titiller à un endroit précis. A force de concentration, ils parvinrent à ressentir la présence d’une porte métallique dissimulée derrière un pan de mur rocheux. Ils réussirent même à en voir les contours, pourtant quasiment invisibles à l’œil nu.

La trouver fut le signal de la fin de cette interminable journée. Ils avaient énormément tiré sur leurs réserves et sauté deux repas : l’épuisement n’était pas loin. Ils devaient impérativement reprendre quelques forces, car ils allaient en avoir grand besoin d’ici peu.
Ils se mirent rapidement d’accord sur la marche à suivre : chacun se posta d’un côté de la porte, et Tel’Ay se roula en boule dans un coin. Il se plongea aussitôt dans une transe qui allait faussement – car sa fatigue ne serait que masquée – lui rendre l’intégralité de ses forces à son réveil, et pour quelques heures seulement. Kuun prit le premier tour de garde. Il réveillerait Tel’Ay au milieu de la nuit pour qu’ils inversent les rôles, sauf si les choses bougeaient avant.
L’attente commença.

Tel’Ay prit son tour de garde quatre heures plus tard, et Kuun put enfin goûter à quelque repos. Deux heures passèrent encore et, alors que les premières lueurs de l’aube se profilaient à l’horizon, l’instinct et l’ouïe de Tel’Ay perçurent du mouvement venant du cratère.
Il effleura l’esprit de Kuun d’une caresse mentale et eut la satisfaction de voir le Corellien bondir sur ses pieds en un éclair, pleinement réveillé et sabrolaser à la main, aux aguets.
– Tâchons d’entrer discrètement, murmura Tel’Ay.

La porte monumentale commença à s’ouvrir dans un bourdonnement diffus : bâti sur le principe d’une herse, ce grand carré de dix mètres de côté s’abaissa lentement. Les Sith se collèrent à la roche quand cinq camions-speeders en sortirent à allure réduite. Ils se faufilèrent à l’intérieur du couloir sombre ainsi révélé dès que la porte commença à se relever.
Ils arpentèrent prudemment le long corridor, qui semblait taillé à même la roche, et au bout duquel un petit point lumineux était visible. Ils ne firent que quelques pas que des gyrophares rouges sang s’allumèrent tout autour d’eux, accompagnés par une alarme stridente et un avertissement sortant de haut-parleurs invisibles : « alerte, intrus, alerte, intrus, alerte… »
– Ça, c’est pour nous, murmura inutilement Kuun.
Devant eux, la lumière aperçue décrut rapidement : une paroi métallique se mit à descendre lentement, obstruant l’ouverture.
– Ils nous enferment ! siffla Tel’Ay. C’est maintenant que les choses sérieuses commencent !

Ils eurent à peine le temps d’arriver à la porte close qu’un sifflement s’ajouta à la cacophonie ambiante. Une épaisse fumée blanchâtre jaillit d’interstices voilés et se mit à envahir le sombre tunnel.
– Du gaz, souffla Tel’Ay après avoir humé brièvement l’atmosphère.
– Non mais pour qui est-ce qu’ils nous prennent, ces ânes ? Ils n’espèrent quand même pas nous arrêter avec du gaz ?
– Bah, en même temps, ils ne savent pas à qui ils ont affaire. En tout cas, il faut sortir d’ici et vite, conclut le Skelor.
Ils agirent sur leur métabolisme, par le truchement de la Force, afin de filtrer les vapeurs toxiques.
Kuun activa son sabrolaser et asséna un coup puissant sur la porte massive. Une simple éraflure apparut. Tel’Ay lui tapota l’épaule et lui montra le haut. Kuun comprit et, mobilisant la Force, sauta d’une dizaine de mètres pour se retrouver en équilibre précaire sur un surplomb rocheux au-dessus de la porte. Quelques coups de sabrolaser suffirent pour dévoiler l’espace vide qui la contenait quand elle était relevée.
Il fit signe à Tel’Ay de le rejoindre dès qu’il eut repéré une trappe de maintenance, tout en haut de l’espace vide. D’une simple pensée, il arracha le panneau grillagé qui en condamnait l’accès, et sauta pour atteindre cette nouvelle position. Il pénétra sans mal dans le tunnel de maintenance, conduit cylindrique d’un mètre de diamètre. Avant de s’y engager plus avant, il se retourna et tendit la main vers Tel’Ay, le Skelor n’ayant qu’un bras pour s’accrocher.
Ils rampèrent dans le conduit obscur une bonne demi-heure, guidés par Tel’Ay, qui indiquait à son compagnon quelle route suivre quand ils arrivaient à un embranchement. Le Skelor avait toujours eu un don certain pour l’orientation. Ils s’arrêtèrent finalement devant une grille et scrutèrent les lieux par-delà.
Les sirènes s’étaient tues, mais les gyrophares continuaient à projeter leurs flashs lumineux. De leur position, ils surplombaient une petite place carrée à ciel ouvert. Sur leur gauche, il y avait un hangar massif en permabéton, dont la grande porte était ouverte. Des wagonnets automatisés et posés sur des rails y entraient, emplis d’une sorte de poudre violette. D’autres en ressortaient, vides, et repartaient vers la droite, en direction d’un gouffre béant. Un bras métallique muni d’une grosse pince se chargeait d’accrocher les wagonnets vides à une grande roue qui tournait paresseusement au bord du gouffre, tandis qu’un autre décrochait les wagonnets pleins pour les installer sur les rails conduisant au hangar.

L’épice gélium. Elle avait fait son apparition une vingtaine d’années auparavant, découverte par un Hutt du nom de Varruka. Les Hutt étaient capables de voir dans l’infrarouge, mais Varruka, servi par une mutation génétique, était en plus capable de percevoir le spectre lumineux dans lequel l’épice gélium était visible. Il s’était beaucoup intéressé à cette substance d’origine minérale, et des tests en laboratoire avaient révélé qu’il s’agissait d’une substance à caractère psychotrope.
Les Hutt étaient des trafiquants dans l’âme, aussi Varruka avait-il vite mis sur pied l’extraction de la substance, après avoir découvert que les Rodiens aussi, grâce à leurs yeux à facettes, pouvaient la voir. Geddino était la seule source d’approvisionnement connue, et son exploitation fut rapidement rentable. Le seul inconvénient résidait dans la fragilité même de l’épice : sans que quiconque ait pu l’expliquer, elle avait à plusieurs reprises perdu ses qualités psychotropes sur les différents sites d’exploitation.

Tel’Ay et Kuun étaient sur le qui-vive. De leur position, ils ne distinguaient personne, ni humanoïde ni droïd, ce qui ne manquait pas de les interpeller vu l’état d’alerte qui régnait. Ils perçurent confusément quelques formes de vie à l’intérieur du bâtiment, et en sentirent beaucoup d’autres dans le gouffre.
Ils détachèrent le panneau grillagé et sautèrent en bas de la place, prêts à tout. Ils avaient à peine touché terre qu’un sifflement métallique diffus se fit entendre, ainsi que des bruits de pas, comme lors d’une parade militaire.
Ils ne tardèrent pas à voir des droïds surgir du hangar. Longiliformes, avec de minces membres cylindriques, ils étaient équipés d’articulations en forme de boules protubérantes. Leur tête, qui se terminait en pointe, était équipée d’yeux ronds et rouges, et un mini fusil-blaster était intégré à chaque bras.
Les premiers arrivés se mirent à tirer sur les deux intrus, qui n’eurent aucun mal à parer grâce à leurs sabrolasers. Mais d’autres survinrent, encore et encore, et les tirs se multiplièrent. Bien à l’abri derrière les droïds assassins, deux Weequays pointèrent bientôt le bout de leur nez difforme.
– Les droïds ont des photorécepteurs à infrarouge, beugla Kuun pour se faire entendre, il faut qu’on fasse baisser notre température corporelle !
Il bénéficiait d’une grande maîtrise de son corps et n’eut pas de mal à agir sur son métabolisme. Comme il l’avait prévu, ses assaillants se désintéressèrent de lui. Les capacités de Tel’Ay en la matière étaient bien moindres, aussi se retrouva-t-il bientôt acculé près du gouffre. De plus en plus de tirs s’abattirent sur lui.
Kuun se jeta sur les droïds, sabrolaser en avant, mais ils étaient trop nombreux : à chaque fois qu’il en abattait un, deux ou trois prenaient aussitôt la relève. Et ce qui devait arriver arriva. Tel’Ay fut touché. Un tir carbonisa son épaule, un autre sa cuisse gauche, et un troisième vint lui déchirer les entrailles. Il bascula dans le gouffre sans piper mot.

Kuun vit cela du coin de l’œil, et une rage froide l’envahit. Il sentit la colère et la haine se répandre dans toutes les cellules de son corps, mais parvint à garder le contrôle. La force des membres de la Confrérie venait de leur maîtrise du Côté Obscur. Le plus grand danger qu’il leur fallait craindre était qu’il se mette à les diriger : c’est ce qui avait perdu les anciens Sith.
L’entraînement de toute une vie prit le dessus, et le Côté Obscur redevint le fidèle serviteur de Kuun. Il reprit son ballet de mort, conscient des mouvements à venir de chaque droïd et des deux Weequays. Nul ne pouvait s’opposer à lui. Il était à la fois partout et nulle part. Il lui fallut moins de dix minutes pour être le dernier debout. Autour de lui, des dizaines de carcasses de droïds fumaient. Les Weequays n’avaient même pas eu le temps d’avoir l’air surpris avant qu’il ne les fauche.
L’inquiétude et une grande lassitude s’emparèrent de lui tandis qu’il se rapprochait du bord du gouffre. Il allait devoir récupérer la dépouille de son frère d’armes, de son ami.
Déconcentré par ses pensées et subissant le contrecoup de ses efforts, Kuun n’entendit pas le Nikto s’approcher de lui. Caché derrière le hangar, il portait un fusil-blaster avec lunette. Il mit Kuun en joue, et dès qu’il eut sa tête en ligne de mire, il tira.

Quand les droïds se mirent à s’acharner sur lui, Tel’Ay Mi-Nag comprit qu’il ne réussirait pas à s’en sortir. Nul défaitisme dans cette pensée, juste une constatation amère mâtinée d’un immense regret : il avait échoué. Déçu son maître, trahi ses amis et sa propre famille.

Etrangement, il ne ressentit aucune douleur quand son épaule fut brûlée, même s’il lâcha son sabrolaser sous le choc. La plaie béante qui déchira sa cuisse aussitôt après ne lui fit également que peu d’effet, tandis qu’il titubait vers le bord du gouffre.
le troisième tir, celui qui le cueillit en plein ventre, ouvrit la porte à des souffrances terribles. Ce fut comme si elles avaient été libérées soudainement, comme si une digue avait cédé. Même les rochers qui l’avaient enterré vivant sur Velinia III, après lui avoir broyé le bras, n’avaient été qu’un amuse-gueule en matière de douleur, comparé à ce tir de blaster. Une sensation d’exploser de l’intérieur. Littéralement.

Le choc fut tel qu’il fut projeté en arrière, et il chut dans le gouffre, vers sa mort, inéluctable. Il sentit que sous lui, dans les ténèbres, les Portes des Huit Enfers Skelors s’ouvraient pour l’accueillir. Il se relâcha complètement, s’ouvrit pleinement aux dernières sensations qu’il éprouverait jamais dans cette vie.
Il ne toucha jamais le sol pierreux de la mine. Son corps s’enfonça dans une substance douce et tendre, dans une étreinte presque amoureuse. Comme un lit de plumes, ou la neige la plus poudreuse de Hoth. Plus prosaïquement, l’immense cuve où les wagons, remontant des tunnels creusés par les esclaves Rodiens, venaient déverser leur précieux chargement. L’épice gélium.
Les dix minutes qui suivirent furent une éternité, ou un clin d’œil peut-être. Un picotement doré – comment un picotement pouvait-il avoir une couleur ? Tel’Ay l’ignorait – parcourut son corps agonisant, usé par trop d’épreuves traumatisantes. Quelque chose se fraya un chemin en lui. Non. Pas en lui. A travers lui. A la recherche d’entités qu’elle savait trouver là. Elle se rua sur elles et entra en contact avec. L’épice gélium fusionna avec les midi-chloriens présents en masse dans le Skelor connu sous le nom de Tel’Ay Mi-Nag.
Il vit, dans un kaléidoscope délirant, des images s’entremêler devant ses yeux. Toutes distinctes et confuses à la fois. Passé, présent et avenir, peut-être. Ou autre chose, qu’il n’était pas capable d’appréhender…

…un minuscule gnome à grandes oreilles pointues, aussi vert que le sabrolaser qu’il portait à la main, vêtu d’une tunique de Jedi, se ruer sur lui et le désarmer avec une facilité déconcertante…
…la compréhension d’un concept jusque-là abstrait pour lui, et qui portait le nom de « amour », quand son regard avait croisé celui de Dibidel pour la première fois….
…son sabrolaser déchirer la tunique et la poitrine de Kuun Hadgard, son seul véritable ami, son frère…
…toutes les plaies de son corps se refermer, se réparer sous ses yeux, et son bras invalide et racorni se regonfler jusqu’à redevenir intact…
…les corps noircis, calcinés, de sa femme Dibidel et de son fils Ro’Lay, enveloppes corporelles vidées de toute vie…
…Kuun Hadgard regarder, du haut du gouffre, la cuve dans laquelle Tel’Ay était plongé, sans avoir conscience qu’un sniper allait lui faire exploser la boîte crânienne d’ici deux secondes…

C’est avec cette dernière vision qu’un point de rupture fut atteint, quelque part en Tel’Ay. Il ne fut que spectateur de la scène qui suivit, tout en en étant l’acteur. Tel un missile, il jaillit des particules d’épice qui le recouvraient, et son saut d’une vingtaine de mètres l’amena au-dessus de Kuun, qui semblait se mouvoir au ralenti.
Le sabrolaser de Tel’Ay se souleva du sol, s’alluma et sa lame vint à la rencontre du tir du blaster du Nikto. Le trait rouge repartit d’où il était venu et vint carboniser le haut du crâne du sniper.
Tandis que Tel’Ay lévitait pour atterrir doucement aux côtés de son condisciple, son sabrolaser vint se nicher dans sa main tendue.
Il n’eut jamais, durant cet instant, l’impression d’avoir agi sciemment. Quand il en parlerait, bien plus tard, on lui répondrait que sa connexion à la Force avait été telle qu’il l’avait laissée le guider, inconsciemment. Mais au fond, il savait que ce n’était pas la vérité. Il n’avait été qu’un instrument dans les mains de quelque chose qui le dépasserait toujours, bien au-delà de sa compréhension d’être mortel insignifiant et soi-disant pensant.

Dès qu’il eut repris son contrôle, il fit ce qui lui parut être le plus logique arrivé à ce stade. Il s’écroula aux pieds de Kuun et s’évanouit.