Chapitre 8 : Icksimma

Maddeus Oran Lijeril se tourna vers ses pairs, membres comme lui du Conseil Jedi. La sérénité qui régnait d’habitude dans la salle de réunion du avait laissé place à un certain malaise. Les yeux du Nikto se posèrent à nouveau sur le projecteur holographique. Ils venaient de voir un holo qui leur avait été transmis par les Renseignements de la République. L’enregistrement avait été réalisé quelques jours plus tôt sur une planète nommée TionSee, en bordure des territoires Hutt.
Dessus, deux humanoïdes encapuchonnés anéantissaient un groupe de Togoriens…à l’aide de sabrolasers qu’ils maîtrisaient parfaitement. S’il s’agissait de Jedi, il fallait impérativement leur mettre la main dessus, car le Conseil n’avait autorisé aucune mission sur TionSee. Et s’il s’agissait de non-Jedi, il fallait s’assurer qu’ils ne représentaient pas une menace pour la galaxie.
De plus, à cet holo s’ajoutait désormais le rapport du capitaine du Vaillant : prévenu que des Rodiens, colons de la République, avaient été réduits en esclavage sur Geddino, libérés et attendaient d’être rapatriés, il avait été vérifier ces assertions et en était lui aussi revenu avec des histoires impliquant deux humanoïdes maniant le sabrolaser.
– Il faut envoyer quelqu’un enquêter sur ces événements, annonça Maddeus.
– Je suis d’accord, répondit Tempeï-Liy, maître Caamasi. Mais qui désigner ? La mission est peut-être dangereuse, surtout en-dehors de l’espace républicain.
– Il nous faut un maître confirmé, poursuivit Maddeus. Pourquoi pas vous, maître Yoda ? fit-il en se tournant vers un petit être vert aux grandes oreilles, qui semblait être en méditation.
– Hum, achevée la formation des nouveaux éducateurs Jedi étant, possible il est à nouveau que je m’absente du Temple.
– Cela fait bien longtemps que vous n’avez pas été sur le terrain, maître Yoda, renchérit Tempeï-Liy, il serait bon pour l’Ordre qu’on entende à nouveau parler de vous, malgré vos exploits déjà légendaires !
– Exploits ? Poudre aux yeux que ces exploits. Ce ne sont pas eux qui font les Jedi mais la Force. Des garants de la paix nous sommes, avant toute autre chose. Mais toujours bon il est de renouer le contact avec la vie hors du Temple. Enfermés dans leur tour d’ivoire les Jedi ne doivent pas rester.
– Alors, c’est entendu, acquiesça Maddeus, maître Yoda ira enquêter sur ces événements !


***
Tel’Ay et Kuun passèrent les premiers jours en hyperespace à récupérer des efforts consentis sur Geddino, et Tel’Ay était très impatient d’arriver sur Nal Hutta. Dibidel et Ro’Lay avaient besoin de lui. Mais au bout de trois jours, à la moitié de leur voyage, l’hyperdrive rendit l’âme.
Il y avait un bruit anormal parmi les ronronnements sourds et discrets des moteurs, mais comme ils étaient incapables d’en déceler la cause et encore moins d’y apporter une solution, ils avaient fait avec, espérant qu’il n’y aurait pas de conséquence.
Vœu pieu. Ils furent brutalement éjectés de l’hyperespace et le navire partit aussitôt en vrille, capté par l’attraction d’une planète aux tons pastels, avec une dominante blanc et vert. Le temps qu’ils viennent s’harnacher sur leurs sièges du poste de pilotage, la planète occupait la majeure partie du panorama au-delà du cockpit.
Aucun mot ne fut échangé, tandis que Kuun se mit à se battre avec les commandes pour redresser la course folle de l’engin endommagé. Dès qu’il y fut parvenu, et alors qu’ils commençaient à respirer, des explosions de bruit et de lumière retentirent autour de la carlingue.
– Mais…on nous prend pour cible, ma parole, dit Kuun, désabusé.
– Ça aurait pu être pire, maugréa Tel’Ay, on a eu le temps de prendre notre petit déjeuner. Si nous sommes pulvérisés, ce sera le ventre plein.
– C’est fou comme ça me remonte le moral. T’as d’autres âneries dans le même genre à me sortir ?
Tel’Ay ne répondit pas et scruta les senseurs, exercice auquel il s’était livré avec beaucoup d’application ces trois derniers jours. Il avait beau détester les joujoux technologiques, il commençait à admettre que leur compréhension était tout vitale.
– Notre assaillant est au-dessus de nous, sur bâbord, reprit-il. Il ne semble pas vouloir quitter les couches supérieures de l’atmosphère.
– Et nous sommes déjà hors de sa portée, ajouta Kuun en constatant que les explosions se faisaient de plus en plus lointaines.
Il reprit tant bien que mal le contrôle de l’appareil, et Tel’Ay le guida de son mieux. Une vaste portion de la planète était recouverte d’un océan nacré, et le Skelor repéra la terre ferme et des signes de vie.
– On risque de tomber de Charybde en Scylla, fit remarquer Kuun en se dirigeant vers le point indiqué par son compagnon.
– En effet. Mais si nous tombons sur les petits copains de ceux qui nous viennent de nous canarder, je préfère me battre au sol, sabrolaser à la main, que dans la mer.
– Ne te plains pas, toi au moins tu es amphibien. Moi, je ne sais même pas nager…

La valse des explosions reprit, en provenance du sol, cette fois-ci. N’ayant aucun dieu à prier pour leur salut, ils serrèrent les dents, et espérèrent pouvoir atterrir avant d’être réduits en miettes. Ils avaient presque réussi quand un rayon de turbolaser vint s’écraser sur leur navire, avec la force d’un coup de marteau géant. La coque résista. Kuun ralentit, pour que les moteurs d’appoint prennent le relais et leur permettent de se poser. Aucun de ces moteurs ne répondit côté tribord, et le vaisseau se retourna brusquement sur lui-même, avant de s’écraser dans les eaux, à quelques dizaines de mètres seulement d’une plage de sable blanc.
Harnachés dans leurs sièges, la tête en bas, ils s’extirpèrent maladroitement de leurs sièges. Tel’Ay voulut déclencher l’ouverture de l’écoutille supérieure et fut arrêté à temps par Kuun.
– Bougre de crétin, réfléchis un peu ! le rabroua-t-il. Le haut du vaisseau est sous nos pieds ! Ouvre la soute !
La rampe de la soute commençait à peine à s’ouvrir paresseusement qu’une voix féminine leur parvint de l’extérieur :
– Vous allez bien, mes frères ? Je suis ravi de vous voir. Je craignais que ma demande de renforts ne soit pas parvenue au Temple ! dit-elle en leur tendant la main pour les aider à s’extraire de la carlingue qui s’enfonçait lentement dans les eaux.
Humaine, musclée, la trentaine. De longs cheveux noirs en bataille, des yeux verts. Des traits avenants, illuminés par un sourire. Des formes opulentes mal dissimulées par une tunique dans les tons ocres. Indubitablement Jedi.


***

La petite créature encapuchonnée traversa la grande place d’un pas pressé. Personne ne faisait attention à elle. Il neigeait beaucoup. La place centrale de Kil’lian, capitale de TionSee, noire de monde comme à l’accoutumée, n’était qu’un vaste bourbier. Personne ne remarqua que les pieds de l’être ne s’enfonçaient pas dans les flaques boueuses, comme s’ils ne faisaient que les effleurer.
Tous les sens en éveil, maître Yoda remontait la piste, en suivant le fil ténu de la trace laissée dans la Force par les deux mystérieux utilisateurs de sabrolasers. Dans la cantina où les deux êtres s’étaient débarrassés des Togoriens, les derniers doutes qui subsistaient se dissipèrent. La Force avait été à l’œuvre ici…le Côté Obscur était presque palpable.
Les craintes formulées sur Coruscant prenaient corps. Tout le conduisait à des êtres formés aux arts Jedi et qui utilisaient le Côté Obscur de la Force. Restait à savoir s’il s’agissait de Jedi dévoyés, ou d’êtres issus du Côté Obscur. A ce stade, Yoda ne pouvait se prononcer. Le souvenir des Sith se perdait peu à peu dans la mémoire de l’Ordre, mais pour lui, qui était né à peine une centaine d’années après la bataille de Ruusan, leur mention était encore monnaie courante par ses professeurs, qui avaient vécu ces sombres événements.
Il lui semblait bien peu probable que des Sith aient survécu. La logique voulait qu’il s’agisse de Jedi. Mais il savait également que la logique ne tenait pas une place énorme dans un univers régi par la Force.
Il regagna son vaisseau, fit son rapport holo au Temple, et décolla. Direction Geddino, où la traque reprendrait.


***

Tel’Ay et Kuun, vêtus de combinaisons et de capes noires, ne ressemblaient pas à des Jedi, au niveau vestimentaire. Durkiga Stilon, la Jedi venue à leur rencontre, n’y prêta pas attention : il existait des exceptions à cette règle, souvent pour raisons culturelles. Quelques écoles Jedi, de moins en moins nombreuses, existaient en-dehors du Temple sur Coruscant. Durkiga pensa que Tel’Ay et Kuun avaient été formés dans l’une d’elle. Ils ne firent rien pour la détromper.
Leur problématique était simple : fuir le plus vite possible. De plus, il était impossible de laisser vivre cette Jedi, leur sécurité en dépendait. Seul hic : leur vaisseau avait achevé de couler et reposait désormais par cinq mètres de fond.
Profitant du quiproquo, ils la convainquirent qu’ils étaient en mission pour l’Ordre et qu’ils devaient repartir sur-le-champ. Malheureusement pour eux, Durkiga menait une guerre ici – Icksimma était le nom de la planète, comme ils ne tardèrent pas l’apprendre – et n’avait pas de petit transporteur à leur fournir. Ils durent se résigner : ils ne pourraient quitter la planète que lorsque leur vaisseau serait réparé. Ils allaient donc devoir continuer à jouer aux Jedi.
– Bon, quel est le problème sur Ekzima ? demanda Tel’Ay, résigné.
– Icksimma, corrigea Durkiga. L’autorité du gouvernement légitime est mise à mal par une rébellion. En gros, disons que les dirigeants sont des urbains et qu’ils dépendent des ruraux. Ces derniers estiment être spoliés et exploités, et ont déclenché une guerre civile.
– Vous n’avez pas tenu une table ronde avec tous les belligérants ? demanda Kuun avec un sourire enjôleur.
– J’ai essayé pendant des semaines, mais les rebelles ne veulent rien entendre. Ils sont décidés à aller au bout, avec tous les dégâts collatéraux qui iront de pair.
– Faites tuer les chefs et votre problème sera résolu, lança Tel’Ay.
– Pardon ?
– Euh, en dernier recours, je veux dire…si vous n’arrivez pas à les capturer. Chaque seconde de conflit supplémentaire envenime la situation. Tant que la guerre subsiste, les rancœurs augmentent.
– Vous parlez d’or, mon frère. Mais cette idée de meurtre ou de capture me répugne assez, je dois l’admettre. J’espère que les rebelles vont se rendre compte de leur erreur et du mal qu’ils font.
– Et si ce n’est pas le cas ? demanda Kuun.
– Franchement, je ne sais pas. Je suis une diplomate, pas une guerrière. Je ne suis pas qualifiée pour mener un conflit de cette manière, d’où ma demande de renfort auprès de l’Ordre.
– Pourtant, vous dites que vous menez la guerre ?
– Si on veut. En fait, je mène les troupes qui protègent la capitale. Même si j’ai conscience que ce n’est qu’un pis-aller. Je n’ai pas la solution du problème…je ne peux qu’essayer de limiter les pertes en vie.
– Pour ma part, je préconise que nous adoptions un profil plus agressif. La défense est certes le premier précepte, pour nous autres Jedi – en prononçant ces mots, Tel’Ay espéra que le ton employé n’était pas trop ironique. Mais nous devons passer au deuxième stade, celui de l’attaque préventive.
– Vous avez déjà eu affaire à ce genre de situation, visiblement. Je vous en prie, prenez la main, je me range volontiers sous vos ordres.
– Très bien, soupira Tel’Ay, voyons ce que nous pouvons faire. Pouvez-vous donner des ordres pour que notre vaisseau soit réparé ?
– Bien sûr, répondit Durkiga en sortant son comlink.
Kuun détourna la tête rapidement – trop – quand Tel’Ay le surprit à déshabiller la Jedi du regard.

Elle les fit monter à bord de son landspeeder et les mena vers les anciens faubourgs de la ville, spectacle de ruines, parfois encore fumantes. Quelques pans de mur avaient résisté aux assauts violents. Partout la même vision de désolation et de destruction. Une odeur persistante de brûlé leur attaqua la gorge, tandis que Durkiga les menait dans la ville même, ceinte d’antiques remparts de pierre.
Ils rejoignirent le quartier général, pièce chiche et toute en longueur à l’intérieur même du rempart. Une dizaine d’hommes, un hologramme de la vallée avoisinante en temps réel, et de petites silhouettes holographiques qui donnaient et recevaient des ordres : tel fut le tableau qu’ils découvrirent en arrivant.
Après avoir été brièvement saluée par ses hommes épuisés, qui ne firent que hocher la tête en direction des nouveaux venus, elle leur présenta la situation icksimati.
– Les forces des Loyalistes et des Sécessionnistes se valent : il y a quelques milliers de combattants de chaque côté. Niveau armement, il n’y a rien de plus lourd que quelques lance-missiles et surtout des tanks. Quasiment tous les combattants ont des blasters. Les Loyalistes ont un croiseur en orbite, mais les Sécessionnistes se sont emparé du canon-blaster anti-aérien, situé de l’autre côté des collines, ce qui leur permet de tenir le croiseur à distance.
– Nous avons rencontré les deux, ma chère, précisa Kuun en arborant un sourire éblouissant.
Tel’Ay n’était pas un spécialiste des expressions faciales humaines, mais il connaissait bien son ami : s’il n’y mettait pas bon ordre rapidement, les choses risquaient de dégénérer. Selon lui, Kuun était d’autant plus ridicule que la Jedi s’en tenait à un formalisme strict : elle ne semblait avoir en tête que la résolution du conflit en cours.
– Mon général, j’ai des informations, annonça un soldat dépareillé, arrivé en courant vers eux. Les nouvelles se confirment : les forces des Sécessionnistes se mettent en branle. D’après nos espions, ils veulent en finir.


***

Meros V. Officiellement, Séis méditait, dans un cratère bouillonnant de lave, comme de juste. Une fois de plus, il avait subi une remontrance de la part de Maal Gami, qui l’avait « accusé » de ne pas prendre ses devoirs de Sith suffisamment au sérieux. De ne pas chercher à affiner sa connexion à la Force.
Séis avait présenté une expression contrite, alors qu’il jubilait intérieurement. Grâce aux enseignements de la voix dans sa tête, il explorait des voies de la Force qui resteraient à jamais fermées au Maître de la Confrérie. Depuis peu, cette voix avait d’ailleurs un nom : la personne qui le contactait lui avait dit s’appeler Dark Omberius, et revendiquait le titre de seul véritable Maître Sith.
Séis l’avait cru, car ses conseils s’étaient toujours avérés judicieux jusque-là, et son aide précieuse lorsqu’il avait éliminé les successeurs désignés de Maal Gami. Ce jour-là, alors qu’il était assis en position du lotus dans son cratère, Dark Omberius lui donna la clé de la suprématie sur Maal Gami, lors d’une conversation « mentale ».
– Mes recherches sur ton Ordre et ton maître ont porté leurs fruits, jeune Séis. Je suis parvenu à reconstituer l’histoire de Maal Taniet, le fondateur de la Confrérie à laquelle tu appartiens. Tu as beaucoup de chance, car ce que je vais t’apprendre va définitivement asseoir ta supériorité sur tes soi-disant pairs.
– Je suis tout ouïe, mon maître.
– Maal Taniet a vécu aux temps de la création de la Confrérie des Ténèbres par le seigneur Kaan, il y a six cent ans environ. Il en a même fait partie un moment, avant de la quitter, dégoûté par le fait que l’organisation était chaotique, avec sa pléthore de Sith portant le titre de Seigneurs Noirs. Ce qui va t’intéresser, c’est qu’il n’est pas parti les mains vides : en plus d’avoir emmené deux autres Sith avec lui comme élèves, il possédait un artefact Sith. Le Gant de Vèntorqis.
– Vous en êtes sûr, mon maître ? Je n’ai jamais entendu parler de cela.
– Douterais-tu déjà de moi, après tout ce que je t’ai appris ?
– Non, bien sûr, mon maître ! Qu’en est-il de ce Gant ?
– C’est un de ces nombreux artefacts Sith qui ont été créés à travers les siècles. Maal Taniet en était le gardien. La légende veut que celui qui le porte devienne invincible.
– Et quelle est la part de vérité contenue dans cette légende, mon maître ?
– Petite, une fois les affabulations et exagérations mises de côté. Mes informations sont fiables et indiquent que le Gant de Vèntorqis permet de canaliser la Force dans une certaine mesure. La puissance ainsi récoltée peut être utilisée par son détenteur comme bon lui semble. Es-tu prêt à t’affranchir enfin de la tutelle de ton vieux maître ?
– Je n’attends que cela depuis des années, mon maître ! Ordonnez et j’obéirais !
– Bien. dans ce cas, écoute-moi attentivement : les pouvoirs que je t’ai enseignés te permettent de te rendre invisible dans la Force. Grâce à eux, tu vas pouvoir t’emparer du Gant sans que quiconque s’en aperçoive. Il te donnera une puissance suffisante pour vaincre Maal Gami, et anéantir tous ses pitoyables élèves. Je te l’ai déjà dit et je te le répète, tu vaux beaucoup mieux qu’eux : le simple fait que nous avons réussi à établir une communication à travers la Force le prouve. Une fois que tu les auras tous exterminés, tu me rejoindras et je commencerais à te former dans la vraie voie des Sith, dans laquelle tu me succéderas le moment venu.
– Merci, mon maître. Je suis votre serviteur zélé.
– Et maintenant, va, mon apprenti. Va leur montrer à tous la vraie nature du Côté Obscur !
– Avec joie, mon maître.


***



Tel’Ay et Kuun tinrent un rapide conseil de guerre avec Durkiga Stilon et ses généraux. Ils eurent vite la confirmation qu’elle n’y connaissait pas grand-chose en matière de guerre. Ses aides, bien que vétérans, n’avaient pas l’air beaucoup plus compétents, sauf en logistique. Tel’Ay, comme tout Tanietien qui se respectait, craignait les Jedi : ils étaient puissants et intelligents, et il en avait un exemple type sous les yeux. Cette Stilon, bien que novice en stratégie, avait su s’entourer de personnes qui palliaient à ses propres carences. Le fait qu’elle reconnaisse ses limites et soit capable de les surmonter par d’autres moyens faisait qu’il ne fallait pas la sous-estimer.
Tel’Ay était par contre très déçu par Kuun, qui semblait avoir radicalement changé depuis qu’ils avaient rencontré la Jedi : c’était comme s’il ne pensait plus qu’avec ses hormones. De graves ennuis pouvant éventuellement en découler, il lui faudrait le tenir sérieusement à l’œil.

Lors de ce conseil de guerre, les stratégies décrites furent tout à fait classiques : les mieux armés allaient l’emporter, d’après ce que les deux Sith entendirent. Le problème étant que d’après Stilon et ses généraux, les forces en présence s’équilibraient.
Bien que l’ennemi fut en route, Tel’Ay prit le temps de redéfinir le rôle des soldats et élabora une nouvelle stratégie, malheureusement grossière car il ne pouvait se permettre de faire durer cette réunion plus d’une demi-heure. Quand les Sécessionnistes apparurent, deux heures plus tard, et avancèrent vers la ville, ils étaient prêts à les recevoir.

A première vue, la position des Loyalistes était précaire, car la capitale qu’ils défendaient se trouvait au fond d’une vallée cernée de hautes collines, par lesquelles l’ennemi arrivait. Derrière la ville se trouvait l’embouchure d’un vaste estuaire, qui débouchait sur l’océan, mais Stilon et ses généraux avait affirmé que les Sécessionnistes ne disposaient pas de flotte de guerre. La précarité venait du fait que les Loyalistes n’avaient pas de quoi faire évacuer la ville si celle-ci se retrouvait investie. Ils n’avaient qu’une option : vaincre ou mourir.
Les faubourgs de la capitale, dont Tel’Ay n’avait même pas demandé le nom, avaient été ravagés par les batailles précédentes. Y cacher des hommes avait été la première idée de Tel’Ay, mais ils auraient été trop vulnérables. Retarder l’avancée de l’ennemi aurait pu s’avérer précieux, mais ils y seraient certainement tous restés. A vrai dire, cela n’aurait pas dérangé Tel’Ay, qui se moquait éperdument du conflit en cours, mais il lui fallait donner le change à Durkiga Stilon et jouer son rôle de Jedi, le temps que leur transporteur soit remis en état. Sa stratégie devait donc être dévastatrice pour l’ennemi, mais devait épargner le plus de vies loyalistes.
Une rangée de tanks était disposée au pied des remparts, à l’abri du champ de force qui protégeait la ville. Ce dernier monopolisait toutes les ressources énergétiques disponibles, et fut activé dès que le premier ennemi fut en vue. D’après les estimations de Durkiga Stilon, il ne tiendrait qu’une demi-heure au grand maximum : trop de relais et de centrales énergétiques avaient été détruits lors des affrontements précédents. Les tanks pouvaient tirer à travers, leur système d’armement étant réglé sur sa fréquence.

Les tanks ennemis, qui composaient la première ligne de bataille, descendirent les hautes collines en ravageant les restes chaotiques de l’enchevêtrement végétal. Tel’Ay et Kuun étaient en embuscade en haut d’une colline, avec deux éclaireurs, cachés sous une couverture de camouflage.
Les tanks commencèrent à tirer, et leur défilement dura plus de cinq minutes : il y en avait des centaines. Derrière eux s’avançait une cavalerie hétéroclite, montée sur des véhicules à répulseurs et même de rares montures animales ressemblant vaguement à des Tauntauns, à la fourrure ocre. Enfin, la dernière ligne de front se composait de milliers de fantassins.

Tel’Ay et Kuun entrèrent en action alors que les derniers tanks franchissaient la crête. Chacun d’eux posa une main sur la tête de l’éclaireur qui l’accompagnait et le plongea en catatonie. Puis ils absorbèrent leur âme, qu’ils reconvertirent en puissance brute. Désormais au-delà de leur meilleure forme, ils pouvaient entrer en guerre.
Durkina Stilon défaillit quand les deux éclaireurs moururent. Luttant pour rester debout, malgré ses jambes qui s’étaient mises à trembler, elle sentit son cœur se serrer. Reprends-toi, ma fille, ce n’est pas le moment de craquer, se sermonna-t-elle in petto. Elle mit cette défaillance momentanée sur le compte du stress de l’assaut.

Tel’Ay bondit de sa cachette et se jeta vers le tank le plus proche, sabrolaser allumé à la main. Un nouveau saut et il fut sur le tank. Sa lame balaya horizontalement l’écoutille, qui se détacha dans un grésillement d’agonie. il se laissa tomber à l’intérieur et fit face aux rebelles éberlués. Les tuer fut un jeu d’enfant, quelques moulinets de sabre suffirent.
Il écarta les cadavres, s’installa aux commandes et fit faire demi-tour au massif engin de mort. Logiquement, Kuun devait en être au même stade. Sitôt la réunion terminée, tous deux avaient subi une très rapide formation au maniement des tanks.
Ils franchirent à nouveau la crête et se mirent à ouvrir le feu sur la cavalerie légère. Elle s’égailla rapidement, paniquée. Tandis qu’ils faisaient des ravages dans leurs rangs, la désorganisation s’accentua. Certains des landspeeders firent demi-tour et tentèrent de fuir, écrasant pour le compte les fantassins, qui ne savaient de leur côté plus quoi faire.
Les comlinks dont Durkiga Stilon les avait pourvus et qu’ils portaient épinglés à l’épaule bipèrent, et la voix de la Jedi retentit :
– Faites attention, certains ont compris. Des tanks font demi-tour pour vous intercepter.
– Reçu, répondirent presque simultanément les Sith, qui retournèrent à leur tour leur engin pour faire face à la crête. Ils mirent les canons en position et attendirent que les tanks surgissent, prêts à les désintégrer et espérant en surprendre quelques-uns.
Le tank de Tel’Ay trembla sous le coup d’une explosion. A la deuxième, une console explosa derrière lui et un câble tranché cracha de la fumée en sifflant.
Lance-missiles, pensa-t-il. Il va falloir faire vite…
Quand un tank apparut enfin, Tel’Ay avait déjà verrouillé ses armes dessus : grâce à la Force, il connaissait à l’avance l’endroit précis où il allait surgir. Il décocha plusieurs tirs d’affilée. Mais quand un troisième missile s’abattit sur son engin, ses armes furent rendues inopérantes. Il sortit rapidement du tank inutilisable et courut se cacher dans les broussailles enchevêtrées. Le tank qu’il avait visé n’avait pas explosé, mais il vit que son équipage en sortait, accompagnés de volutes de fumées noires s’échappant de l’écoutille. Un de moins.
Il cria dans son comlink pour se faire entendre :
– C’est le moment, Durkiga ! Faites avancer vos tanks pour les appâter ! Il faut qu’ils continuent à descendre vers la ville.
– Bien reçu, Abron, répondit-elle en utilisant le faux nom qu’il lui avait donné.
Un autre coup d’œil lui apprit que Kuun avait eu plus de chance que lui : les restes d’un tank fumaient et un deuxième ne valait guère mieux. Mais ce serait le dernier que pourrait abattre Kuun, car une dizaine de nouveaux tanks apparurent.
Le laissant à son sort, Tel’Ay repéra le tireur de missiles, qui s’apprêtait à tirer sur la position de Kuun. Le lance-missiles s’arracha de lui-même des mains du tireur et vint se nicher dans celles de Tel’Ay. Il fit également léviter vers lui la caisse de missiles posée près du tireur. Il en restait une douzaine, et il les utilisa tous. Un missile devant lui, sur les tanks, le suivant derrière, sur la cavalerie, puis à nouveau devant, etc.
Une minute plus tard, après avoir utilisé toutes ses munitions, il se mit à nouveau à l’abri.
– Kuun ? reprit-il dans son comlink.
– Je te vois, Tel’Ay, je suis caché non loin.
– Parfait. Stilon, vous êtes toujours là ?
– Je vous reçois haut et clair, Abron !
– Bien. Le moment est venu : enclenchez la surprise !
– Bien reçu, c’est parti.
Ils n’avaient plus qu’à attendre, et Tel’Ay espéra que l’idée qu’il avait émise lors de la réunion allait fonctionner. Sinon, la ville serait perdue, et eux ne vaudraient pas beaucoup mieux.

Les tanks sécessionnistes dévalaient les pentes des collines, refermant l’étau sur la capitale. Ceux des loyalistes s’avançaient lentement, s’offrant en cibles.
Les collines s’embrasèrent, dans un maelström d’explosions assourdissantes. Des morceaux de tanks jaillirent, boules de métal en fusion, et s’éparpillèrent partout, provoquant des débuts d’incendie dans les broussailles sèches.
Macrojumelles aux yeux, Durkiga Stilon soupira de soulagement : ils avaient gagné ! la majeure partie des tanks ennemis n’était plus que des carcasses métalliques, noirâtres et fumantes. Elle donna ordre à ses propres tanks « d’escorter » les survivants, sans leur tirer dessus. Juste pour s’assurer qu’ils fuient. Ce qu’ils firent.
Le plan du Skelor lui avait paru extrêmement dangereux quand il l’avait expliqué : c’était un quitte ou double, et personne ne savait si il fonctionnerait. Il avait ordonné de fabriquer des bombes artisanales avec les cellules énergétiques des blasters à leur disposition. Les spécialistes qu’ils avaient pu dégotter pour les faire n’étaient pas certains que les bombes suffiraient à éventrer les tanks, mais c’était la meilleure idée que Tel’Ay ait eu, dans l’optique de préserver la vie des Loyalistes. Si le plan fonctionnait, l’ennemi perdrait la guerre car n’aurait plus de véhicules lourds. Si les bombes ne s’avéraient pas assez puissantes, en revanche, les Sécessionnistes n’auraient plus qu’à attendre que le champ de force lâche, faute d’énergie, après avoir détruit les tanks qui gardaient la ville. Les remparts franchis, ils auraient fait face à des Loyalistes désarmés, dont bien peu auraient eu une arme en état de fonctionner.

Tel’Ay retrouva Kuun. Il leur fallut deux heures pour se frayer un chemin jusqu’à la ville. Ils le firent en silence. Pas de réjouissances ni de félicitations. Ils n’avaient pas que cela à faire : leur but était toujours le même, quitter cette planète le plus vite possible. Ils n’avaient rien à y faire, et toute seconde passée en présence de la Jedi augmentait le danger pour eux.

En arrivant à la ville, ils furent portés en triomphe par leurs hommes, et amenés auprès d’une Durkiga Stilon rayonnante. Elle prit Tel’Ay dans ses bras et échangea un furtif baiser avec Kuun, surpris et ravi sur le coup. Cela n’échappa pas à Tel’Ay.
La bonne nouvelle fut que leur navire avait été fini de réparer pendant la bataille. C’était la première question que Tel’Ay lui avait posé en la retrouvant, et la réponse le remplit d’aise. Sur son insistance, elle les escorta jusqu’à l’atelier de maintenance où il se trouvait, lentement car ils devaient se frayer un chemin parmi la foule en liesse et qui ne cessait de les féliciter et de leur taper dans le dos. Ils étaient des héros, ce qui ne leur faisait ni chaud ni froid. Tel’Ay et Kuun parce qu’ils avaient une mission à accomplir, et Durkiga parce que son équanimité Jedi avait vite repris le dessus sur l’enthousiasme spontané qu’elle avait d’abord manifesté.

Arrivés à l’atelier, les deux Sith remercièrent brièvement les ingénieurs et demandèrent à être seuls avec la Jedi. La porte refermée, ils s’imprégnèrent du silence bienfaisant qui régnait.
Tel’Ay et Kuun s’avancèrent vers Durkiga. Ils souriaient. Elle aussi. Ils tendirent les mains vers elle, comme pour la prendre dans leurs bras. Des éclairs blancs et bleus jaillirent de leurs mains et s’abattirent sur la Jedi, qui n’avait rien vu venir. Une expression d’horreur déforma son visage, tandis que les deux Sith, impitoyables, continuaient à bombarder son corps. Elle s’écroula à genoux. Du sang se mit à couler de son nez. Ses yeux exprimaient une seule question : pourquoi ?
Elle n’eut jamais la réponse. Quelques secondes plus tard, les restes noircis et fumants de Durkiga Stilon gisaient sur le sol de l’atelier. La dernière vision qu’elle emporta avec elle fut le sourire narquois de Kuun Hadgard.
Ils embarquèrent le corps à bord : ils s’en débarrasseraient en orbite. Ainsi, personne ne saurait comment elle était morte. Ils enclenchèrent les moteurs et décollèrent. Cette fois, leur prochain arrêt, si la Force le voulait, serait Nal Hutta. Ils avaient la famille de Tel’Ay à retrouver, avant de partir à la recherche des holocrons pour le compte de Maal Gami.