chapitre 11 : déchéance

Le début du combat est fluide, comme si Tel’Ay et Kuun ne pratiquent qu’un énième entraînement. Au bout de quelques minutes, chacun d’eux se sent prêt. Ils font une courte pause, pendant laquelle ils se dévisagent. Comme s’ils voulaient graver les traits de leur compagnon dans leur esprit, à jamais.
Mais un seul portera ce souvenir. Car la mort va prendre l’un d’eux, ils savent que c’est inéluctable.


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Dans l’ombre de l’ombre…Séis ne cesse de se répéter cette expression, comme un mantra. Elle le guide dans sa quête et accroît sa volonté, tandis qu’il s’avance lentement dans les cavernes dans lesquelles vivent ses compagnons et son maître, Maal Gami.
Nul ne le voit ni ne le perçoit. Il est invisible à tous, preuve de sa supériorité sur eux. La peur l’accompagne également, car tout semble trop facile. Son cœur cogne à tout rompre dans sa poitrine devaronienne, et il trouve étrange que ses condisciples ne le sentent pas, tandis qu’ils le croisent sans le voir.
Il transpire abondamment, sans savoir si cela est du à sa nervosité ou à la chaleur torride qui règne dans ces lieux. Il s’arrête quand l’entrée de la caverne personnelle de son maître entre dans son champ de vision. Le moment de vérité est arrivé. Rassemblant tout son courage, il en franchit le seuil.


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Les coups pleuvent, les lames d’énergie se croisent et se décroisent. A chaque fois, un éclair lumineux. A chaque fois, la même plainte des sabrolasers, sifflant leur frustration. Le combat va durer : Tel’Ay et Kuun se connaissent par cœur. Le plus créatif l’emportera, mais cette victoire amère sonnera comme un échec.
Leur problème est simple : utiliser de techniques surprenantes est le seul moyen pour eux de passer sous la garde de leur adversaire. Mais ils se connaissent tant qu’improviser est très dangereux : ils doivent user de coups inhabituels, dont l’efficacité n’est pas certaine. Et chacun sait à quel moment l’autre peut produire des attaques différents de d’habitude. La moindre erreur sera fatale.


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Une vague de noirceur froide envahit le cœur de Maal Gami. Il relève la tête, attentif. Un événement est en train de se produire, il le sent. Engoncé dans son fauteuil tapissé de coussins, il lance des vrilles de Force tout autour de lui. Il manque quelque chose…sensation indéfinissable, mais qu’il sait vraie.
Il rassemble la Force comme rarement. Un danger mortel rôde, tout près. Il faut absolument qu’il comprenne. Lui et l’univers s’unissent dans l’étreinte de la Force, et tout devient clair à ses yeux. Comme si son esprit avait quitté son corps et surplombait sa chambre, il voit son corps assis dans son fauteuil. L’un de ses élèves, Séis, se trouve derrière lui. Il approche son sabrolaser éteint de la nuque de Maal Gami et l’active. L’âme de Maal Gami crie à travers la Force, tandis qu’il voit son corps mort s’affaisser mollement à terre.
Il n’abandonnera pas…il ne doit pas…la confrérie doit lui survivre…Alors que le Chaos se tend avidement pour absorber son esprit, Maal Gami se projette à travers l’espace. Tel’Ay et Kuun, ses meilleurs élèves…eux doivent savoir…eux seuls peuvent reprendre le flambeau. Maal Gami ne pense pas une seconde à prévenir ses autres élèves : il sait qu’ils sont déjà comme morts.


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Une demi-heure…attaques et contre-attaques s’enchaînent, mais aucun ne trouve la faille. La fatigue commence à se faire sentir : une fine pellicule se sueur apparaît sur le corps de Kuun, et les écailles de Tel’Ay s’entrouvrent pour le rafraîchir.


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Séis est ravi. Tout a été tellement facile, bien plus qu’il ne l’aurait cru. Ne lui reste plus qu’à s’approprier le Gant de Vèntorqis et utiliser sa puissance pour assassiner tous ses condisciples. Ensuite, il pourra rejoindre son nouveau maître, Dark Omberius, et continuer à apprendre la vraie nature de la Force à ses côtés.
Un glorieux destin l’attend, il le sent, tandis qu’il s’approche de l’artefact secret de la confrérie.
Le Gant de Vèntorqis est exposé dans une niche de verre. Un champ de force le fait lentement tourner sur lui-même. De couleur grise, avec des jointures noires. Sa puissance est perceptible à travers la Force. Séis ouvre la niche d’une pichenette de Force et tend la main.
Une petite étincelle dorée apparaît entre l’artefact et lui, et un picotement froid l’envahit tandis qu’il s’en empare et l’enfile sur sa main gauche. Un afflux de sensations vertigineuses le fait presque chanceler, tandis que ses perceptions s’exacerbent. Il n’y a plus de doute pour lui…il vient d’acquérir un grand pouvoir. Eliminer ses pitoyables pairs sera d’une facilité déconcertante.
Grisé par sa réussite, il éclate d’un long rire qui retentit à travers le réseau de cavernes. Ses minables condisciples s’agitent, ils viennent s’enquérir de ce qui se passe, il le sent. Séis, si souvent raillé et méprisé, va leur montrer à tous ce qu’il vaut. Aucun n’y survivra. Aucun.
Trois élèves de Maal Gami entrent dans la caverne du maître. Un rictus féroce aux lèvres, Séis tend le Gant vers eux et déchaîne la puissance du Côté Obscur. Des éclairs de Force jaillissent et pulvérisent littéralement ses anciens camarades, dont les restes sont violemment projetés contre les murs.
Oh, oui, comme la suite sera facile ! Riant à gorge déployée, il part à la recherche des autres.


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Ils s’accordent une nouvelle pause à l’issue d’un énième assaut vain. Le moment est venu, ils le savent, ils le sentent. Chacun rassemble ses forces. Ça ne sera plus long, désormais.
Kuun attaque : ses mouvements sont vifs et précis tandis qu’il frappe de taille. Tel’Ay est sur la défensive et pare sobrement. Profitant d’un court répit, il reprend la main et assaille Kuun d’une série de coups violents et rapides. Kuun recule, puis effectue un roulé-boulé latéral. Prenant appui sur un genou, il frappe en direction des côtes du Skelor, mais la lame de celui-ci est déjà là, en interception. Tel’Ay écarte le sabrolaser de Kuun et lui assène un coup de pied dans la tempe. Kuun roule sur lui-même en grognant, prend une impulsion et saute sur son adversaire, pointe du sabrolaser en avant.
Tel’Ay est surpris, d’autant qu’il se précipitait pour achever Kuun. Il arrive trop vite pour éviter la lame mais, au prix d’une torsion, évite de se faire embrocher au niveau du cœur. La lame de Kuun mord sa chair et le transperce de part en part, sans toucher d’organe vital. Dans cette seconde qui dure une éternité, tous deux prennent conscience du nom du vainqueur, car Kuun n’aura pas le temps de retirer sa lame pour parer l’attaque que Tel’Ay a d’ores et déjà amorcé.
Le Skelor frappe de haut en bas, en diagonale. L’odeur de la chair humaine grillée emplit instantanément l’air et vient s’ajouter aux effluves d’ozone dégagées par les sabrolasers.
L’épaule gauche de Kuun, tranchée. Son cœur, presque coupé en deux. Son pancréas et son estomac, déchirés. Sa hanche droite cède, il lâche son sabrolaser et tombe à terre.
Nulle haine dans ses yeux. Pas de colère non plus, ni de surprise. Juste un regard serein, impassible. Une dernière leçon à destination de Tel’Ay, même dans la mort. Kuun a gagné : il a été fidèle à lui-même et à la confrérie de Maal Taniet, jusqu’au bout. Lui.
Les yeux bleus de Kuun se ferment. A jamais. Tel’Ay aimerait serrer le corps de son ami dans ses bras et lui demander pardon pour sa folie, mais il ne s’en sent pas le droit. Il est comme impur face à son frère si droit. Il le contaminerait de son indignité s’il le touchait.
Des larmes de désespoir coulent sur les joues de Tel’Ay Mi-Nag. Il tombe à genoux aux côtés du seul ami qu’il ait jamais eu.
Le corps de Kuun devient translucide et disparaît lentement. Ses vêtements glissent au sol. Vides.


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Derni Natoro est le dernier à mourir des mains de Séis. Il fait office d’instructeur de sabrolaser au sein de la confrérie, et s’avance avec détermination vers Séis, un sabrolaser dans chaque main. Mais ce dont se délecte Séis, c’est la peur presque panique qu’il lit dans ses yeux. Il tend le Gant et Natoro se retrouve emprisonné dans une toile invisible de Force. C’était décidément trop facile, et Séis n’éprouve plus que du mépris pour les membres de la confrérie.
Séis oblige le poignet de Natoro à se ployer. Natoro transpire abondamment tandis qu’il voit sa propre arme se rapprocher de son visage. Il grimace et couine de peur. Son sabrolaser s’enfonce doucement dans son front et descend lentement. Il se voit mourir. Séis ne relâche son emprise que quand l’arme iridescente atteint la bouche de Natoro.
Comment Séis a-t-il pu perdre autant d’années dans cette minable confrérie ? Cette pensée le dégoûte, tandis qu’il tend son esprit vers son nouveau maître. Un grand destin l’attend, il le sent…


***

Tel’Ay ne voit ni ne perçoit la présence spectrale dans son dos. Maal Gami. Celui-ci n’a pas été assez rapide et n’a pu qu’assister à la fin du combat. Mais il sait. Tel’Ay Mi-Nag a tourné le dos à la confrérie, encore. Cette fois-ci, d’une manière inéluctable. Kuun Hadgard, son ultime espoir de faire revivre les enseignements de Maal Taniet, est mort.
Tout est terminé. Il n’a pas su empêcher l’extinction de leur école, trahi par deux de ses élèves et d’autres seigneurs Sith. L’amertume, le dépit et la honte s’emparent de lui tandis qu’il disparaît vers les brumes éternelles du Chaos.